Les applications pratiques de l’éducation révèlent des inégalités de genre surprenantes dans les établissements scolaires haïtiens. Cette recherche met en lumière comment les constructions sociales influencent les rapports pédagogiques, désavantagent les filles et soulève des questions cruciales sur l’équité en milieu éducatif.
1.2- Le genre, un concept qui dérange
1.2.1- Le genre, un concept qui prend le contrepied du naturalisme
Le concept de genre a connu dans son développement plusieurs élaborations conceptuelles. Plus en vogue à ses débuts dans les communautés scientifiques anglo-saxonnes, il a été défini dans les sciences sociales, pour la première fois par Ann Oakley (1972), comme la classification sociale en masculin et en féminin, ce par quoi on transforme culturellement le
« mâle » et la « femelle » en des catégories binaires. Le genre pour Oakley signifie l’appropriation sociale qui est faite des différences biologiques, suivant la culture. Il s’appuie sur l’ensemble des attributs anatomiques et physiologiques innés et les variables du sexe permettant de distinguer le mâle de la femelle.
Dans le même élan de conceptualisation du genre en France, Nicole-Claude Mathieu va de son côté pour dire que le genre n’est pas une donnée naturelle mais une attribution de sexe social, qui s’appuie sur un traitement différentiel des catégories de sexes. En introduisant la notion de « sexe social », assez similaire au concept de genre, Matthieu considère la dimension politique de la relation entre les sexes avec sa célèbre formule « L’anatomie est politique » qui souligne la dimension politique du sexe.
(Matthieu, 1971 :14).
Gayle S. Rubin, citée par Roland Pfekkerkorn, elle, parle de système sexe/genre. Elle le définit ainsi : « L’ensemble des dispositions par lesquelles une société transforme la sexualité biologique en produits de l’activité humaine et dans lesquels ces besoins sexuels transformés sont satisfaits » (Pfekkerkorn, 2007 :276). Elle fait intervenir l’orchestration politique de la relation entre les sexes tout en montrant pour sa part que les concepts de masculin et de féminin sont construits socialement.
Plus tard, Judith Butler remettra en question la catégorisation binaire de Rubin en défendant la continuité des catégories de sexe et de sexualité ; en ce sens elle pense que le genre ne permet pas d’appréhender les diverses sexualités mais les brouille. Les pratiques sociales telles que les queer sont ainsi écartées dans ces approches du genre.
D’autres auteurs dont Joan Scott introduira la question de pouvoir et de domination dans son approche du genre. Pour cette dernière, le genre est « une façon première de signifier
des rapports de pouvoir ». (Cité par Roland Pfekkerkorn, 2007 : 277). Ces rapports de pouvoir ont pour base l’inégalité et l’établissement d’un rapport de domination entre hommes et femmes. Ils se cristallisent dans la hiérarchisation sociale, qui signifie que l’homme détient une plus grande valeur sociale que la femme en se basant sur les stéréotypes sexuels préexistants comme quoi elles sont différentes ou inférieures aux hommes.
Ces considérations théoriques, qui s’inscrivent dans la perspective constructiviste du genre, permettent de déconstruire les perceptions naturalistes des sexes, qui prévalent depuis des siècles. L’émergence du genre dans les sciences sociales, notamment, a mis le projecteur sur le caractère inepte de l’infériorisation de la femme car orchestré par la société et la culture. La domination sexuelle est non seulement considérée comme une imposition sociale mais aussi comme un fait arbitraire qui peut changer. Le naturalisme s’appuie sur des données naturelles, inchangeables, alors que le genre décharge les catégories sexuelles binaires de leur essence immuable en faisant ressortir la construction sociale qui conduit à des traitements sexuels différenciés.
1.2.2- Le choix du genre au détriment des rapports sociaux de sexe
Le concept rapports sociaux de sexe s’est développé ultérieurement et faiblement en France après que celui de Gender a gagné les pays anglo-saxons. Les analyses en sociologie en termes de rapports sociaux de sexe sont apparues avec le retour progressif des concepts de luttes de classe et d’analyse en termes de classe, dans les années 1950, en France.
Toutes les mobilisations ouvrières des années 1970 ont eu un effet corrélatif sur cette apparition, en raison du retour des concepts marxistes dans la sociologie française. Par ailleurs, la montée considérable des inégalités sociales ont conduit plusieurs auteurs à abandonner l’individualisation du social pour produire des analyses en termes de rapports sociaux.
De ce fait, il devenait improbable de penser les rapports entre hommes et femmes sans passer par les rapports sociaux.
