L’impact de la technologie sur le restavèk révèle une réalité troublante : malgré les avancées, l’exploitation des enfants persiste. Cette étude met en lumière les contradictions entre progrès technologique et conditions de vie des restavèk, soulignant l’urgence d’une action collective pour leur bien-être.
CHAPITRE 6 – DISCUSSION
Voir le travail des enfants restavèk à travers le prisme des colonialismes
Certains éléments du système restavèk de l’esclavage des enfants sont spécifiques à Haïti, mais une chose est universelle à travers la planète : la position des femmes comme principales pourvoyeuses de soins aux enfants. Ceci est particulièrement important dans les sociétés où le travail forcé des enfants est répandu. La complicité des femmes est un élément central de certains systèmes de traite, mais leurs rôles en tant que principales dispensatrices de soins tendent à cacher ce fait (Magloire, 2010).
La question plus large demeure. En quoi la vie des femmes haïtienne cause-t-elle et permet-elle l’esclavage des enfants ? La réponse est enracinée dans les expériences de pauvreté des femmes et dans la manière dont la violence sexiste est ressentie non seulement comme de la violence physique et des abus sexuels, mais aussi dans les nombreuses manières d’établir et de maintenir des hiérarchies entre les sexes.
La pauvreté dans le monde affecte les femmes de manière disproportionnée, non seulement en termes de pouvoir monétaire, mais aussi social et politique (Menard, 2013). Alors que les problèmes historiques, économiques et sociétaux d’Haïti pèsent sur la population, les femmes en subissent les conséquences de manière disproportionnée (Menard, 2013). Le système restavèk est culturellement et géographiquement spécifique, existant paradoxalement dans une société qui démontre une meilleure compréhension des droits de l’homme tels que l’égalité, la dignité, le respect et la liberté. Les inégalités structurelles et sexuelles ont des effets négatifs directs sur les enfants (Lubin, 2007).
Le restavèk une forme d’esclavage moderne
Le travail des enfants restavèk est une forme d’esclavage et cet esclavage fait partie des pires formes d’exploitation selon l’OIT. Cependant on constate que le monde de la recherche y accorde peu d’attention (Cadet, 2000). Selon Chamboredon, & Prévot, (1973), le travail domestique est relié à la pauvreté qui fait en sorte que les enfants et les familles provenant de zones rurales vont envoyer leurs enfants dans d’autres régions (milieu urbain) dans l’espoir de leur offrir de meilleures chances et d’opportunité.
La continuité de ce problème dans le monde et plus particulièrement en Haïti s’explique par d’autres facteurs tels que les pratiques culturelles, la discrimination à l’égard des filles, le manque de protection juridique, la perméabilité sociale et le manque d’alternatives en matière d’éducation (Chamboredon, & Prévot, 1973). Malgré le fait que l’éducation soit une des principales causes pour lesquelles les familles haïtiennes choisissent d’envoyer leurs enfants dans d’autres familles, on remarque que le gouvernement haïtien n’exige en aucun cas que ceux-ci fréquentent l’école.
Par ailleurs le gouvernement ne finance qu’environ 10 % de la scolarité du pays. Cette situation fait en sorte que la plupart des écoles sont gérées par des particuliers et que les parents doivent payer des frais exorbitants pour l’éducation de leurs enfants. Étant donné que ces montants sont très élevés, les familles d’accueil font le choix de ne pas les envoyer à l’école (Échevin, 2014).
Selon la coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA), 80 % des familles haïtiennes sont au seuil de la pauvreté et vivent avec moins de deux dollars par jour et plus de 40 % de ces personnes sont considérés comme extrêmement pauvres (Échevin, 2004). Selon L’UNICEF, il y aurait à peu près 17 000 établissements scolaires en Haïti, ces écoles accueillent plus de 2 700 000 élèves par année.
