Quelles sont les meilleures pratiques éducatives en Haïti pour réduire les inégalités de genre?

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🏫 Université d'État d'Haïti - Faculté des Sciences Humaines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de licence
🎓 Auteur·trice·s
Chéry, Jeanne-Elsa
Chéry, Jeanne-Elsa

Quelles sont les meilleures pratiques éducatives en Haïti face à l’inégalité de genre ? Cette étude révèle comment le sexisme dans les écoles secondaires mixtes de Port-au-Prince façonne les rapports pédagogiques, désavantageant les filles et soulignant l’urgence d’une réforme éducative.


Chapitre V- Femmes et hommes sur un terrain d’inégalité en Haïti

Ce chapitre fait l’objet des conditions de vie des femmes haïtiennes dans plusieurs secteurs d’activités. Dans un premier temps, nous tentons de démontrer qu’en dépit du fait que bon nombre de femmes évoluent dans des secteurs vitaux de la société, les rapports inégalitaires entre les sexes sont notoires en Haïti. De ce fait, toute la vie sociale en ressort imprégnée. Nous y exposons comment ce travail est à la base même de l’idéologie patriarcale qui structure depuis des millénaires les rapports de sujétion des femmes et des filles en leur écartant des sphères productives, plus prestigieuses sur le plan social.

5 – Haïti, une société foncièrement inégalitaire

5.1- Clivages sociaux et activités économiques

5.1.1- La sphère productive, profondément inégalitaire

Comme il est possible de le constater dans les rues, au marché et dans le secteur de la sous-traitance notamment, les femmes haïtiennes sont très actives, ce qui fait qu’elles détiennent le taux d’activité le plus élevé dans la région Caraïbe. Après la Jamaïque qui a un pourcentage de population féminine active de 46% ; Haïti se place tout juste après avec un taux de 43% ; Cuba, Panama et le Mexique ont un pourcentage respectivement de 38%, 34% et 32% (Gilbert, 2001 :10).

Pourtant, ce pourcentage gobe une réalité criante qui est la forte disparité des femmes par rapport aux hommes dans les secteurs d’activité respectifs. C’est cette réalité que Myrtha Gilbert expose dans son ouvrage : « Luttes des femmes et luttes sociales en Haïti » (Gilbert, 2001). Scrutant cas par cas chaque secteur d’activité, l’auteure analyse les clivages existant entre les sexes et l’ampleur de ces derniers dans presque toutes les couches sociales.

Elle privilégie dans son travail trois secteurs d’activités-clés où les femmes s’exécutent. C’est celui du travail des femmes, celui de l’éducation et celui de la santé. Nous allons tenir compte des deux premiers secteurs qui se révèlent prioritaires pour nous dans le cadre de notre travail.

Dans l’agriculture, en dépit d’une nette régression des femmes dans ce secteur à cause de la crise de l’agraire haïtien qui est passé de 82,2 % en 1950 à 61,4 % en 1971 et de son corollaire, l’exode rural, il s’est suivi d’une féminisation de la pauvreté car ce sont ces femmes qui viennent grossir le rang des marchandes de rue et dans l’informel et qui ne sont protégées

contre le vol, les intempéries et même le rapt malveillant de leurs marchandises par des larcins et les agents de la mairie. Reproduisons ici le tableau de Gilbert qui assoit ces profondes disparités.

Tableau 3 : Population occupée par branche d’activité et par sexe en pourcentage

Population occupée par branche d’activité et par sexe en pourcentage
Parameter/CriteriaDescription/Value
Jamaïque46%
Haïti43%
Cuba38%
Panama34%
Mexique32%

Source : Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI) (EBCM 1999-2000) (Gilbert, 2001 :12).

Il importe de remarquer que c’est seulement dans le secteur du commerce que les femmes dominent mais ce sont dans les branches les plus précaires qu’elles se retrouvent, affirme Gilbert : « S’il existe un domaine où le savoir-faire de la femme haïtienne est éprouvé c’est celui du commerce, surtout celui des vivres alimentaires qu’elle domine largement » (Gilbert, 2010 :13).

