Les meilleures pratiques en sécurisation foncière révèlent des lacunes surprenantes dans les innovations des acteurs non étatiques au Sud-Kivu. Cette étude met en lumière des incohérences avec les services locaux, soulevant des questions cruciales sur la protection des droits des communautés rurales.
§2. Opposition d’intérêts entre l’Etat et la population locale autour de la
nature
Un deuxième mobile de conflit mettant en face les autorités étatiques et coutumières autour de l’enjeu foncier est celui de la conservation de la nature (Simpson, 2021 ; Busane, 2005), et plus généralement celui des opérations foncières de lotissement ou de classement. Le cas du Parc National de Kahuzi-Biega, classé patrimoine mondiale par l’UNESCO, est particulièrement éclairant sur la problématique foncière21 au Sud-Kivu.
En effet, le parc a été créé le 30 novembre 1970 par une ordonnance du chef de l’Etat, sur une réserve forestière constituée en 1937 par l’autorité coloniale. Cette réserve s’étendait sur soixante mille hectares22. Cependant, cinq ans après sa création, soit en 1975, ses limites ont été élargies. Le décuplement de sa superficie qui l’amena de 60.000 ha en 1970 à 600 000 ha, en 1975, a été faite non seulement dans des conditions d’une violation flagrante de la loi n° 73-02 du 20
juillet 1973, portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés, et de la loi du n°77-001 du 22 février 1977, portant l’expropriation pour cause d’utilité publique, spécialement en ses article 8 et suivant, qui déterminent les procédures et conditions d’indemnisation. Au terme de la première loi sus évoquée, le président de la République n’est pas compétent dans l’octroi des superficies foncières supérieures à 2000 ha.
Dans de telles circonstances, et lorsque le besoin se fait réellement sentir, c’est le parlement qui doit examiner la question pour en tirer des conclusions. Il y a donc là, estiment plusieurs analystes, une mauvaise foi manifestée par le chef de l’État, en usurpant les fonctions du parlement car, les superficies ainsi concernées, sont de l’ordre de 540 000 hectares octroyées sans une enquête de vacances de terre préalable prévu par la loi foncière (Rutakaingabo, et al., 2020).
Si, d’un côté, les contestations qui en ont suivi ont détériorées les relations entre les gestionnaires du parc et les différentes couches de populations qui se servaient des ressources foncières existantes pour vivre, plusieurs instances se sont également opposées à cette extension, trouvant les revendications des populations fondées et légitimes et exigent l’annulation de cette ordonnance, écrivent Mudinga, Ngendakumana, Ansoms (2013).
§3. Accaparement des terres par les élites
Au Sud-Kivu, actuellement, on assiste à une véritable ruée vers les terres rurales par les élites (politiciens, commerçants, administrateurs, militaires, fonctionnaires etc…), les églises et les ONGs. Ce phénomène n’est ni nouveau ni récent (Ansoms, et al., 2014). Il constitue à des acquisitions foncières massives (location, concession ou achat souvent controversé) de grandes
21 Lire Brown & Kasasi, Renforcement de la capacité de l’ICCN à la gestion et la résolution des conflits liés aux ressources naturelles dans le Parc National de Kahuzi-Biega République Démocratique du Congo, Rapport de l’atelier du 07 au 08 août 2007, International Institute for sustainable Developement, http://www.iisd.org/ consulté le 14/04/2021 à 14 :29. Sengey, Contributions à l’étude des mécanismes d’experts sur les droits des peuples autochtones, Environnement Ressources Naturelles et Développement (ERND Institute), P10, http://www.ohchr.org consulté le 14/04/2021, 14 :40
22https://whc.unesco.org/fr/list/137/ consulté 15/04/2021, 12 : 22
étendues de terres agricoles auprès (Baraka, et al., 2016) des autorités coutumières locales, et dans les méandres des administrations foncières locales (Mugangu, 2017). Ces acquisitions, très souvent, ne reposent pas sur les consentements préalables-libres et éclairés des usagers affectés (i), a une enquête de vacances des terres tel que prévoit la loi foncière concernant l’acquisition des concessions en milieu rural (ii), a des impacts sociaux-économiques et environnementaux (iii), à l’emploi et le partage des bénéfices ainsi que la planification démographique (iv) (EUarc, 2011).
En effet, les élites « accapareurs » utilisent leur pouvoir, leur influence et leur position dans la communauté pour acquérir des terres, parfois en faisant fi des mécanismes formels et informels de gestion du capital foncier (Ansoms, et al. Op cit.). Leur discours s’accompagne de la forte productivité, de la croissance et de la lutte contre la pauvreté, dans une logique de concentration foncière par des capitaux privés (Nyenyezi, 2016 ; Baraka, et al., 2016).
Ces accaparements des terres comportent énormément de risques pour les populations locales. En perdant l’accès à leur terre, elles perdent par la même occasion l’acc ès à leurs moyens de subsistance, engendrant une dégradation de leur sécurité alimentaire (Comité Français pour la solidarité Internationale, 2019).
En outre, diagnostiquant l’administration foncière dans la province du Sud-Kivu, en RD Congo, Mugangu, Buhendwa et Namwanda (2017), expliquent que la plupart des concessions de ces élites, étant sous le régime de l’emphytéose, leurs titulaires pourraient se voir refuser le renouvellement du contrat pour cause de mise en valeur insuffisante. Cependant, pour parer au risque, la plupart font exploiter leurs terres par des paysans, selon des formules contractuelles (métayage etc…) coutumières.
