L’approche méthodologique mariage forcé révèle une réalité troublante : malgré des lois en place, la répression de cette infraction demeure insuffisante en droit congolais. Cette étude met en lumière les conséquences socio-juridiques de cette léthargie, appelant à une prise de conscience urgente des autorités.
Chapitre Deuxième
DE L’INFRACTION DE MARIAGE FORCE EN DROIT CONGOLAIS
A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux.83 L’usage de l’autorité parentale ou tutélaire pour contraindre une personne à se marier constitue le mariage forcé.
Le mariage forcé constitue une violation des lois et par-dessus tout, des droits de l’homme privant les fillettes de leur enfance, nuisant à leur santé et leur croissance, entravant leur éducation et limitant leurs perspectives d’autonomisation et de développement social, tout en leur faisant courir un risque accru de connaître la violence et les abus.
Section 1:
Définitions et bases légales de l’infraction de mariage forcé
Conformément à un principe général de Droit qui stipule : « les juges ne peuvent retenir l’existence d’une infraction ni prononcer une peine sans s’appuyer sur une loi (Nullumcrimen, nullapoena sine lege). Et à la loi qui dispose : « Nulle infraction ne peut être punie des peines qui n’étaient pas portées par la loi avant que l’infraction fût commise »84. Nous allons, sous cette section et après avoir exposé, clairement et pertinemment, quelques définitions relatives à l’incrimination de mariage forcé, donner quelques précisions portant sur la base légale de l’infraction sous analyse.
Paragraphe 1. Définitions
Il sied de retenir toutefois que l’appellation ‘’mariage forcé’’ en tant qu’une incrimination dépend d’un doctrinaire à un autre. Certains préfèrent l’appeler ‘mariage précoce’’ ; d’autres ‘mariage d’enfants’’. Pour le Professeur Pierre AKELE ADAU (d’heureuse mémoire), il s’agit de l’appeler ‘l’imposition du mariage ou l’incitation au mariage forcé’’.85 Mais pour nous et pour la loi n° 06/018 du 20 juillet 2006 modifiant et complétant le Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais, il s’agit du ‘’mariage forcé’’ (tout simplement).
Par définition, l’infraction de mariage forcé, selon l’éminent professeur Bony CIZUNGU, s’entend de toute personne qui, exerçant l’autorité parentale ou tutélaire sur une personne mineure ou majeure, l’aura donnée en mariage, ou en vue de celui-ci ou l’aura contrainte à se marier.86
C’est aussi une union de deux personnes dont au moins l’une n’a pas donné son libre et plein consentement au mariage.87
Pour nous, le mariage forcé est le fait pour une personne qui a l’autorité parentale ou tutélaire sur une autre de donner cette dernière en mariage ou en vue du mariage ou la contraindre à se marier contre son libre consentement ou contre son propre gré ou encore l’empêcher à conclure un mariage régulier.
Bien plus, le Bureau du Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme (HCDH) fait une nette démarcation entre le ‘’mariage forcé’’ avec le ‘’mariage précoce’’ et le ‘’mariage d’enfants’’. Il définit le mariage d’enfants comme tout mariage dans lequel au moins l’un des conjoints est un enfant (au sens de la Convention relative aux droits de l’enfant, un enfant désigne « tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable »)
; les mariages précoces sont par lui définis comme étant des mariages dans lesquels au moins l’un des conjoints est âgé de moins de 18 ans dans les pays où l’âge de la majorité est atteint avant le mariage, ou un mariage dans lequel les deux époux ont 18 ans ou plus, mais où d’autres facteurs font qu’ils ne sont pas prêts à consentir au mariage, notamment du fait de leur niveau de développement physique, émotionnel, sexuel et psychologique, ou par le manque d’information sur les choix qui s’offrent à eux pour construire leur vie ; et, ajoute-il, le mariage forcé renvoie à tout mariage contracté sans le libre et plein consentement des deux parties dont l’une au moins n’est pas en mesure de mettre un terme au mariage ou de quitter son conjoint, y compris du fait de la contrainte ou de fortes pressions sociales ou familiales.88
Il ressort de ce qui précède que le mariage sera dit forcé, toutes les fois qu’après la célébration dudit mariage, et dans un délai légalement bien déterminé, il sera démontré que le mariage en question a été contracté sans le libre et plein consentement de l’une ou de toutes les deux parties contractantes. En outre, il suffit que le mariage ait été contracté sous les effets des contraintes, menaces, exercés par une des personnes reprises ou citées dans les lois en la matière, pour qu’on parle du mariage forcé.
