Comment les applications pratiques redéfinissent-elles l’autogestion en 2023 ?

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🏫 Université Haute Bretagne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2005-2006
🎓 Auteur·trice·s
Suzy Canivenc
Suzy Canivenc

Les applications pratiques de l’autogestion révèlent une dynamique surprenante dans les organisations contemporaines. En réactualisant ce concept, cette recherche met en lumière des principes essentiels tels que la participation et la responsabilisation, transformant ainsi notre compréhension des nouvelles formes organisationnelles.


Ainsi, dans le local de La Péniche, prennent place tout autant des activités professionnelles que des activités de la vie quotidienne. Banales à première vue, celles-ci sont en réalité essentielles pour la constitution et la pérennité d’un groupe social :

  1. Les repas du midi

Les repas sont ainsi toujours pris collectivement dans les locaux de l’entreprise. La table qui sert au repas est la même qui sert aux réunions et trône au milieu du local248. Cette table symbolise donc un lieu de rassemblement tout autant professionnel que social et participe du brouillage des frontières et de la « proximité » qui peut exister au sein de ce collectif.

A tour de rôle, une ou plusieurs personnes s’occupent de faire les courses et de préparer le repas. Cette tâche, comme la plupart des tâches prenant place à la Péniche (qu’elles soient professionnelles ou non), n’est pas formalisée par un planning strict. S’occupent du repas ceux qui en ont envie et qui ont un emploi du temps le permettant. Comme pour la plupart des postes à la Péniche, la répartition de cette tâche n’est pas réellement équilibrée. Toutefois, et

248 Annexe 3 : La Péniche : 17. Le repas du midi (p 177)

c’est une fois encore l’occasion d’apprécier les capacités d’auto contrôle de membres de l’entreprise, certains ne manquent pas de remarquer par eux-mêmes leur manque d’implication dans cette tâche et ils y remédient rapidement lorsqu’ils estiment eux-mêmes ne pas avoir fait la cuisine depuis trop longtemps. D’ailleurs, l’irrégularité dans la répartition de cette tâche ne suscite aucune plainte ou récrimination. La préparation du repas représente en effet pour certains un moment de plaisir et de détente, voire de franche convivialité lorsqu’il se prépare à plusieurs.

Le mardi fait exception : c’est en effet le jour de la réunion hebdomadaire. Celle-ci n’autorisant l’absence d’aucune personne (pour faire les courses ou préparer à manger) et pouvant avoir une durée variable, le repas se compose de sandwichs partagés dans le parc jouxtant les locaux. Le changement d’environnement permet ainsi de prendre de la distance avec le travail, dont il a déjà été question toute la matinée au cours de la réunion.

Les conversations qui prennent place lors de cette collation touchent des sujets assez divers mais sont assez représentatifs de la culture d’entreprise : on y parle souvent politique et actualité dans une ambiance calme et conviviale. Alain en profite souvent pour présenter le

bilan de ses nombreuses prospections et prises de contacts. On continue donc à « parler travail » mais sur un ton plus détaché. Comme le reste du temps, l’humour est très présent.

  1. Les rituels :

Toute vie sociale et privée étant marquée de « rituels », ceux-ci conservent une place importante au sein de l’entreprise.

16 heures marque ainsi l’heure du thé, permettant encore une fois de favoriser les interactions et les liens entre les membres.

Le mercredi, Sarah passe au marché avant d’arriver à l’entreprise, elle ramène ainsi des fruits et légumes frais cultivés par de petits producteurs qui serviront à la composition du repas du midi.

Enfin, il n’est pas rare de fêter collectivement un événement, qu’il soit personnel (comme l’obtention d’un diplôme en FLE pour Stéphanie) ou professionnel (la nouvelle gérance, les

nouveaux contrats) avec du champagne, payé par l’entreprise ou par l’employé qui désire faire part à ses collègues d’un de ses succès.

Chacun de ces rituels encourage la création de liens affectifs et d’échanges, et favorise donc la cohésion et par là la stabilité de l’entreprise. Ils participent également à la valorisation individuelle ou collective.

  1. Les rencontres hors travail

Deux groupes se distinguent dans le Péniche :

-Alain, Christian et Olivier qui vivent ensemble.

-Hélène, Jordane, Sylvain qui font partie du même groupe d’amis depuis quelques années et qui ont intégré Stéphanie et Sarah à leur arrivée dans l’entreprise (Sarah entretenait déjà des relations amicales avec Hélène).

A l’intérieur de ses deux groupes prennent ainsi place des relations humaines privilégiées. Il n’est donc pas rare que les salariés se côtoient aussi hors de l’entreprise. Ces rencontres hors

travail permettent encore une fois de ne pas limiter les relations interpersonnelles à des rapports purement et simplement professionnels.