En contrepartie de l’exploitation d’une parcelle à titre précaire23, le bénéficiaire paysan fournit un nombre convenu d’heures de travail sur la plantation. Le cas de l’archidiocèse de Bukavu illustre le mieux cette pratique de protection des titres de propriété à travers un système de troc (la jouissance du sol contre travail) (Mugangu, et al., 2017).
§4. Conflits fonciers en zone d’exploitation minière
La libéralisation du secteur minier, en RDC, a attiré de nombreux investisseurs étrangers, depuis les multinationales jusqu’aux sociétés d’exploitations et aux aventuriers, notent Sara Geenen et Francine Mukotanyi (2013). Sur le terrain, ces auteurs mentionnent que les relations entre les multinationales et les communautés locales, sont souvent caractérisées par différentes oppositions, voire des conflits violents, s’articulant autour de l’accès à la terre, de la dépossession des communautés locales, du non-respect de leurs droits, de leur exclusion dans la prise de décision et de la pollution
de l’environnement causé par les activités extractives (Bashizi et al., 2017 ; Ballard & Banks, 2013 ; Geenen & Mukotanyi, 2013). Premièrement, soulignent-t-elles, l’accès à la terre est disputé par les populations locales faisant état de leur « droit traditionnel » ou coutumier d’une part, et par les entreprises minières, se référant aux titres officiels d’autre part (Hilson, 2002 ; Geenen & Mukotanyi, op cit.).
Dans cette opposition, les entreprises sont toujours gagnantes à cause de leurs accès aux ressources financières, matériels et techniques (Fisher, 2007 ; Geenen & Mukotanyi, op cit). Les conflits, entre exploitants artisanaux et entreprises industrielles s’articulent, souvent, autour de la même opposition, bien que plusieurs
23Pour comprendre les types contrats précaires entre les paysans et les concessionnaires fonciers, lire Mukotanyi, l’agriculture comme « alternative » des mines artisanales : contrainte au développement de l’agriculture dans le territoire de Kalehe, in Ansoms, A., Nyenyezi, B., Stef, V., conjoncture de l’Afrique centrale, 2018, pp 193 -212.
observateurs, comme expliquent Sara Geenen et Francine Mukotanyi, plaident pour la cohabitation des deux modes de production, via une formalisation du secteur artisanal et une mise à la disposition des artisans d’une partie des vastes concessions industrielles. Deuxièmement, certains auteurs comme Bebbington et al (Bebbington, et al., 2008 ; Bebbinton et al., 2008 ; Geenen & mukotanyi, op cit.) analysent les nouvelles résistances vis-à-vis des entreprises minières en termes de lutte contre la dépossession des populations locales. Ces derniers ne s’opposent pas seulement à la dépossession de leurs terres, mais aussi à la perte de leurs moyens d’existence dans un sens plus large (Bush, 2004 cités par Geenen & Mukotanyi, op cit).
§7. Extension des villes et création de nouvelles entités en perspective
Les opérations foncières consécutives au changement du statut administratif des zones rurales en perspectives n’obéissent pas à l’esprit de la législation. En effet, l’article 65 de la loi dite foncière, dispose que, les terrains sont concédés dans le respect des droits des tiers. Cependant, les discussions qui nourrissent les débats dans les milieux politiques, relatives à l’extension des villes et à la création des nouvelles entités, constituent de nouvelles pistes de conflits dans les jours à venir.
Normalement, ce processus d’établissement de nouvelles entités devra suivre deux modalités : soit une intervention autoritaire, soit une opération négociée. Ainsi, la pratique de ce domaine est également en marge de la loi foncière. La question est ici de savoir si des droits coutumiers peuvent être exercés sur des terres devenues urbaines (Thinon, et al., 2011).
§8. Pression démographique
Le Sud-Kivu, surtout dans la partie dite « Kivu montagneux », connaît un accroissement démographique sans précédent avec un impact souvent négatif sur la gestion du patrimoine foncier familial. Aujourd’hui, la densité varie entre 300 et 400 hab/km2, (Idem) faisant de cette zone l’une parmi les plus denses d’Afrique centrale. Déjà, vers les années 1950, le pouvoir colonial avait envisagé le désengorgement de cette partie de la province en établissant des zones à Itombwe, Kalonge et Bunyakiri sous forme de ranchs, à l’exemple de l’Argentine,
qui permettraient, aux populations délocalisées, de trouver des espaces assez vastes et bien délimités pour leurs activités agropastorales. Les populations locales se sont farouchement opposées à une telle initiative, l’interprétant comme une sorte de déportation, malgré les multiples séances de sensibilisation de l’autorité coutumière de l’époque (Thinon et al., op cit.)
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21 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
22 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
23 Pour comprendre les types contrats précaires entre les paysans et les concessionnaires fonciers, lire Mukotanyi, l’agriculture comme « alternative » des mines artisanales : contrainte au développement de l’agriculture dans le territoire de Kalehe, in Ansoms, A., Nyenyezi, B., Stef, V., conjoncture de l’Afrique centrale, 2018, pp 193 -212. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les principales causes de conflits fonciers au Sud-Kivu ?
Un des mobiles de conflit est l’opposition d’intérêts entre l’État et la population locale autour de la conservation de la nature, notamment en ce qui concerne le Parc National de Kahuzi-Biega.
Comment les élites affectent-elles la sécurisation foncière au Sud-Kivu ?
Les élites, y compris les politiciens et les fonctionnaires, participent à une ruée vers les terres rurales, entraînant des acquisitions foncières massives souvent controversées et sans consentement préalable des usagers affectés.
Quelles recommandations sont faites pour améliorer la sécurisation foncière au Sud-Kivu ?
Des recommandations sont formulées pour une décentralisation foncière afin d’améliorer la protection des droits des communautés rurales.