« En effet, elle se charge à 90% de la commercialisation des produits vivriers à travers 200 marchés ruraux et 110 marchés urbains, et de nos jours, des dizaines de marchés de rue où elle se rend à pied, à dos d’âne ou de mulet, en camion ou en « Tap-Tap »12. Mirtha Gilbert continue pour dire : « Les branches d’activités les mieux rémunérées comme la fabrication de produits alimentaires emploient une main d’œuvre majoritairement masculine : 78% d’hommes contre 22% de femmes » (Gilbert, 2010 : 18). Pourtant, en dépit de ces charges

12 Une tap-tap est une voiture (camionnette) utilisée majoritairement dans les transports publics, dont les couvertures sont peinturlurées et présentent généralement l’art naïf haïtien.

d’activités éreintant pour leur physique et leur mental, Gilbert fait un triste constat c’est que les femmes, notamment celles des couches populaires se trouvent dans l’impératif de s’occuper des travaux domestiques et des taches du care qui peuvent être très corsées. Rappelons en plus de se trouver dans les activités les moins rentables et moins valorisantes, les femmes effectuent leur travail dans un environnement des moins sanitaires, le cas des « Madan Sara »13, en est un exemple probant.

Il faut reconnaitre que même si l’auteure campe la situation des femmes des couches populaires et parle de leurs nombreuses responsabilités, elle débouche sur une approche peu critique de la femme « Potomitan ». La sociologue Sabine Lamour, dans sa thèse intitulée : Entre imaginaire et histoire : une approche du potomitan en Haïti » (Lamour, 2017) revisite la figure du « Potomitan » dans la société haïtienne qui charrie pour les femmes l’obligation de se soumettre à de lourdes responsabilités, et dont le principal investissement consiste en la prise en charge des autres, sans possibilité de réelle émancipation pour elles. En l’absence de prise de responsabilité de la part de l’Etat, c’est la femme haïtienne qu’on responsabilise par

« délégation ». Pour revenir à Gilbert, elle ne campe pas les activités de ces femmes dans une forme de placardage de stratégie de survivance en situation de pères absentéistes et peu impliqués dans le maintien de la vie familiale et l’éducation des enfants (pris au sens large du terme). Par ailleurs, elle n’a pas mentionné que les rôles sont parfois très rigides et très stéréotypés en ce qui a trait à la gestion du foyer.

Surtout dans les classes moyennes où le niveau de vie est plus élevé ; même si les hommes contribuent, ils le font dans certains détails qui calquent sur la responsabilité de ce que devrait faire un homme versus ce que doit faire une femme. Par exemple s’assurer que l’écolage des enfants est payé dans certains cas (du moins pour les couples en concubinage), émonder les plantes, fermer les portes aux heures indues, acheter du matériel de maison adapté à des travaux requérant la force physique

qu’ils assurent en grande partie sont des tâches qui sont occultées et prises dans la foulée d’une « prétention » de manque d’engagement des hommes dans la gestion du foyer. Les tâches de soins des enfants, préparation des repas et autres sont dévolues aux femmes en raison de prétendues aptitudes naturelles. La réalité des couches populaires est surtout bien plus

13 Une Madan Sara est une marchande ambulante qui assure le commerce en gros et en détail, majoritairement de produits vivriers, des sections communales ou des villes de province vers les grandes villes, dans de mauvaises conditions de transport. Elles sont surnommées après un oiseau (colibri en français et Madan Sara en créole), dont le cri est très bruyant.

complexe En résumé, le texte de Gilbert est surtout descriptif, il n’offre pas une analyse approfondie de nombreux paramètres que nous avons soulignés.

5.1.2. Sexisme et naturalisation des femmes

Rappelons que le travail réalisé par les femmes fut pendant longtemps apprécié en opposition à celui des hommes, de façon différenciée. L’argument longtemps avancé par exemple fut la protection des femmes (Proudhon) et par ricochet de la préservation de l’unité familiale comme quoi, les femmes détiennent un élan naturel pour la sphère domestique, comme nous l’avons souligné dans le paragraphe précédent.