La tradition marxienne et les analyses en termes de rapports de classe connaissant un peu de recul, le terme genre, lui, de son côté s’est imposé beaucoup plus à l’étranger qu’en France en raison de plusieurs facteurs. D’abord, dans les années 1980-1990, le succès de la langue anglaise sur le plan international a joué sa partition dans la publicisation du terme
Gender. Le terme a été accueilli dans les sciences humaines et sociales en s’imposant face à d’autres appellations comme les women studies et les feminist studies. Par contre, en France, le terme Gender a pris du temps avant de se faire connaitre ; la polysémie du terme le désavantageant dans les modes de définitions qui lui sont attribuées sans compter les études de genre qui sont peu institutionnalisées à l’époque en France.
Les analyses en termes de genre vont rapidement avoir la primeur d’abord dans les espaces universitaires aux États-Unis et en Allemagne, puis plus tardivement en France en 1980. Cependant, contrairement aux années 1980 où le concept rapports sociaux de sexe s’est fait connaitre en rapport avec la division sexuelle du travail, en mettant l’emphase sur l’aspect matériel de l’oppression, il connait une nette régression car les politiques européennes ont adopté le terme genre, conduisant ainsi les institutions universitaires à l’utiliser elles aussi.
Contrairement aux rapports sociaux, le terme Gender a été propulsé par les agences internationales et considéré comme moins politique et plus symbolique que celui de rapports sociaux de sexe. Donc, les rapports sociaux de sexe permettent d’appréhender les rapports spécifiques entre les hommes et les femmes. Danièle Kergoat, citée par Pascale Moulinier le définit ainsi :
« Une tension qui structure et traverse l’ensemble du champ social et érige certains phénomènes sociaux en enjeu autour desquels se constituent des groupes aux intérêts antagoniques. Le rapport social de sexe repose d’abord et avant tout sur un rapport hiérarchique entre le groupe social des hommes et le groupe social des femmes. Ces groupes sont en tension permanente autour d’un enjeu social, le travail et ses divisions. » (Moulinier, 2004 :80).
Roland Pffefferkorn établit les caractéristiques du rapport social. Premièrement, il permet de dépasser dialectiquement l’opposition entre approche objective et approche subjective et les unilatéralités réciproques qu’elle entraine. Deuxièmement, il récuse à la fois l’individualisme et l’holisme (Pfefferkorn, 2007 : 11). En fait se basant sur la conception marxiste du travail, le concept rapport social de sexe permet de saisir la dimension surtout matérielle de l’oppression.
Elle questionne la place occupée historiquement par la femme dans le travail, donc elle souligne la hiérarchisation sexuelle dans la sphère productive. L’organisation sociale orchestre l’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et des femmes à la sphère reproductive ainsi que simultanément « à la captation par les hommes des fonctions à forte valeur ajoutée (politiques, religieuses, militaire, etc.) » (Kergoat, 2001 : 89).
Danièle Kergoat identifie les principes de ce fait social, injuste : « Cette forme de division sexuelle a deux principes organisateurs : Le principe de séparation (il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes) ; Le principe hiérarchique (un travail d’homme vaut plus qu’un travail de femmes » (Kergoat, 2001 : 90-97).
Cette hiérarchisation traverse tout le champ social en imposant une hiérarchisation et une dévalorisation du travail féminin, quand elle n’est pas simplement ignorée, prenons en exemple, le travail ménager qui est assuré essentiellement par les femmes et les filles. Le principe de deux poids, deux mesures constitue l’un des éléments fondamentaux sur lesquels se repose toute l’architecture sociale. L’antagonisme qui en ressort illustre l’inadéquation de la construction de l’autre en ennemi, pour répéter Élisabeth Badinter (Badinter, 1997 : 5-6). Mais comment participe l’idéologie de la différenciation dans la construction de l’identité sexuelle ?
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le concept de genre dans l’éducation différentielle?
Le concept de genre a été défini comme la classification sociale en masculin et en féminin, transformant culturellement le ‘mâle’ et la ‘femelle’ en des catégories binaires.
Comment le genre impacte-t-il les rapports pédagogiques en Haïti?
L’étude démontre comment les constructions sociales du féminin et du masculin impactent les rapports pédagogiques et désavantagent les filles par rapport aux garçons.
Quelle est la dimension politique du genre selon Nicole-Claude Mathieu?
Nicole-Claude Mathieu considère que le genre n’est pas une donnée naturelle mais une attribution de sexe social, soulignant la dimension politique de la relation entre les sexes avec sa formule ‘L’anatomie est politique’.