L’analyse de cas dans l’art de perdre révèle comment Alice Zeniter transforme des événements historiques en fiction poignante, offrant une perspective inédite sur la Révolution algérienne. Cette recherche met en lumière l’importance de la fictionalisation pour combler les lacunes historiques et enrichir notre compréhension des récits oubliés.
Contre les dévoiements de l’Histoire:
« J’essaye de tenir mes personnages à distance pour pouvoir parler d’eux avec tendresse »42, c’est ce qu’affirmait Alice Zeniter lors de l’émission de « la grande libraire »; on pourrait observer la véracité de ces affirmations clairement dans notre corpus, partant du principe que tous les personnages sont des inventions de la part de l’auteure et n’auraient aucune existence dans la vie réelle, à l’exception d’un seul personnage qui est Charles de Gaule le président français.
C’est la raison pour laquelle nous nous intéresserons dans notre analyse à ce personnage et à sa représentation dans le roman.
Les informations sur ce personnage, bien qu’assez sporadiques, s’éparpillent tout au long du récit au moyen des faits historiques mémorables et sensibles, des périodes où la guerre était à son comble, ce qui fait de son intervention un acte observable : « Au mois de juin 1960, des représentants Français rencontrent une délégation du Gouvernement provisoire de la République algérienne à Melun pour négocier.
– De Gaulle est en train de nous lâcher, maugréent les soldats. »43
Ou encore dans : « De Gaulle a annoncé un référendum sur l’autodétermination, explique l’interprète. Ils ne savent plus quoi penser. »44
L’évocation de ce personnage est portée souvent par l’Histoire, dès lors que l’auteure annonce l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, on perçoit que les évènements prennent une autre tournure, le récit s’intéresse de plus en plus à des faits historiques et à des dates officielles, alors la mention de ce personnage semble même bouleverser le récit.
La première remarque portera sur le portrait de De Gaulle, l’auteure dénude ce personnage de tout trait physique, car il s’agit d’un personnage historique, on pourrait en déduire que l’auteure voudrait occulter certaines choses afin d’inciter les lecteurs à les découvrir.
Quant au portrait moral du personnage, l’auteure fait allusion à certains traits de De Gaulle, d’abord en lui attribuant une image de sauveur de l’armée française l’auteure insinue que cet homme aurait le caractère fort et belliqueux, un homme de force et de guerre, un homme qui réussit à procurer, au moment de son arrivée au pouvoir, la sécurité au peuple français.
Il est un homme de sagesse et de confiance, aussi qu’il est célèbre et important. Ces traits de son caractère sont perceptiblement cités par l’auteure dans les lignes suivantes :
« En juin 58, le général de Gaulle arrive au pouvoir. Dans la caserne de Palestro, c’est la liesse.
De Gaulle, c’est le sauveur de la France, le père de l’armée ; de Gaule, c’est de Gaulle, merde. Lui saura quoi faire et puis internationalement, ça a de la gueule. Aux terrasses des cafés, les soldats lèvent leurs verres dans un cri _Au Général ! À l’Algérie française ! » 45
Cette image de De Gaulle le sauveur définis la relation entre ce personnage et le récit, autrement dit Alice Zeniter effectue un prédicat 46à De Gaulle qui est le sauveur, d’ailleurs on voit que toutes les actions se déchainent au détriment ou à la faveur de cette image, alors on voit tantôt l’image du sauveur s’affirmer tantôt cette même image se défait par des soupçons et des accusations.
Nous supposons qu’Alice Zeniter n’aurait opté pour une telle identification que pour mettre en relief les traits condamnables de De Gaulle, l’homme du pouvoir qui donne des promesses pour une vie plus rassurante, des emplois et une redistribution de richesse plus équitable, en particulier pour Constantine le 3 octobre 47, et dans un court laps de temps, pour le transformer en son opposé par des assauts et des plans meurtriers, une explication très significative nous est fournie par l’auteure dans l’extrait suivant :
« Conformément au plan Challe, une pluie de pierres précieuses s’abat sur le pays à l’automne : opérations Rubis Topaze, Saphir, Turquoise, Émeraude. La mort qui tombe sur la région du Constantinois a rarement porté d’aussi jolis noms.