Cette appréciation se trouve cristallisée chez nous dans la politique de deux poids deux mesures dans les provinces haïtiennes à envoyer les garçons à l’école au lieu des filles quand les moyens économiques sont faibles alors que les filles restent dans l’enceinte familiale pour s’assurer du gros lot des tâches domestiques ou accompagnent leurs mères au marché.

Ce qui n’est pas en effet une protection, quand on considère la lourdeur et l’investissement physique et psychique qu’impliquent ces taches. D’un côté, en dépit de la considération du travail salarié depuis le 19ème siècle comme condition inéluctable de l’émancipation des femmes, elles continuent de faire face à une répartition inégale des tâches domestiques.

A juste titre, Margareth Maruani cité par Geneviève Fraisse (Fraisse, 2010 : 549) a fait l’amer constat que les femmes d’une façon globale se trouvent dans l’obligation d’allier emploi et ménage ; en faisant un cumul d’activités ; sans que cette réalité soit pour le moins similaire pour les hommes. D’un autre côté, ce travail additionnel n’est pas pris à sa juste valeur et entérine la conception qu’elle est due par les femmes elles-mêmes.

La division sexuelle du travail étant historiquement prise dans son antagonisme entre reproduction et production, les féministes se sont basé.e.s sur l’idéologie marxiste selon laquelle tout travail est productif pour asseoir une nouvelle conception du travail domestique et éventuellement lutter pour lui attribuer un salaire. Le fait que ce dernier était et continue d’être assuré massivement par les femmes, renvoie à une autre conception rétrograde suivant laquelle les femmes appartiennent à la communauté ; qu’elles sont un bien commun, tenues de servir.

Or, « L’idée de communauté des femmes comme telle enlève à la femme sa position de sujet, suppose qu’elle n’est pas maitresse de sa tête. » (Fraisse ; 2010 : 548).

Bien que la lutte des femmes fût de combattre les interdictions et les restrictions, n’empêche qu’elles continuent dans la même lignée de valeurs traditionnelles qui jadis

visaient à les enfermer dans la sphère familiale et établir sinon maintenir le principe de séparation entre les sexes. Il faut croire que l’émancipation des femmes et par ricochet des filles transcende les réalités individuelles mais s’enracine dans une complexité qui surpasse les femmes et les filles elles-mêmes. Car le sexisme loin de représenter des cas distincts est un système d’inégalité qui envahit tous les espaces dont l’école, en fonctionnant comme un système :

« Dans une société patriarcale, le sexisme est un système en soi, structuré par cette société et l’école le perpétue tout autant qu’elle le suscite- de même la famille. Et si ce sexisme perdure, même s’il est malmené par les luttes politiques, c’est à chaque endroit de la société qu’on en retrouvera l’effet et la cause. » (Fraisse ; 2010 :533-534).

Le sexisme structure l’arbitraire entre les gens en légitimant l’indéfendable : le pouvoir « mâle », absolu, patriarcal. En justifiant non seulement l’exclusion des femmes et des filles des structures prestigieuses mais aussi en orchestrant leur subalternisation, il assure les privilèges masculins.


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les inégalités de genre dans l’éducation en Haïti?

L’analyse révèle la présence du sexisme en milieu scolaire et montre comment l’éducation n’est pas exempte de valeurs genrées, désavantageant les filles par rapport aux garçons.

Comment les constructions sociales impactent-elles l’éducation des adolescents en Haïti?

Les constructions sociales du féminin et du masculin impactent les rapports pédagogiques, désavantageant les filles par rapport aux garçons.

Quel est le taux d’activité des femmes en Haïti par rapport aux hommes?

Les femmes haïtiennes détiennent le taux d’activité le plus élevé dans la région Caraïbe, avec 43%, mais elles subissent une forte disparité par rapport aux hommes dans les secteurs d’activité respectifs.

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