Le taux de scolarisation serait d’environ 60 %. UNICEF considère qu’environ 380 000 enfants ne fréquentent pas l’école et 38 % des enfants de 7 à 18 ans n’iront pas à l’école (Menard, 2013). L’éducation est non seulement une manière d’échapper à la misère, mais c’est aussi un moyen d’ascension sociale. En 2002, 2,5 % du PIB du pays a été utilisé pour l’éducation et seulement 20 % de ce budget ont été investis dans les zones rurales (Sommerfelt, Pedersen, & Hatloy, 2002).
Contrairement à la décennie précédente, UNICEF à constaté une augmentation scolaire au cours des années 2000.
86 % des enfants provenant des milieux urbains fréquentent l’école comparativement à 73 % dans les zones rurales (UNICEF, 2013). Selon le programme des Nations unies pour le développement (PNUD, 2002), parmi tous les pays ayant un développement humain bas, Haïti est le pays ayant le taux d’inégalité d’éducation scolaire le plus élevé avec un taux de 40,4 %.
En 2013, la moyenne d’années scolaires complétées était de 4,9 %. Ce nombre est très bas par rapport au niveau mondial (Sommerfelt, Pedersen & Hatloy, 2002).
Considérant que les restavèk sont responsables des tâches ménagères ceux-ci ont tendance à avoir un taux d’absentéisme scolaire plus élevé que leurs camarades. En Haïti, si un enfant manque trop d’écoles ou n’est pas en mesure de réussir les évaluations du ministère de l’Éducation, celui-ci sera maintenu dans la même classe et cela, peu importe son âge.
Cette situation fait en sorte que ces enfants vont développer un sentiment d’insuffisance, de honte et ils seront découragés d’aller à l’école (Cadet & Luken, 2011). Les restavèk sont vues comme des esclaves aux yeux de la population haïtienne ce qui fait en sorte qu’ils sont considérés comme des biens privés appartenant à autrui (Clouet, 2013).
De plus, ces enfants sont maltraités et mis de côté par la communauté (Nicholas & al., 2012). Ces enfants sont exposés à la violence physique et en cas d’erreur ou de retard dans leurs tâches, ceux-ci se font battre à coup de bâton, de ceinture ou même de rigwaz (long fouet en cuir).
Dans son autobiographie, Jean Robert Cadet un ancien restavèk mentionne que « Quand ma maîtresse décrochait la rigwaz, je ne cherchais plus à fuir. Mais je me mettais à genoux, les mains croisées sur la poitrine, et recevais dix ou vingt coups de rigwaz. Surtout ne pas bouger ! Ne pas lever les bras, ne pas essayer de se protéger » (Cadet, 2000).
Les femmes sont en grande partie responsables du travail domestique et des soins non rémunérés dans le monde. Celles-ci travaillent plus que les hommes pour moins d’argent. L’un des obstacles qui empêchent les femmes de jouir de l’égalité est le fardeau relié aux tâches non rémunérées et du travail domestique qui sont à leur charge.
Selon Lubin (2007), il n’y a aucun pays dans le monde où les hommes effectuent plus ce genre de travail que les femmes ou les jeunes filles. Les femmes sont responsables de 75 % de tous les soins et travaux domestiques non rémunérés. Tous comme les restavèk, elles consacrent jusqu’à trois heures de plus par jour aux tâches ménagères que les hommes et jusqu’à 10 fois plus de temps à s’occuper des enfants d’autrui (Brand, 1988).
Dans les régions où l’eau n’est pas courante dans les maisons comme c’est le cas en Haïti, les femmes et les filles sont plus susceptibles d’être responsables d’aller chercher l’eau à usage domestique. Selon Joseph (2011), le travail domestique était la troisième forme d’emploi la plus représentative parmi les femmes haïtiennes et une grande partie de ces femmes sont engagées dans un travail reproductif rémunéré et non rémunéré.
76,9 % des femmes vont effectuer un travail rémunéré pour leur famille, qui est souvent associé à un travail intime rémunéré à l’occasion. Les tâches effectuées consistent à faire la lessive surveiller les enfants d’autrui alors que leurs enfants sont délaissés.
