Quelles stratégies de mise en œuvre pour l’autogestion en 2023 ?

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🏫 Université Haute Bretagne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2005-2006
🎓 Auteur·trice·s
Suzy Canivenc
Suzy Canivenc

Les stratégies de mise en œuvre des organisations autogérées révèlent une dynamique fascinante entre ouverture et clôture symbolique. Cette recherche met en lumière comment ces relations uniques redéfinissent les interactions avec l’environnement, offrant des perspectives nouvelles sur l’autogestion et son rôle dans le renouvellement organisationnel.


      1. Les relations de l’organisation à l’environnement : un exemple de conciliation entre ouverture et clôture symbolique :

Les relations que les entreprises autogérées développent avec leur environnement diffèrent des relations que nouent les entreprises traditionnelles avec leur milieu. En effet, pour Sainsaulieu : « Le rapport à l’environnement est au centre de l’inventivité des organisations à fonctionnement collectif, il est plus complexe que dans l’entreprise traditionnelle »254.

La Péniche présente plusieurs spécificités dans les relations et la communication qu’elle développe pour agir « sur », mais surtout « avec » son environnement. La relation à l’extérieur est en effet plus perçue sur le mode de la collaboration, de la coopération et de l’échange que sur le mode de la compétition et de la concurrence, sur le mode de la confiance plutôt que sur celui de la méfiance. De même les contacts qu’elle entretient avec son environnement ne sont pas seulement d’ordre professionnel et les relations extérieures dépassent la simple dimension contractuelle.

Ainsi, les structures démocratiques semblent adopter des stratégies originales qui vont

« amener ces organisations à chercher la création de réseaux d’alliances et de soutien dans l’environnement. En effet, celui-ci n’est pas monolithique et des îlots sociaux sont favorables à l’expérimentation, d’où une tentative de mobilisation constante de ces réseaux de soutien »255. Au travers de cette stratégie, « la réciprocité réapparaît » : la coopération encourage ici à renoncer à un certain type de pouvoir traditionnel pour en gagner un autre.

Cette manière particulière d’organiser ses relations avec son environnement sur la base de la coopération permet ainsi à l’entreprise de renouer avec un fondement anthropologique mis en lumière par Lévi Strauss : le principe de réciprocité, devenu « principe de don et de contre don » sous la plume de Marcel Mauss.

La reconnaissance mutuelle des groupes correspond, en effet, pour Lévi Strauss, à la forme générale sous-jacente à l’ensemble des comportements sociaux, fondement anthropologique. Ce qui importe ici n’est pas l’objet de l’échange mais l’acte d’ « échanger » en lui même, c’est la reconnaissance de l’autre, l’enjeu est la relation sociale.

Le système de don et de contre don est ainsi une contrainte d’échange par laquelle se créé le lien social transfigurant le lien naturel. Les connexions que La Péniche entretient avec son environnement renvoient ici à la conception anthropologique de la communication, où celle-ci correspond à un échange fondant la relation sociale256.

On retrouve également ici le monde « connexionniste » de la cité projet, où le projet est à la fois l’origine et l’aboutissement de la multiplication des échanges, des contacts, des relations.

L’insertion dans des réseaux, autour de projets, invite donc à inventer de nouvelles formes de relations sociales pour répondre à de multiples objectifs, qui ne sont pas tous guidés, loin de là, par la rationalité économique, mais qui sont tous voués à « étendre le réseau » de l’entreprise.

Une pluralité d’échanges avec l’extérieur :

La Péniche multiplie en effet les occasions de rencontres, d’échanges, de relations avec une multitude d’acteurs extérieurs à l’entreprise.

La Péniche se veut donc une entreprise ouverte. Ainsi, il est courant que le repas du midi soit partagé avec diverses personnes invitées à découvrir l’entreprise. Au cours du mois de juin 2005, l’entreprise reçut le Président de l’Union régionale des Scop d’Ile de France, monsieur Arnaudin ; la déléguée générale du CEGES (Conseil des Entreprises et Groupements de l’Economie Sociale), Madame Gillig ; un des réviseurs de l’UR Scop Ile-de-France, des salariés de différentes SCOP ; un graphiste à la recherche de travail dans le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire ainsi que deux stagiaires préparant un mémoire sur les entreprises autogérées.

Ces visites peuvent avoir différents objectifs : obtenir et donner des informations, échanger des expériences, mutualiser des pratiques, discuter de projets communs, bénéficier d’un regard extérieur…

Ces visites visent donc à nourrir le dense réseau d’aide et de soutien auquel appartient la Péniche, mais également à publiciser les pratiques de l’entreprise. En effet, chaque visite est introduite par une présentation détaillée de la Péniche : son fonctionnement, son historique, ses activités, ses clients… Les principaux principes de fonctionnement mis en avant auprès des différents visiteurs sont les suivants :

-l’absence de patron et de hiérarchie (spécificité qui semble la plus valorisée dans l’entreprise)

-un système de salaire horaire égal pour tous

-des tâches tournantes et la non spécialisation des postes

-un temps de travail choisi.