De surcroît, toutes ces définitions englobent également tout mariage intervenant sans le consentement libre et plein de l’un des époux ou des deux et/ou que l’un des époux ou les deux ne peut ni quitter ni dissoudre, notamment du fait de contraintes ou d’intenses pressions sociales ou familiales.
86 CIZUNGU MUGARUKA B., Les Infractions de A à Z, coll. Connaissance et chemin de la justice, éd. Laurent NYANGAZI, Kinshasa, 2011, p.383.
87 Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages, du 7 novembre 1962, Article 1 (1).
88À lire sur https://www.girlsnotbrides.org/new-ohchr-report-child-early-forced-marriage, consulté le 27 juin 2020, à 14h16min.
Par ailleurs, il importe de révéler que cette dénomination ‘’mariage forcé’’ peut prendre la forme de ‘’mariage d’enfants’’ lorsque les contraintes ou menaces faites par une des personnes susceptibles de commettre cette incrimination sont exercées à l’encontre d’un enfant.
Par enfant, il convient de retenir que les considérations divergent selon que nous analysons la constitution et selon qu’il s’agit d’analyser le code civil. Pour la constitution à son article 4189, il n’y a pas de distinction entre un enfant et un mineur car, pour la constitution toujours, l’enfant mineur est toute personne, sans distinction de sexe, qui n’a pas encore atteint 18 ans révolus.
Par contre, pour le code civil, citant à son article 758 (1)90 les enfants du de cujus nés dans le mariage et ceux nés hors mariage mais affiliés de son vivant ainsi que les enfants adoptifs comme héritiers de la première catégorie, toute personne (mêmes les majeurs d’âge) peut être considérée comme un enfant aux termes de cet article ; il ne s’agit pas (tout simplement) des mineurs d’âge qui doivent être considérés comme enfants et par conséquent, héritiers de la première catégorie du de cujus.
Il importe cependant de préciser que c’est l’entendement de l’article 41 de la constitution qui doit être pris en considération dans l’examen de cette incrimination car celui du code civil est considéré uniquement dans le cadre de la succession. De plus, la loi portant protection de l’enfant vient de mettre quelques éclaircissements à ces zones d’ombre en ce qu’elle définit l’enfant à son article 2 (1) comme toute personne âgée de moins de dix-huit ans.
Bien plus, l’enfant n’est pas définit uniquement par les instruments juridiques nationaux. Dans le Droit international, la convention relative aux droits de l’enfant définit ce dernier comme étant tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est appliquée.91
Par conséquent, tout mariage conclu entre deux personnes dont l’une au moins n’a pas encore atteint l’âge de dix-huit (18) ans révolus sera considéré comme un mariage précoce ou mariage forcé ou encore mariage d’enfants car, le consentement de la personne dont l’âge est en dessous de dix-huit (18) ans, étant non valable parce que le mineur est considéré comme quelqu’un qui ne dispose pas de toutes les facultés mentales ou de toutes les capacités pour poser un acte volontaire.
En d’autres termes, le mariage d’enfants est considéré comme un mariage forcé dans la mesure où le mineur n’a pas la capacité de consentir valablement à son mariage, peu importe qu’il y ait eu violences ou menaces à l’égard de l’enfant qui s’est marié.
