L’organisation des comités de classe en Haïti révèle des dynamiques de pouvoir surprenantes entre les sexes. Cette étude met en lumière comment ces structures influencent les rapports pédagogiques, soulignant des inégalités persistantes qui désavantagent les filles dans le système éducatif.
6.3- Des expériences différentes selon le sexe à l’école secondaire en Haïti
6.3.1- Comment s’organisent les comités de classe ?
L’école haïtienne est un espace où les élèves font l’expérience d’un type d’organisation par le biais des structures que sont les comités de classe. Le schéma général est que ces derniers sont formés dans toutes les classes de la sixième à la philo et se changent à chaque niveau, ou à chaque nouvelle année scolaire en permettant à de nouveaux membres de « diriger » la classe.
Les comités de classe attribuent des rôles de président.e, de vice- président.e et de secrétaire suite à des élections organisées dans les salles de classe. Cette expérience est vécue différemment suivant qu’il s’agit de filles ou de garçons avec des perceptions et attitudes traditionnelles des rôles que devrait accomplir chacun-e. Jonathan, un élève en Rétho au Lycée national de Carrefour Feuilles témoigne :
« Dans les comités de classe, le nettoyage devrait être la responsabilité des filles mais au lycée, les rôles sont volontaires, n’importe qui peut postuler pour jouer un rôle. Dans ma classe, les rôles respectifs des filles et des garçons ne sont pas respectés. Dans ma classe depuis la sixième jusqu’à la philo, les garçons sont toujours plus actifs » (Extrait d’entretien, enquête de terrain de l’étudiante).
En dépit des progrès en matière d’égalité entre les sexes et des efforts des femmes pour poursuivre des carrières traditionnellement réservées aux hommes, on dénote la persistance de discriminations et de préjugés sexistes chez les adolescent.e.s, les stéréotypes sociaux étant fermement ancrés dans les mentalités. Ceux-ci prennent forme dans l’expérimentation de tâches différentes suivant leur sexe en se basant sur des aptitudes prétendument naturelles.
Il importe de souligner que cette division sexuelle du travail donne une représentation de l’homme et de la femme de demain. En effet, cette expérience vécue dans les comités de classe les prépare à reproduire le schéma traditionnel ou les femmes effectuent des tâches domestiques de moindre valeur tandis que les hommes évoluent dans des taches habituellement dévolues à leur sexe et dotées d’un plus grand prestige social. Par la répétition sexuée des tâches, il y a un renseignement sur la perception du masculin et du féminin. Johanne, une élève en classe terminale du Collège Saint Pierre confie :
« Les tâches ménagères, ce sont les filles qui les assurent ; parfois les garçons peuvent aider dans le nettoyage ou pour aller au marché. Mais, monter la programmation, faire venir le Dj ; tout ça, ce sont les garçons qui les exécutent. C’est plus du domaine des garçons que des filles. Les filles, elles, sont là pour faire à manger et organiser la journée » (Extrait d’entretien, enquête de terrain de l’étudiante).
Dans ces conditions, les filles s’alignent sur une éthique de responsabilité où le temps pour soi, les loisirs, dans son extrême, ne sont pas alors pris en compte mais priment dans l’extrême l’oubli de soi et une consécration aux autres.
Pendant les périodes de fête, ou les filles se trouvent impliquées dans les activités domestiques (faire les courses, préparation et distribution des repas), elles disposent d’un temps moins considérable pour leurs études ainsi que les loisirs par rapport aux garçons qui disposent plus de temps pour étudier et se divertir.
D’où, l’importance de « Travailler avec les filles » qui peut être interprété comme une plus grande latitude des garçons à disposer de leur temps, donc à exceller dans les matières. Comme le dit Joan Tronto, « une grande partie des soins n’a de valeur que dans la mesure où ils permettent à ceux dont les besoins sont les plus complètement satisfaits de poursuivre d’autres fins » (Tronto, 1993 :161).
Même si ce n’est pas pris en compte dans la présente étude, il serait judicieux de comparer ces tâches avec celles qu’elles accomplissent dans l’enceinte familiale afin de mieux éclairer nos propos et nous permettre d’explorer sur un autre angle l’excellence scolaire.
6.3.2- Préjugés sociaux liés au genre
La séparation sexuée des taches est appropriée par chaque sexe renforçant des clivages entre eux. Cette accommodation s’appuie sur les modèles proposés de manière générale par la société. Les jeunes, en dépit de ce moment crucial qu’est l’adolescence les mettant face à des remises en question expérimentent une quête de modèles qui favorise la reproduction du schéma traditionnel des femmes assignées à l’espace privé et des hommes à l’espace public.
