Les défis et solutions restavèk Haïti révèlent une réalité troublante : près de 300 000 enfants vivent dans des conditions d’esclavage moderne. Cette étude postcoloniale met en lumière les origines historiques de cette pratique et propose des pistes de réflexion pour améliorer le bien-être des enfants concernés.
Une posture postcoloniale
Le colonialisme est la résultante de l’expansion des nations dominantes à la recherche de ressources naturelles et de territoires propices pour assurer leur expansion (Balibar, 2005). Les populations occupant précédemment ces territoires deviendront alors des sociétés sous l’emprise de cette nation dite colonialiste (Balibar, 2005). Le post-colonialisme est la période qui succède au moment où ces populations décident de s’affranchir et d’accéder à leur indépendance face à la nation colonisatrice (Ceyrat, 2009).
Les théories postcoloniales nous permettent de mieux comprendre les impacts du colonialisme et de la domination coloniale sur les populations colonisées, ainsi que sur les territoires colonisés. Afin d’assurer sa domination l’état colonisateur impose son système politique et économique sur ces sociétés sous sa domination avec pour effet de modifier grandement plusieurs aspects identitaires de ces sociétés, et les rendre méconnaissables dans certains cas (Ceyrat, 2009).
En tant que domaine de recherche le postcolonialisme aborde les questions qui émergent en relation avec les séquelles de l’impérialisme.
Fanon, psychanalyste et philosophe martiniquais, a présenté l’une des analyses les plus brûlantes et des plus provocantes de la relation entre colonisés et colonisateurs dans Les damnés de la terre (1961) ainsi que dans Peau noire, masques blancs (1952). Fanon est aussi connu pour sa justification de la violence dans Les damnés de la terre où elle est présentée comme la réponse appropriée à la violence perpétrée par le colonialisme et comme la médiation par laquelle les colonisés peuvent commencer à récupérer leur libre arbitre.
Les travaux de Fanon démontrent l’influence postcoloniale sur la race, le nationalisme, l’économie, la géopolitique et l’identité culturelle sous une forme active et combative. Dans le livre Peau noire, masques blancs l’auteur appliqué la psychanalyse et la théorie psychanalytique pour expliquer les sentiments d’insuffisance que les Noirs éprouvent dans un monde blanc.
Le processus de perte de leurs origines culturelles natales et d’adoption de la culture de la colonie a formé un complexe d’infériorité dans l’esprit du sujet noir, qui tente alors de s’approprier et d’imiter la culture du colonisateur. Dans l’ouvrage Les damnés de la terre, Fanon, soutient qu’en plus de s’approprier les terres et les ressources des peuples colonisés, le colonisateur attaque la culture de celui qu’il veut contrôler, car la culture est la dernière forme de résistance au colonisateur.
Même si la culture est quelque chose de moins tangible que la terre et les ressources, il est plus efficace comme moyen de saper les identités et les systèmes de valeurs qui sont distincts du colonisateur (Fanon, & Gibson, 2016). Fanon a combiné une analyse matérielle et psychologique des conséquences du colonialisme, qui a examiné à la fois les micros et macro-effets et l’expérience du gouvernement colonial.
Parmi ces conséquences et leurs effets, tel qu’identifiés et étudiés par Fanon et d’autres théoriciens, il y a le fait que le colonisé et le colonisateur sont tous deux impliqués dans les horreurs de l’impérialisme, et tous deux devront être décolonisés. Les colonisés doivent trouver un moyen de surmonter l’imposition d’un pouvoir étranger non seulement sur leur territoire, mais aussi sur leur esprit et leur corps (Fanon, & Gibson, 2016).
Les travaux de Fanon (dans Bulhan, 2004) ont mis l’accent sur la relation complexe entre l’impérialisme et le nationalisme, qui est restée au centre de beaucoup d’écrits postcoloniaux. L’aspiration à l’autodétermination au cœur des luttes anticoloniales s’est avérée difficile à institutionnaliser démocratiquement dans les États postcoloniaux existants.