En sus, le mariage forcé est susceptible de plusieurs incriminations pénales :
89 Cet article dispose à son alinéa premier : « l’enfant mineur est toute personne, sans distinction de sexe, qui n’a pas encore atteint 18 ans révolus. »
90 Cet article dispose à son tour : « les enfants du de cujus nés dans le mariage et ceux nés hors mariage mais affiliés de son vivant ainsi que les enfants adoptifs forment la première catégorie des héritiers de la succession. Si les enfants ou l’un des enfants du de cujus sont morts avant lui et qu’ils ont laissés des descendants, ils sont représentés par ces derniers dans la succession. »
91 Convention relative aux droits de l’enfant, Article 1, Résolution 44/25, Assemblée générale, 44ième session, 20 novembre 1989, New York, Nations Unies, 1989 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990).
- Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie, lorsqu’elles sont commises aux fins de contraindre cette personne à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union (la torture : article 48 bis du Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais tel que modifié et complété par la loi n° 11/008 du 09 juillet 2011 portant criminalisation de la torture) ;
- Le meurtre commis contre une personne en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union (Meurtre : articles 43 et 44 du Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais) ;
- Le fait, par violences, ruses ou menaces, d’enlever ou de faire enlever, d’arrêter ou de faire arrêter arbitrairement, de détenir ou de faire détenir une personne quelconque aux fins de la contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union ou en raison de son refus de contracter ce mariage ou cette union (Arrestation arbitraire et détention illicite : article 67 du Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais) ;
- L’esclavage sexuel : article 1 Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal congolais tel que complété et modifié par la loi n° 06/018 du 20 juillet 2006.
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83 Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée à Paris, le 10 décembre 1948., Article 16, point 1 et 2. ↑
84 Décret du 30 janvier 1940 portant code pénal congolais tel que modifié et complété à ce jour, Article 1, In JORDC 45ième Année, Numéro Spécial du 30 novembre 2004. ↑
85Voir AKELE ADAU P., Notes de cours de Droit pénal spécial, Troisième année de Graduat, Université de Kinshasa, Faculté de Droit, 2003-2004, p.104, inédit. ↑
86 CIZUNGU MUGARUKA B., Les Infractions de A à Z, coll. Connaissance et chemin de la justice, éd. Laurent NYANGAZI, Kinshasa, 2011, p.383. ↑
87 Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages, du 7 novembre 1962, Article 1 (1). ↑
88 À lire sur https://www.girlsnotbrides.org/new-ohchr-report-child-early-forced-marriage, consulté le 27 juin 2020, à 14h16min. ↑
89 Cet article dispose à son alinéa premier : « l’enfant mineur est toute personne, sans distinction de sexe, qui n’a pas encore atteint 18 ans révolus. » ↑
90 Cet article dispose à son tour : « les enfants du de cujus nés dans le mariage et ceux nés hors mariage mais affiliés de son vivant ainsi que les enfants adoptifs forment la première catégorie des héritiers de la succession. Si les enfants ou l’un des enfants du de cujus sont morts avant lui et qu’ils ont laissés des descendants, ils sont représentés par ces derniers dans la succession. » ↑
91 Convention relative aux droits de l’enfant, Article 1, Résolution 44/25, Assemblée générale, 44ième session, 20 novembre 1989, New York, Nations Unies, 1989 (entrée en vigueur le 2 septembre 1990). ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le mariage forcé selon le droit congolais?
Le mariage forcé est défini comme le fait pour une personne exerçant l’autorité parentale ou tutélaire de donner une personne en mariage ou de la contraindre à se marier contre son libre consentement.
Quels sont les effets du mariage forcé sur les droits des femmes?
Le mariage forcé constitue une violation des droits de l’homme, privant les fillettes de leur enfance, nuisant à leur santé et leur croissance, entravant leur éducation et limitant leurs perspectives d’autonomisation.
Comment le mariage forcé est-il différencié du mariage précoce?
Le mariage forcé est un mariage contracté sans le libre et plein consentement, tandis que le mariage précoce implique au moins un conjoint âgé de moins de 18 ans, selon la définition de la Convention relative aux droits de l’enfant.