Accueil / Histoire / L'inscription de l'Histoire dans « L'Art de Perdre » d'Alice Zeniter / Comment l’Art de Perdre d’Alice Zeniter façonne nos perspectives futures ?

Comment l’Art de Perdre d’Alice Zeniter façonne nos perspectives futures ?

Pour citer ce mémoire et accéder à toutes ses pages
🏫 Université 8 Mai 1945 Guelma - Faculté des Lettres et des Langues - Département des Lettres et de la Langue Française
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2019/2020
🎓 Auteur·trice·s
KHELAIFIA Bahe-eddine
KHELAIFIA Bahe-eddine

Les perspectives futures de l’art de perdre révèlent comment la fiction d’Alice Zeniter redéfinit notre compréhension de l’histoire algérienne. En confrontant les lacunes historiques avec une narration poignante, cet article offre des clés essentielles pour apprécier l’impact de la littérature sur la mémoire collective.


Youcef Tadjer :

« – l’indépendance, ce n’est pas juste un rêve pour les enfants, tu sais, lance Youcef. Même les Américains ont dit que tous les peuples devaient être libres ! »87

Est-ce qu’on pourrait admettre que ce sont les paroles d’un enfant paysan, un enfant illettré ? La réponse serait non, à moins qu’il soit un enfant qui ne vit dans les conditions où le personnage Youcef Tadjer ouvrait ses yeux pour la première fois sur la guerre et l’injustice qui rongeaient les esprits.

Et pour ne pas risquer de compromettre la vraisemblance partant de ces paroles, l’auteure esquisse tout un parcours pour Youcef.

C’est un plaisir exotique que procure la littérature en mettant le lecteur dans la peau d’un autre afin de le transporter d’une époque à l’autre.

C’est pourquoi, nous autres lecteurs autant que l’auteure, comptons sur Youcef pour illustrer l’existence d’une large tranche des enfants pendant la guerre, alors Youcef d’emblée exprime une généralité, Youcef c’est une sorte de projecteur sur des faits, et bien qu’ils ne soient pas réels, leur plausibilité reste indéniable.

Alors le fait de s’intéresser à Youcef de même que s’intéresser à tout enfant et à leur vouloir dire, qui plus ou moins reflète les desseins de l’auteure. Les premières impressions que l’on retient de ce personnage sont dues à son portrait psychique. Quand on voit un adolescent pauvre, naïf, méprisé et rejeté même par sa famille, qui s’érige dans une grappe d’enfants et daigne les éclairer des développements politiques du pays (que lui-même ne comprend pas), on ne pourrait penser qu’à l’altruisme, au patriotisme et à l’innocence, mais également à la gravité de situation, au trouble et la paranoïa de la guerre qui n’épargnent même pas les enfants des compagnes lointains.

L’apparence de Youcef a joué le rôle de représenter l’homme de misère parfaitement, l’auteure s’est évertuée même à refléter, graduellement, sur l’aspect physique les effets de l’adversité qu’éprouve Youcef pendant les années de la guerre et de l’injustice, alors qu’on distingue certains changements qui impactent les particularités physiques de Youcef qui était avant sur la crête un adolescent d’un corps malingre88, et après qu’il ait pris le maquis où il devient selon l’auteure : « Youcef est très maigre, sa peau s’est collée à l’os comme un linge blanc mouillé ou du papier à cigarettes, elle parait si fine qu’elle pourrait se rompre sous les mouvements de la mâchoire. »89

La souffrance, la famine et notamment le regret d’être la cause de la mort de sa mère lui rongent un corps déjà si frêle, sans toutefois venir à bout du caractère de ce jeune fort grâce à l’énergie qui l’enflamme, et à sa virilité grâce à son apparence vestimentaire comme nous renseigne le passage suivant : « Il remet son maillot de corps, sa veste militaire, ses bottines à lacets. Hamid le trouve impressionnant dans cette tenue, corseté d’une virilité nouvelle et, du coin de l’œil, il épie chacun de ses gestes pour pouvoir les imiter. »90

Paradoxalement, Youcef avait toujours l’air d’un personnage comique, à cause d’une fente dans ses dents de devant, ce qui lui donnait une apparence ridicule.

Revenons encore au portrait moral de ce personnage, incontestablement le trait le plus saillant de son caractère c’est la fidélité envers ceux qui l’ont aidé auparavant ; malgré le désaccord avec Ali, il lui annonce une dernière fois que «l’Algérie ne dévore pas ses enfants »91.