En tant que champ de recherche qui tente de systématiser les concepts et les catégories interprétatives, la théorie postcoloniale est très récente. Néanmoins, le processus de décolonialité consiste en une pratique d’opposition et d’intervention, dont l’existence réelle a commencé lorsque le premier sujet colonial du monde colonial a réagi contre les entreprises impériales à la fin des années 1400 (Ashcroft, Griffiths, & Tiffin, 2013).
De plus, sans utiliser le terme « colonialité », il a été possible d’identifier l’idée qui tourne autour de ce concept à travers la tradition des révolutionnaires et des écrivains noirs. À titre d’exemple, on peut trouver simultanément cette idée chez des auteurs comme W.E.B. Du Bois, Frantz Fanon, Aimé Césaire et Angela Davis (Ceyrat, 2008).
La place du début du système européen (patriarcat, christianisme) dans les Amériques a des répercussions importantes pour les théoriciens de la décolonisation. En d’autres termes, sans colonialisme, il n’y aurait pas de modernité. Sur la base de cette formulation, le concept de « colonialité du pouvoir » est au cœur de l’idée que la race et le racisme constituent les principes organisateurs des relations de pouvoir et de l’accumulation du capital à l’échelle mondiale (Ashcroft, Griffiths, & Tiffin, 2013).
Au sein de ce nouveau système mondial, la différence entre conquérants et vaincus s’organisait dans l’idée de race. Ce modèle de pouvoir ne se limitait pas au contrôle du travail, mais impliquait également le contrôle de l’État et de ses institutions, ainsi que la production de connaissances (Ashcroft, Griffiths, & Tiffin, 2013).
À partir du XVIe siècle, la formation de l’eurocentrisme a légitimé la domination et l’exploitation impériales par la création de la dichotomie du monde moderne (Kuhl,2002). Ainsi,
« l’autre » qui était censé être sans religion, sans littérature, sans histoire, sans développement, ni démocratie était vu comme opposé à l’Européen. Sous la catégorisation de l’altérité se trouve le mythe de la modernité dans lequel la civilisation moderne s’est décrite comme la plus développée et la plus supérieure (Bhabha, 2006). Par conséquent, selon cette ligne de pensée, les Européens ont l’obligation morale de civiliser les cultures considérées comme primitives. Cette idée dominante était présente dans les discours coloniaux et plus tard dans les sciences humaines et sociales qui, par conséquent, décrivaient le monde à travers des classifications modernes (Bhabha, 2006).
Ce discours classait tout en subordonnant les populations autochtones, les Africains, les musulmans, les juifs et autres. Le contexte de la modernité sous-catégorise systématiquement l’autre, niant leur protagoniste dans les descriptions hégémoniques de la modernité. Puisque ces descriptions sont créées selon une norme européenne, l’Europe elle-même devient le lieu standard de la civilisation.
Par conséquent, le premier discours qui invente, classe et « subalterne » l’autre est aussi le premier discours de la naissance du système mondial moderne. D’un point de vue philosophique, cette frontière est établie par le principe de pureté de sang qui a établi des classifications et des hiérarchies entre les religions (Collignon, 2007).
Ce premier discours qui a imposé les premières différences coloniales dans le système mondial colonial passe par des transformations successives, telles que le racisme scientifique du XIXe siècle, l’invention de l’Orient, l’islamophobie moderne, etc. (Collignon, 2007). Cependant, les sujets coloniaux qui étaient aux frontières physiques et imaginaires de la modernité n’étaient pas et ne sont pas des êtres passifs.
Ils peuvent soit s’intégrer dans la conception globale des histoires locales forgées par le colonisateur, soit les rejeter. C’est dans ces frontières, marquées par la différence coloniale, que s’opère la colonialité du pouvoir, et c’est de ces frontières que la pensée frontalière peut émerger comme projet décolonial (Ashcroft, Griffiths, & Tiffin, 2013).
Le postcolonialisme théorise les frontières qui rompent avec les oppositions binaires, c’est- à-dire les limites perçues autour des idées essentialistes et fixes. De plus, la perspective décoloniale est le lieu d’énonciation où la connaissance est formulée pour faire partie des perspectives et des expériences des sujets subalternes et, en outre, considérer les limites de l’espace où les différences sont réinventées.