Cette assignation de tâches place les filles dans des rôles de service qui ne leur permettent pas d’expérimenter d’autres rôles qui impliquent sans doute plus de challenge ni de rompre avec des préjugés liés au genre. Ainsi, ils passent à côté d’autres formes de coopération entre les sexes plus profitable pour l’égalité.
Par exemple, le collège Cours Privés Edmé a recours à un autre modèle de collaboration entre filles et garçons. Les rôles ne sont pas attribués d’avance mais se répartissent de façon volontaire suivant les aptitudes de chacun. Michel, un élève en classe terminale nous confie :
« La répartition des taches se fait selon la capacité de chacun. Quelqu’un est très sociable par exemple et qu’on a besoin de quelqu’un pour parler, pour faire passer une communication, on choisit cette personne pour l’effectuer. On collabore, en effet, suivant la capacité des gens » (Extrait d’entretien, enquête de terrain de l’étudiante).
L’avantage de ce modèle, c’est de permettre à chacun de mettre en valeur son potentiel tout en faisant fi des stéréotypes sexués. Il contribue à déplacer les rôles pour faire valoir des aptitudes et des élans. Chacun.e peut alors se proposer dans des tâches dans lesquelles il/elle se sent vraiment à l’aise sans pourtant être jugé.e d’empiéter sur des prétendues taches masculines ou féminines ou de sentir que tel ou tel type de tâche est l’apanage de l’un ou l’autre sexe.
C’est le cas de Joël, un adolescent en classe terminale au Cours Privé Edmé, qui affirme : « Dès qu’il s’agit de faire des beignets dans la salle c’est moi qui les fais. J’aime aussi aller au marché » (Extrait d’entretien, enquête de terrain de l’auteure).
L’expérimentation de ce modèle pro égalitaire pourrait être expliqué par le fait que cette école privée est fréquentée par des fils et des filles des classes moyennes et des catégories sociales aisées. On peut facilement admettre que ces derniers bénéficient d’une plus grande marge de manœuvre quant aux activités ludiques qui leur sont proposées et cuisiner pourra être considéré comme un passe-temps en raison du niveau de vie de leurs parents qui ne leur obligent pas à le faire.
Par contre, ces tâches domestiques peuvent être le propre des auxiliaires de vie communément appelés des « servantes » qui sont des femmes des classes sociales appauvries. Beaucoup affirment qu’ils ont été scolarisés à l’étranger suite au séisme ravageur du 12 janvier 2010 et qu’ils habitent dans les quartiers résidentiels de la région métropolitaine de Port-au-Prince ; ce qui n’est pas le cas de des élèves du Lycée de Carrefour-Feuilles ni du Collège Saint Pierre.
De plus, ces élèves du Cours Prive Edmé ont même un curriculum différent qui contient des matières qui ne figurent pas dans la programmation du Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP). Ils sont conscients de bénéficier d’autres cours qui les rendent aptes à être mieux préparés pour la vie : « Oui nous avons beaucoup de cours que les élèves d’autres écoles en Haïti n’ont pas.
Par exemple, il y a un cours qui s’appelle cours de méthodologie, cela nous apprend beaucoup de choses sur la vie, sur nous-mêmes. Il y a ensuite le cours d’histoire de l’art » (Extrait d’entretien, enquête de terrain de l’étudiante).
Par ailleurs, les élèves du lycée de Carrefour-Feuilles révèlent ne pas avoir beaucoup d’activités récréatives. Les lycéen.ne.s est centré sur les cours dispensés par les professeurs.
Questions Fréquemment Posées
Comment s’organisent les comités de classe dans les écoles secondaires en Haïti ?
Les comités de classe sont formés dans toutes les classes de la sixième à la philo et se changent à chaque niveau, permettant à de nouveaux membres de diriger la classe.
Quelles inégalités de genre sont observées dans les comités de classe en Haïti ?
Les expériences vécues dans les comités de classe sont différentes selon le sexe, avec des stéréotypes de genre qui influencent les rôles attribués aux filles et aux garçons.
Comment les rôles de genre affectent-ils les études des filles en Haïti ?
Les filles, souvent responsables des tâches ménagères, disposent de moins de temps pour leurs études et loisirs, ce qui désavantage leur performance académique par rapport aux garçons.