D’ailleurs même les autres personnages lui témoignent la loyauté : « Une part de lui s’obstine à vouloir que ce soit Youcef qui lui ait envoyé ce dernier messager, au nom des anciens jours de la rivière. »92

Ce n’est pas la seule chose qu’affirment les autres personnages sur Youcef ; Ali le propriétaire du champ d’oliviers a veillé toujours à ce que : « Il faudra simplement qu’il fasse attention à ce que le garçon n’approche pas trop les femmes. Sa langue bien tendue offense souvent les maris, les pères et les frères ».93

À cette audace et arrogance dont Youcef faisait preuve envers l’autre, on pourrait ajouter le franc-parler, la hardiesse, l’impolitesse et même l’insolence. Ce sont des conséquences attendues de l’indigence et de l’analphabétisme d’un enfant orphelin ; cependant dans le cas de Youcef ces traits sont des effets pervers d’une perspicacité flagrante, que lui-même avoue : « Par contre, j’apprends vite, je lui dis, la débrouille c’est mon deuxième nom. »94

Cette perspicacité est souvent menée avec vigueur, alors il s’est trainé d’un village à un autre pour s’enquérir d’un travail ou d’un bus ; étrangement, il s’est toujours mis dans des situations où il parait si naïf que même les paroles qu’il prononce il ne les comprend pas, ce qui lui donne très souvent une aire de spontanéité qui transforme ses propos en un discours ironique.

De plus, il est d’un caractère très aimable dû à son attachement à la vie et à sa persévérance ; souple et bienveillant avec les enfants du village ce qui fera de lui une idole ou comme le dit si bien l’auteure « un nouvel Arezki95 ».

Youcef a fait preuve aussi d’un patriotisme, qu’on peut juger d’indéfectible après qu’il ait pris le maquis et passe à l’acte d’un dévouement inconditionnel.

Toujours est-il que les traditions occupent une place prépondérante dans la vie des habitants de la crête, il est maudit à cause d’une dette héritée de son père défunt, et l’absurdité se présente encore alors qu’il est méprisé par les siens et aimé par les autres, comme nous le montre ce passage : « Il aime bien l’adolescent peut-être simplement parce que les Amrouche ne l’aiment pas. Peut-être parce que Youcef a une forme de bravoure joyeuse que sa misère de fils de veuve n’a jamais réussi à briser. »96

Le personnage de Youcef est très important pour l’auteure, et si on applique les règles du théâtre sur ce personnage il s’avérerait essentiel, en égard aux tirades qui atteignent plusieurs pages que l’auteure lui attribue.

D’ailleurs les paroles de Youcef sont souvent en discours rapporté direct, c’est un personnage indépendant de l’auteure qui opte pour la neutralité et l’objectivité.

Ainsi les traits physique et psychique, ses paroles et ses pensées qui sont cohérentes avec ses actes, tous ces attributs créent une consistance qui incarne l’humanité, assure la vraisemblance et se réconcilie bien avec le réel dans le texte.

C’est par Youcef qu’Alice Zeniter aborde le sujet des traditions, et par lui aussi qu’elle met l’accent sur d’autres notions qui font polémique jusqu’à nos jours tel que la notion « d’impunité » 97 qu’insinue l’auteure et c’est par lui qu’elle traite le sujet de choix du camp, alors qu’on pourrait dire que si Youcef n’est pas une vérité il est au moins sa quête.

Aussi, le personnage de Youcef, le révolutionnaire, occasionne l’évocation des autres personnages historiques tels que Messali Hadj 98 et Krim Belkacem99, alors que le récit ne s’enfonce pas totalement dans l’imaginaire et reste dans le contexte historique ou, pour le moins, didactique.

Alice Zeniter nous surprend avec un personnage d’un modèle traditionnel, personnage à la Scottienne, Youcef correspond au héros littéraire typique, il représente une idée, une valeur et un comportement dont les lecteurs pourraient tirer profit100 :

« Après des mois de poussière et de grincements, la boutique est finalement attribuée au jeune Youcef Tadjer, combattant de la Révolution. Le sourire de celui-ci quand il en passe la porte dévoile ses dents trop écartées, ses dents de gamin de la crête, de petit vendeur ambulant que l’indépendance vient de transformer en commerçant respectable. »101

________________________

87 Ibid, p. 40.

88 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 114.

89 Ibid, p. 151.

90 Ibid, p. 154.

91 Ibid.

92 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 168.

93 Ibid, p. 40.

94 Ibid, p. 116.

95 Settar Ouatmani, Arezki L’Bachir Un « bandit d’honneur » en Kabylie au XIXe siècle, in openedition, en ligne https://journals.openedition.org/remmm/8514

96 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 40.

97 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 115.

98 Ibid.

99 Ibid, p. 117.

100 Cécile Brochard, Expériences de l’histoire, poétique de la mémoire, France, ellipse, 2019, p. 50.

101 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 231.


Questions Fréquemment Posées

Qui est Youcef dans ‘L’Art de Perdre’ d’Alice Zeniter?

Youcef est un personnage qui représente un enfant paysan, naïf et méprisé, qui s’érige parmi d’autres enfants pour éclairer les développements politiques de son pays.

Comment Alice Zeniter décrit-elle l’apparence physique de Youcef?

L’auteure décrit Youcef comme très maigre, avec une peau qui semble si fine qu’elle pourrait se rompre, reflétant les effets de la souffrance et de l’adversité pendant la guerre.

Quelle est la caractéristique morale la plus saillante de Youcef?

La fidélité envers ceux qui l’ont aidé est la caractéristique morale la plus saillante de Youcef, qui témoigne de loyauté même envers ceux avec qui il a des désaccords.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top