La prostitution fait aussi partie du type de travail effectué par ces femmes. Ces activités ne sont pas enregistrées dans les statistiques du travail du gouvernement haïtien au contraire, elles sont classées comme étant économiquement inactives. Il y a très peu d’informations sur comment elles survivent et soutiennent ceux et celles qui sont à leur charge financièrement (Joseph, 2011). Ce travail qu’effectuent les femmes nous amène à penser au travail du care (Gilligan, 2008) .
Ce type de travail de reproduction comprend des activités rémunérées et non rémunérées et comprend des activités essentielles quotidiennes telles que la cuisine, le lavage des vêtements et prendre soin des enfants. Au cours des dernières années, le débat s’est concentré sur le fait que ces activités sont principalement menées par les femmes, celles-ci sont généralement responsables du bien-être d’autrui (Duffy, 2007).
Il est important de parler du fait que la présence de plusieurs jeunes filles restavèk est en lien avec l’absence des hommes dans les foyers, ce qui crée une division sexuelle du travail. Dans plusieurs familles haïtiennes, les hommes partent et laissent la responsabilité des enfants à la mère qui doit tout assumer seul.
Il y a un proverbe haïtien qui dit gason pa gen pitit, se fanm ki gen pitit ce qui signifie que les femmes ont des enfants et non les hommes (Joseph, 2015). Le fardeau d’élever les enfants et de pourvoir pour la famille, font en sorte que celles-ci n’y arrivent pas financièrement et doivent se retourner vers le système restavèk.
De plus, le fait que les femmes soient en charge du travail domestique est un exemple de la division sexuelle du travail. Comme le mentionne Gilbert (2001), ce type d’emploi pénible et exigeant, poussent les femmes haïtiennes à l’épuisement physique et mental. Tel que mentionné dans les paragraphes précédents, l’éducation et la charge financière sont les principales raisons qui incitent les mères à placer leurs filles dans le système restavèk, car celles-ci n’ont pas les moyens de prendre en charge la famille et de payer pour leur éducation.
De plus, le système restavèk s’est en grande partie construit à travers l’exploitation des jeunes filles ce que Mathieu (1970) qualifie de sexisme et d’âgisme. Telle que l’analyse Aristide (2003), la situation de ces enfants est qualifiée d’esclavage par des organisations nationales et internationales. Les jeunes filles restavèk s’occupent gratuitement du travail domestique et participent aux activités productives des familles qui les reçoivent (Aristide, 2003).
Selon Duffy (2007), l’idéologie du travail reproductif vient de Karl Marx et Friedrich Engels qui ont tenté de faire la différence entre la production de biens dans l’économie et la reproduction de la force nécessaire au maintien de l’économie productive. Le concept a été développé un peu avant les années 1970 et avait pour but de nommer et analyser une catégorie de travail qui était pratiquement invisible dans l’économie et la sociologie c’est-à-dire le travail non rémunéré des femmes dans des maisons (Duffy, 2007).
Wally Secombe explique que « lorsque la femme au foyer agit directement sur les biens achetés au salaire et modifie nécessairement leur forme, son travail fait partie de la masse figée du travail passé incarné par la force de travail » (Secombe, 1974, p. 9). L’utilisation de ce concept a permis aux socialistes-féministes d’intégrer toutes les activités des femmes travaillant dans des foyers dans le discours de l’économie marxiste (Duffy, 20 027).
Evelyn Nakano Glenn (1992), rapporte que malgré le fait que les liens entre le travail domestique et le genre furent largement étudiés, le mouvement à grande échelle de l’universalisation des expériences des femmes vers une approche intersectionnelle qui prend en considération la race, le genre, la citoyenneté et d’autres inégalités soit relativement récent (Glen, 1992).
En addition, Glenn soutient que la compréhension des relations entre la race, le sexe et le travail reproductif est au cœur du projet d’intersectionnalité. Selon elle, la division raciale du travail reproductif est la clé de l’exploitation distincte des femmes de couleur. L’intersectionnalité est essentielle au développement d’un modèle intégré de race et de genre qui ferait en sorte que le problème soit traité comme un tout, plutôt que des systèmes additifs (Glen, 1992).
