Analyse approfondie du cadre théorique de l’exil chez Sebbar

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🏫 Université 8 Mai 1945 Guelma - Faculté des Lettres et des Langues - Département des Lettres et de la Langue Française
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2016/2017
🎓 Auteur·trice·s
Mlle Touil Imene, Mlle Mouassa Ilham
Mlle Touil Imene, Mlle Mouassa Ilham

Le cadre théorique de l’exil révèle une réalité troublante : comment la séparation d’avec ses racines culturelles façonne l’identité. À travers l’œuvre de Leïla Sebbar, cette étude met en lumière les tensions linguistiques et identitaires, offrant des perspectives essentielles sur la création littéraire en contexte d’exil.


Premier chapitre: L’écriture de l’exil dans Je ne parle pas la langue de mon père

Ce chapitre est concentré uniquement sur le discours de l’exil exprimé dans Je ne parle pas la langue de mon père de Leïla Sebbar. Dès les premières pages de son récit, nous remarquons une claire affirmation de ce problème, largement recherché par l’écrivaine, en exprimant sa séparation avec sa terre natale, son éloignement de sa société, de sa famille, et de ses proches. Dans cette analyse, nous allons aborder la question de l’exil exprimé par l’écrivaine et que ce dernier ne se limite pas seulement à une rupture spatiale mais également linguistique. En insistant sur les conditions sociales qui surgissent dans cette période assez difficile de l’Algérie coloniale.

Dans un premier temps, nous essayerons d’aborder le point de l’espace comme un indicateur de l’exil. Ensuite, nous tenterons d’analyser le rapport existant entre l’écrivaine et son milieu familial puis, analyser la question de la condition du mariage mixte dans cette période coloniale. Nous essayerons par la suite, de mettre en lumière un point essentiel, celui de la langue en société, pour montrer que cet exil rend notre écrivaine une écrivaine entre les deux langues. Enfin, nous tenterons d’analyser deux points primordiaux, la culture d’origine et culture de vie, comment ces deux sociétés contradictoires algérienne et française sont exprimées selon Leïla Sebbar.

En effet, pour bien mener notre premier chapitre, nous essayerons d’adopter une approche sociocritique afin de dégager les conditions existantes dans la société algérienne de Leïla Sebbar dans une période coloniale assez difficile. Ainsi, le statut de notre écrivaine lorsqu’elle se sent exilée au sein même de sa propre communauté et dans son pays natal.

L’espace un indicateur de l’exil

La thématique de l’exil consacre une place centrale dans la littérature maghrébine d’expression française. Mais de quel exil s’agit-il vraiment dans notre étude du roman Je ne parle pas la langue de mon père? Est-ce uniquement l’exil dans la langue (exil linguistique)? Ou est-ce l’exil hors de sa patrie (géographique)?

Avant de parler du terme exil dans notre étude, prenons d’abord la définition de la notion d’exil pour pouvoir ensuite étudier le statut de l’écrivaine. L’exil c’est un terme issu du mot latin exilium, il signifie tout d’abord « bannissement » d’après le dictionnaire Grand Robert. Le verbe « exiler » veut dire se séparer d’un lieu ou du pays natal. Donc l’exil est arboré à travers ces définitions comme un état exigé ou obligé, et il peut faire aussi référence à un état choisi et donc volontaire. Neil B. Bishop, un écrivain et critique littéraire, a aussi vécu l’amertume de l’exil ; il le définit comme suivant :

Cet emprisonnement exiliaire dans un espace dysphorique peut prendre la forme d’une marginalisation ou d’une exclusion volontaire ou subie, le plus souvent par rapport à un milieu social donné, mais parfois par rapport au pays géographique. Or la définition de l’exil prend dans cette perspective, un virage majeur : loin de consister dans le fait de quitter (de gré ou de force) sa patrie, l’exil consiste dans le fait d’y être – ou de sentir – emprisonné.1

Selon lui, on constate que l’exil prend une autre dimension que celle qu’on connaît déjà. Il n’est pas un simple éloignement du pays natal, mais plutôt un voyage douloureux poussé par des raisons politiques, psychologiques, sociales… Ce déchirement d’âme a engendré en lui un confus. Ce confus berce ses idées, ses pensées, ses principes et puis toute sa vie. Cela permet à l’écrivain de se chercher, de se demander sur son passé inconnu et son avenir attendu, ainsi se poser des questions sur la langue d’origine, la religion et la culture ancestrales.