Une communication externe à l’image de la communication interne misant sur les relations interpersonnelles :

Outre ces nombreuses rencontres, la Péniche se sert également d’un support de communication externe plus classique : une pochette présentant les différents domaines d’activités et clients de l’entreprise257.

Cependant cet outil de communication ne semble pas beaucoup exploité. Comme en interne de l’entreprise, La Péniche semble privilégier le mode de communication orale et la rencontre en face-à-face à l’écrit. Les circuits informels sont encore une fois largement favorisés.

En effet, pour faire connaître l’entreprise auprès de l’opinion publique en général, la Péniche semble avoir opté pour une méthode assez originale : le bouche-à-oreille. Ainsi, chaque salarié est soucieux de parler de son entreprise, de ses activités mais surtout de ses principes de fonctionnement, à un maximum des gens de son entourage. Chacun participe ainsi à la communication externe de l’entreprise.

Encore une fois l’entreprise sait prendre en compte les temps longs humains de la proximité, de la réflexion, de l’intégration, de la compréhension, de l’intériorisation…Aux yeux de chacun, il est en effet plus probable qu’une personne s’intéresse à un sujet particulier au travers d’une conversation amicale prenant place dans un contexte convivial qu’au travers d’une pochette de présentation impersonnelle reçue par la Poste. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’oral bénéficie d’un important avantage sur l’écrit : il permet une meilleure adaptation à son interlocuteur, celui-ci aura alors plus de chance d’intégrer le discours qui s’adresse personnellement à lui. La Péniche est donc soucieuse de « laisser les gens comprendre, venir et s’approprier les choses ».

Cette stratégie de communication externe est certes très particulière, elle est d’ailleurs largement négligée dans les entreprises. Comme le remarque Annie Bartoli, « parmi les modalité d’information externe de notoriété, il en est une que les entreprises ont souvent tendance à oublier : la possibilité pour chacun des salariés de promouvoir son entreprise au quotidien dans le cadre de tous ces contacts externes, personnels ou professionnels. En effet, chacun à l’intérieur de l’entreprise pourrait être le vecteur de la condition externe. Mais cela suppose trois conditions de base : qu’il sache (que qui renvoie à la communication interne), qu’il en soit convaincu (ce qui nécessite une cohérence entre les discours et les actions concrètes), qu’il ait envie d’en parler (ce qui repose sur une certaine motivation) »258. Il semble qu’à La Péniche, ces trois conditions soient regroupées.

Là aussi La Péniche pourrait illustrer cette cité projet en émergence, car toutes deux développent la même politique de communication. En effet, « la cité par projet privilégie une communication personnelle, en tête-à-tête ou en petit groupe. Les réputations passent par la bouche-à-oreille plus que par le battage médiatique. Le lobbying remplace les campagnes de publicité »259.

La Péniche utilise également un autre support de communication écrit mais celui-ci possède l’avantage de s’appuyer sur les dimensions humaines de l’affectif, du ludique et du festif : des cartes de voeux réalisées par la Péniche260 et qui participent à publiciser ses modes d’organisation mais également l’esprit d’entreprise sur un ton humoristique.

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254 SAINSAULIEU, TIXIER, MARTY. La démocratie en organisation. 1983.

255 SAINSAULIEU, TIXIER, MARTY. La démocratie en organisation. 1983.

256 Cf. annexe 1 : Généalogie des théories communicationnelles : L’anthropologie de la communication (p 58)

257 Voir annexes3 : La Péniche : 6. La pochette de présentation (p 138)

258 Annie Bartoli, « parmi les modalité d’information externe de notoriété… »

259 « la cité par projet privilégie une communication personnelle… »

260 des cartes de voeux réalisées par la Péniche


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les spécificités des relations des entreprises autogérées avec leur environnement ?

Les entreprises autogérées développent des relations basées sur la collaboration, la coopération et l’échange, plutôt que sur la compétition et la méfiance.

Comment les structures démocratiques favorisent-elles la coopération avec leur environnement ?

Les structures démocratiques adoptent des stratégies originales pour créer des réseaux d’alliances et de soutien, favorisant ainsi la réciprocité et la coopération.

Quel est le principe de réciprocité dans les relations sociales selon Lévi Strauss ?

Le principe de réciprocité, selon Lévi Strauss, est fondamental pour les comportements sociaux, où l’échange lui-même est plus important que l’objet échangé, soulignant la reconnaissance de l’autre.

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