Des villages sont évacués de force et sommairement rebâtis ailleurs, derrière des barrières et des fossés. » 48
L’auteure dissémine aussi des sous-entendus qui révèlent la malveillance sournoise de De Gaulle, une méchanceté assez cruelle à laquelle même les générations suivantes ne croiront pas tel le cas de Naima : « Sur les zones fantômes, vidées de leurs habitants, on lâche des bombes et parfois du napalm. »49
Ou dans : « cette guerre avance à couvert sous les euphémismes. ».50
D’après l’auteure De Gaulle était aussi un comploteur sournois, il était derrière les fondements et les encouragements des organisations qui sèment la terreur dans l’Algérie :
«- qu’est-ce qu’il a fait ?
– Tout. Il a tout fait ce que contiennent les cauchemars. Il est du commando Georges.
Trois ans auparavant, le démon qu’évoque Yema se tenait en ligne au milieu de ses frères d’armes et recevait une décoration des mains du général de Gaulle. La vidéo est passée aux informations nationales. »51
L’auteure écarte son récit de l’image de De Gaule le grand homme, en se servant de la narration pour retracer l’Histoire loin des propagandes et des idéologies, comme si elle était en train d’accueillir les paroles et les détresses des opprimés dans son récit.
Nous voyons que la représentation de De Gaulle par Alice Zeniter n’a servi qu’à mieux illustrer les propos suivants de Cécile Brochard qui reprend ingénieusement le terme « mentir-vrai »,52de Louis Aragon :
« Contre « les dévoiements de l’histoire », certains romanciers proposent alors un « mentir vrai » :l’historiographie romanesque se propose donc de rétablir la véritable teneur du passé et de combler les brèches que l’histoire événementielle et le catalogue stérile des grands hommes ont laissé béantes ».53
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42 La Grande Librairie, Algérie – France, destins croisés, in Youtube, en ligne https://www.youtube.com/watch?v=XXEAH4eyTlg (consulté le 28/02/2020) ↑
43 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 155. ↑
45 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 141. ↑
46 Louis Marin, le récit, Encyclopédie Universalis2016. ↑
47 Discours du plan de Constantine, le 3 octobre 1958, in INA en ligne https://fresques.ina.fr/de-gaulle/fiche- media/Gaulle00022/discours-du-plan-de-constantine-le-3-octobre- 1958.html#:~:text=Alg%C3%A9riennes%2C%20Alg%C3%A9riens%2C%20Je%20suis%20venu,am%C3%A9li orent%20de%20jour%20en%20jour. ↑
48 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 143. ↑
49 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 143. ↑
50 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 143. ↑
51 Alice Zeniter, L’Art de Perdre, op.cit, p. 143. ↑
52 Louis Aragon, Le mentir-vrai, 1964. ↑
53 Cécile Brochard, Le roman historique au XXe siècle, 2010. ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment Alice Zeniter représente-t-elle Charles de Gaulle dans ‘L’Art de Perdre’?
L’auteure dénude Charles de Gaulle de tout trait physique, ce qui incite les lecteurs à découvrir ses véritables traits. Elle lui attribue une image de sauveur de l’armée française, un homme de force et de guerre.
Quelle est la relation entre fiction et histoire dans ‘L’Art de Perdre’?
L’étude analyse comment l’auteure utilise la fiction pour combler les lacunes historiques et offrir une perspective alternative sur les événements, en intégrant des personnages historiques comme De Gaulle.
Quels traits de caractère sont attribués à De Gaulle dans le roman?
De Gaulle est décrit comme un homme de sagesse et de confiance, célèbre et important, avec une image de sauveur qui se transforme par la suite en soupçons et accusations.