En outre, l’exil ne se résume pas à un changement spatial ou géographique ; c’est une enclave de mémoires, des cultures et des êtres. Cet éloignement mène à une certaine perte identitaire dont la plupart des écrivains souffrent. L’exil a été en effet une expérience réelle pour beaucoup d’écrivains maghrébins, y compris l’écrivaine Leïla Sebbar qui se blâme d’avoir quitté les coutumes, les traditions, les deux seules richesses qu’elle peut hériter de son pays.

1 B-BISHOP, Neil, Anne Hébert, Son œuvre, Leur exils. Presse université de Bordeaux, 1993, p.26.

L’écrivaine se voit donc comme otage dans cet exil-là où toute sa vie se tourne à l’envers de ses traditions ancestrales. Elle se cherche mais en vain, elle n’y arrive pas. Dans ce contexte, elle a écrit : « Je suis une femme dans l’exil, c’est-à-dire à la lisière, frontalière ; en position de franc-tireur, à l’écart, au bord toujours, d’un côté et de l’autre, en déséquilibre permanent. Un déséquilibre qui aujourd’hui…me fait exister, me fait écrire »2

Ainsi, dans Je ne parle pas la langue de mon père, la notion d’exil est centrale, c’est la chose qui pousse Laila Sebbar à écrire selon ses déclarations. Son exil se cachant derrière la voix du narrateur, la douleur que l’écrivaine héberge au fond d’elle s’aggrave de plus en plus. Elle erre cherchant sa destination, elle est devenue sans doute une âme perdue qui ne trouve son remède nulle part. Elle cherche toujours à se reconnaître, mais sans jamais réussir.

« J’ai besoin d’être séparée de l’Algérie, j’ai besoin d’être séparée de la langue de mon père, je veux dire que c’est pour cette raison que je n’apprends pas l’arabe… C’est l’absence, c’est l’exil qui me fait écrire »3

Cette écrivaine est étrangère sans avoir la gloire d’être étrangère. Lorsqu’on lui pose la question de comment elle se place autant qu’écrivaine, Laila Sebbar n’arrive pas à riposter parce qu’elle n’est ni auteure algérienne, ni auteure maghrébine, ce qui provoque une séparation et une lésion entre elle et son pays natal. Cet état marque une double existence, c’est-à-dire un « ici » qui est la France et un « là-bas », pays d’origine, l’Algérie. Donc, c’est un changement dans un autre groupe social, ce mauvais emplacement représente pour elle une source d’interrogation et de questionnement. C’est pour cette raison que plus l’écrivaine s’enfonce dans son exil, plus elle reconnaît des vérités sur son pays natal et lui a ouvert une porte fermée de traces et d’indices.

Donc, elle affirme qu’elle est le produit de divers exils, d’abord l’exil spatial de ses parents, vu qu’ils descendent de deux pays différents, l’Algérie et la France. Sa mère : de la Dordogne à une école des hauts plateaux en Algérie, à Aflou, dans les années 40.

Ensuite, l’exil de son père, celui de la langue, la culture, la politique… Celui-ci est un instituteur à l’école normale à Bouzaréah à Alger, où il enseigne les garçons autochtones dans une école laïque appartenant à la République française. Malgré cela, il n’a jamais abandonné la religion musulmane ainsi que sa culture arabe qu’il a héritée de sa famille et ne l’a jamais transmise à ses enfants. De surcroît, cette culture française, il l’a étudiée comme normalien afin de l’enseigner.