En substance, nous retrouvons ici le principe d’attractivité défendu par Fourrier pour qui les relations professionnelles ne doivent pas se limiter à simplement satisfaire des besoins d’ordres matérielles et économiques, mais doivent également avoir pour base les sentiments, l’affection, l’amitié. Aux besoins physiologiques, s’ajoutent ceux plus psychologiques d’appartenance et d’affection qui occupent le troisième étage de la pyramide de Maslow249.

Cependant, certains remarquent et regrettent que ces deux groupes n’entretiennent que peu de relations entre eux hors de l’entreprise. D’ailleurs, ces deux groupes correspondent aux deux catégories générationnelles bien distinctes, mises en avant dans l’étude des profils psychosociologiques (les 28-33 ans et les 50 ans et plus), ce qui fait craindre à certains un

« fossé générationnel ». Cependant, il n’est pas sûr que cette absence de relation soit plus liée

249 Cf. annexe 1 : « Généalogie des théories organisationnelles et communicationnelles » : « les apports de Maslow » (p 18).

à l’âge qu’à l’ancienneté des deux groupes d’amis (qui ont tous deux préexisté à la création de l’entreprise). Toutefois, une troisième groupe existe à la jonction des deux autres : une forte amitié lie en effet Sylvain et Christian, fondateurs de l’entreprise.

Certains voudraient voir la logique communautaire se développer jusqu’à envisager une véritable vie en communauté (une expérimentation que mènent des entreprises comme Ardelaine ou Ambiance bois, appartenant toutes deux au réseau REPAS).

Le recrutement et le temps de l’intégration : des approches anthropologiques :

  1. Le recrutement par réseau personnel :

La plupart des membres qui composent l’équipe de La Péniche ont intégré l’entreprise par le biais de leur réseau amical : Alain, Olivier, Christian et Sylvain, à l’origine de la structure, se connaissaient déjà avant la création de l’entreprise. Hélène a connu l’entreprise par Sylvain

qu’elle a rencontré à Hypokhâgne. Jordane a également eu connaissance de cette entreprise par Sylvain, qui connaissait bien son frère pour avoir été au lycée avec lui. Myriam est elle aussi venue par Sylvain. Enfin, Sarah a pris contact avec l’entreprise par le biais d’Hélène.

La Péniche considère ainsi que le recrutement par le biais des relations amicales n’est pas plus arbitraire ou imparfait que les procédures classiques de recrutement. L’entreprise ne cherche donc pas à expérimenter des formes organisationnelles plus optimales, elle vise des structures organisationnelles tout aussi efficientes que celle mise en œuvre traditionnellement, mais plus « humaines ».

Ce type de recrutement semble en outre avoir des effets non négligeables sur l’entreprise : cette manière de prendre contact puis d’intégrer l’entreprise implique en effet des liens

beaucoup plus étroits et personnels (beaucoup plus « humains »). Ceci semble faciliter l’intégration, mais également l’identification à l’entreprise et par la même la participation des salariés à sa bonne organisation et à son bon fonctionnement. La personne nouvellement embauchée semble également ressentir une légitimité mieux fondée, puisque son embauche ne dépend pas d’un CV et d’un court entretien mais d’un réseau de relations plus sensible à sa manière d’être (son savoir être) qu’à son savoir faire (une donnée qui semble bien plus primordiale que cette dernière dans ce type de structure comme dans les nouvelles théories organisationnelles).

En ce sens, La Péniche semble encore une fois expérimenter ce que Boltanski et Chiapello nomment « la cité-projet », un monde connexionniste basé sur le capital informationnel et relationnel et les capacités à entretenir, développer et mobiliser son

« réseau » pour rester en activité.

Seuls Stéphanie et Cédric ont intégré l’entreprise suite à un recrutement « standard » (c’est-à-dire par « candidature spontanée »), après avoir envoyé un CV à l’entreprise ou les avoir contacté directement. Lorsque le réseau de chacun ne peut pourvoir au besoin d’un nouveau membre, c’est ainsi la candidature spontanée qui est choisie car « le meilleur moyen de trouver de nouveaux participants au projet est encore de les laisser venir à la structure. C’est d’abord par la proximité géographique, idéologique, amicale que se feront les adhésions ».

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248 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001.

249 Cf. annexe 1 : « Généalogie des théories organisationnelles et communicationnelles » : « les apports de Maslow » (p 18).


Questions Fréquemment Posées

Comment les repas collectifs contribuent-ils à l’autogestion dans une entreprise ?

Les repas sont pris collectivement dans les locaux de l’entreprise, symbolisant un lieu de rassemblement professionnel et social, ce qui participe à la constitution et à la pérennité d’un groupe social.

Quels rituels favorisent la cohésion au sein de l’entreprise La Péniche ?

Des rituels comme l’heure du thé à 16 heures et la célébration d’événements personnels ou professionnels avec du champagne favorisent les interactions et la création de liens affectifs entre les membres.

Quelle est l’importance des rencontres hors travail dans le cadre de l’autogestion ?

Les rencontres hors travail, comme celles entre amis ou colocataires, renforcent les liens sociaux et contribuent à la stabilité et à la cohésion au sein de l’entreprise.

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