La recherche sur le service domestique de Chang (2002) a permis de démontrer que le travail reproductif rémunéré sous forme de service domestique est important pour développer une compréhension intégrée des inégalités. Elle explique que l’examen de la relation domestique offre une opportunité pour l’exploration de la situation à travers trois structures de pouvoir soit la classe, la hiérarchie sexuelle patriarcale et la division raciale du travail (Chang, 2002).
Malgré que le fait que la majorité de la population haïtienne soit noire, on peut tout de même constater que les restavèk sont victime de ce système qui est grandement parti relié à leur classe sociale étant donné que ceux-ci proviennent de familles pauvres et en ce qui concerne les jeunes filles, elles sont victime de la hiérarchie sexuelle patriarcale du système haïtien. Cette division peut même se voir à travers la division des tâches entre fille et jeune garçon.
Glenn fait valoir qu’en dépit de la transformation historique à grande échelle du travail reproductif, les femmes de souches raciales étaient représentées de manière disproportionnée comme domestiques. Elles accomplissent des tâches laborieuses d’entretien de maison (Glen, 1992).
Les conditions qui font que les femmes haïtiennes s’engagent dans le travail domestique font partie de ce que Sen & Grown (1988), identifient comme des contraintes liées à l’héritage colonial du pays. Ces contraintes sont reliées à l’accès inégal aux revenus, à l’emploi et à la privation des besoins de base en fonction de différentes positions sociales et aux différents marqueurs tels que le sexe, la classe et la race.
Kofman & Rahuram (2010) expliquent que les activités de soins rémunérés sont hautement stratifiées et reléguées à celles qui manquent de pouvoir et de statut économiques, politiques et sociaux. Cette inégalité entre les sexes, qui est intersectionnelle, s’applique également au travail reproductif non rémunéré. Il peut être visible chez les femmes, et les hommes à travers la race, la classe sociale et les statuts juridiques (Kofman & Rahuram, 2010).
La race, est un élément constitue de la diversité des facteurs qui aggravent l’intersectionnalité du travail domestique et sa pertinence dans les Caraïbes postcoloniales. Le trafic et l’esclavage des peuples africains ont contribué à définir les hiérarchies raciales qui ont structuré l’histoire de la région. Raghuram (2019) explique que l’esclavage et le colonialisme définissaient qui soignait et qui recevaient de « soins ».
Il a expliqué que la reproduction sociale a eu lieu et surtout a exploité le travail biologique et social de reproduction des femmes noire de manière spécifique (Raghuram, 2019). Noxolo a expliqué que sous l’esclavage, le corps de la femme noire se subissait de l’exploitation raciale et sexuelle tel que le travail forcé, le viol ainsi que la reproduction (Noxolo, 2008). Le travail des femmes noires était historiquement exploité pour la production des conditions de vies des propriétaires d’esclaves, elles étaient exploitées par le biais de leur travail domestique forcé ainsi que pour leur exploitation sexuelle à travers la violence sexuelle et le harcèlement (Noxolo, 2008).
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le système restavèk en Haïti ?
Le système restavèk est une pratique où des enfants sont placés comme domestiques dans des familles aisées par des parents en situation de pauvreté, accomplissant des tâches domestiques sans rémunération, décrite comme une forme d’esclavage moderne.
Comment la pauvreté affecte-t-elle le système restavèk ?
La pauvreté dans le monde affecte les femmes de manière disproportionnée, ce qui contribue à l’esclavage des enfants, car les familles en difficulté envoient leurs enfants dans d’autres régions dans l’espoir de leur offrir de meilleures chances.
Quel est l’impact de l’éducation sur le système restavèk ?
L’éducation est une des principales raisons pour lesquelles les familles haïtiennes choisissent d’envoyer leurs enfants dans d’autres familles, mais le gouvernement haïtien ne finance qu’environ 10 % de la scolarité, rendant l’éducation inaccessible pour beaucoup.