2 SEBBAR, Leïla, HUSTON Nancy, Lettres parisiennes, Autopsie de l’exil, Paris, Edition J’ai lu, 1999, p.17

3 SEBBAR, Leïla, L’arabe comme un chant secret. Bleu autour, 2007, p.255

L’exil n’est pas simplement géographique, cette expression était même déclarée par Sebbar. De ce fait, on constate que l’exil n’implique pas uniquement un déplacement spatial ou un changement géographique, il signifie aussi un isolement et une marginalisation par rapport à un entourage social, celui de l’écart que fait le père de l’écrivaine par rapport à la langue arabe, et elle se trouve à la fin loin de la religion, de la culture et même loin de la société algérienne. Comme le montre Manon Paillot :

En leur ôtant le verbe, le père ôtait le sens, celui qui détermine le parcours existentiel d’un être ; le père et l’Algérie sont dès lors incommunicables. Leïla naît d’un double exil, exil de ce père qui décide de vivre dans l’Algérie française au service de la République laïque, exil d’une mère qui vit déracinée, en autarcie dans sa propre maison. Leïla naît donc d’une double blessure.4

A travers ce commentaire de Manon Paillot intitulé Double exil, double blessure, on constate que l’écrivaine est privée de la langue de son père, étrangère dans son pays natal, enfermée dans la langue française. Cette situation provoque une perte des relations familiales, des sentiments amicaux, ainsi que toutes communications au sein de la société.

Il est important de souligner le cas de notre romancière comme écrivaine de l’exil, vu la multiplicité de ses exils à travers ses textes et plus particulièrement à travers ses protagonistes. En effet, l’exil est très présent derrière le père, mais à l’intérieur, il y a une grande existence féminine telles que la mère, les sœurs, les tantes Fatima et Aïcha, dont elles tentent d’accomplir le mutisme absolu et le manque de ce père. Ces dames sont porteuses des souvenirs qui doivent toujours être là, des traditions et des coutumes. De ce fait, l’écrivaine parle de son histoire familiale qui s’élargit à toutes les histoires d’exil.

4 SEBBAR, Leïla, Je ne parle pas la langue de mon père suivi de L’arabe comme un chant secret, réédition avec commentaires critiques de Manon Paillot, Paris, Bleu autour, 2016, p.238

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1 B-BISHOP, Neil, Anne Hébert, Son œuvre, Leur exils. Presse université de Bordeaux, 1993, p.26.

2 SEBBAR, Leïla, HUSTON Nancy, Lettres parisiennes, Autopsie de l’exil, Paris, Edition J’ai lu, 1999, p.17.

3 SEBBAR, Leïla, L’arabe comme un chant secret. Bleu autour, 2007, p.255.

4 SEBBAR, Leïla, Je ne parle pas la langue de mon père suivi de L’arabe comme un chant secret, réédition avec commentaires critiques de Manon Paillot, Paris, Bleu autour, 2016, p.238.


Questions Fréquemment Posées

Quel est le thème central de l’exil dans ‘Je ne parle pas la langue de mon père’?

La thématique de l’exil consacre une place centrale dans la littérature maghrébine d’expression française, et dans le roman de Sebbar, il s’agit d’un exil qui n’est pas seulement spatial mais aussi linguistique.

Comment Leïla Sebbar exprime-t-elle son exil dans son roman?

Sebbar exprime son exil à travers sa séparation avec sa terre natale, son éloignement de sa société, de sa famille, et de ses proches, en insistant sur les conditions sociales de l’Algérie coloniale.

Quelle approche est adoptée pour analyser l’exil dans l’œuvre de Sebbar?

Pour analyser l’exil dans l’œuvre de Sebbar, l’article adopte une approche sociocritique afin de dégager les conditions existantes dans la société algérienne durant une période coloniale difficile.

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