Cela implique une connexion entre le lieu et la pensée. Cependant, il faut distinguer le lieu épistémique et le lieu social. Le succès du système colonial consiste à amener des individus socialement situés du côté opprimé de la différence coloniale à penser épistémiquement comme ceux qui occupent des positions dominantes. Dire que le lieu d’énonciation d’un individu marginalisé doit aller à l’encontre des paradigmes hégémoniques eurocentriques, même quand on parle d’un lieu particulier, devient difficile lorsque l’individu assume qu’il est universel et apolitique (Bhabha, 2006).
Dans le discours colonial, le corps colonisé était vu comme un corps dénué de volonté et de subjectivité, dépourvu de voix et prêt à servir. Les corps réduits en esclavage étaient traités comme s’ils étaient dépourvus d’émotions (Haase-Dubosc & Lal, 2006). L’homme colonisé était réduit à la tâche du travail, tandis que la femme colonisée devenait l’objet du plaisir et du désir. À travers la logique coloniale, le corps du sujet colonisé avait des identités fixes.
Tel que constaté dans le chapitre précédent, il y a beaucoup plus de jeunes filles en situation de domesticité que de jeunes garçons. En raison de cette constatation, il est impératif de discuter du postcolonialisme dans le contexte du genre.
Bien que certaines formes de colonialisme aient formellement pris fin, l’impérialisme et la mondialisation perpétuent cependant diverses formes d’inégalité. Le colonialisme a légitimé des identités spécifiques et créé des structures d’oppression qui, à ce jour, privilégient des groupes spécifiques au détriment des autres. En d’autres mots, il a rectifié les identités en tant que forme de contrôle sur diverses cultures et établi les hiérarchies qui les régissent (Haase-Dubosc & Lal, 2006). Au sommet de la hiérarchie se trouve l’homme blanc qui se considère comme un symbole universel, auquel tout autre individu devient une sous-catégorie.
L’augmentation de la violence contre les femmes est un symptôme de l’expansion de la croyance patriarcale et sexiste selon laquelle les hommes sont plus forts et plus capables que les femmes. Par conséquent, leur autorité est en quelque sorte perçue comme un signe de pouvoir. Plus dangereusement, cette idéologie se transmet systématiquement de l’école primaire à l’enseignement supérieur, et socialement à travers les familles, les religions, les cultures et les traditions. L’impérialisme et les pratiques coloniales, y compris une idéologie patriarcale, monopolisent tout un système de représentation (Wieviorka, 1998).
La critique postcoloniale a insisté sur le fait que la colonisation ne devrait pas être considérée comme une entité ou une catégorie unique pour tous les individus touchés par elle, attirant l’attention sur le fait que les femmes occupent une position marginalisée au cœur des sociétés patriarcales. Par conséquent, l’oppression coloniale fonctionne de manière considérablement distincte pour les femmes et les hommes.
Les femmes subissent plusieurs formes de colonisation, car elles sont soumises à la domination coloniale de l’empire et à la domination masculine spécifique du patriarcat. Le système colonial utilisait le corps féminin comme moyen sexuel et reproductif. Par conséquent, les femmes autochtones et afro-descendantes ont reçu un traitement inhumain, et leur sexualité a été l’objet de la curiosité du discours scientifique naturaliste (Richard & Silvia-Tandeciarz, 2004).
________________________
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que la pratique du restavèk en Haïti ?
La pratique du restavèk en Haïti consiste à placer des enfants comme domestiques dans des familles aisées par des parents en situation de pauvreté, accomplissant des tâches domestiques sans rémunération.
Comment le colonialisme a-t-il influencé la pratique du restavèk ?
Le colonialisme a modifié plusieurs aspects identitaires des sociétés colonisées, ce qui a contribué à la persistance de pratiques comme le restavèk, liées au passé esclavagiste d’Haïti.
Quels sont les impacts du restavèk sur le bien-être des enfants en Haïti ?
Le restavèk est décrit comme une forme d’esclavage moderne, et les conditions de vie des enfants concernés sont souvent précaires, affectant leur bien-être général.