L’approche méthodologique en autogestion révèle une redécouverte fascinante des principes de participation et de responsabilisation, essentiels dans le débat contemporain sur les formes organisationnelles. Cette recherche met en lumière comment ces idées, bien que délaissées, sont cruciales pour repenser la structure des organisations face aux défis actuels.
- Un exemple d’ « anthropologisation » de l’entreprise :
Pluralisme, diversité et cohésion :
Dans l’idéal type autogestionnaire que nous avons élaboré précédemment, nous avons définis les organisations autogérées comme de « petites communautés autonomes respectueuses du pluralisme des éléments qui la constituent ». L’importance accordée au pluralisme et à la diversité des éléments constitutifs du collectif place directement l’idée autogestionnaire face à la problématique de la conciliation dialectique entre individu et collectif, entre pluralisme et cohésion.
- Des profils similaires
Au premier abord les membres de la Péniche ont des « profils » fortement similaires : ils sont en majorité célibataires, ils habitent dans l’est parisien, ils se réclament du courant d’extrême gauche sans spécifier un parti particulier apte à refléter leurs pensées. En outre, ils sont tous originaires de France. Même leurs parcours scolaires se rejoignent (quelle que soit la génération à laquelle ils appartiennent) : ils sont en effet une majorité de Bac + 4 en Sciences Humaines et Sociales et particulièrement en Histoire (excepté Olivier qui n’a pas fait d’études supérieures).
222 Voir annexe 3 : La Péniche : 12. Les web cam (p 155)
Cette homogénéité semble d’ailleurs jouer sur la capacité et le sentiment d’intégration : Au moment où se déroula ce stage d’observation, deux salariés venaient d’être embauché, dont l’un a quitté l’entreprise au bout de trois mois. Cédric semble en effet s’être heurté à d’importants problèmes d’intégration, qui pourraient paraître, à première vue, liés à un profil totalement atypique en comparaison à celui que nous avons défini ci-dessus, mais qui en réalité tient à sa non adhésion au projet particulier de cette entreprise : vivre une aventure autogérée.
Cédric avait en effet un profil totalement différent : marié, 2 enfants, il habite en banlieue et se réclame plus d’une gauche réformiste et centriste que révolutionnaire. Mais, comme on le perçoit d’emblée au travers de son positionnement politique, ses difficultés d’intégration tiennent avant tout à une incompréhension de taille : espérant avant tout faire du journalisme, il a intégré une société de rédacteurs, certes, mais où le cœur de métier est davantage l’expérimentation autogestionnaire que la rédaction, comme nous le verrons par la suite.
Cet exemple (d’une difficulté d’intégration liée non pas à un profil différent, mais à une inadéquation avec le projet autogestionnaire) pourrait trouver une seconde illustration au travers du cas de Myriam, qui est pourtant membre de la Péniche depuis trois ans, mais qui elle aussi ressentait une même difficulté d’intégration et d’identification à l’entreprise. Son profil diffère lui aussi du profil mis en évidence précédemment : mariée, deux enfants, elle réside à Lyon et s’affirme beaucoup moins politisée que ses collègues. Mais cette différence de profil n’est pas seule en cause dans ses difficultés d’intégration.
En effet, Myriam ne participe à la Péniche que par Télétravail. L’impossibilité d’être régulièrement en « présentiel » à la Péniche ainsi que les difficultés de transmission et de réception des systèmes d’information utilisés jouent énormément sur la représentation qu’elle peut avoir de son rôle et de sa place dans l’entreprise et vis-à-vis de ses collègues. La situation dans laquelle était Myriam la privait également des contacts humains et de la dimension collective de cette organisation, des aspects pourtant clé dans l’idéal type autogestionnaire.
Depuis, la situation s’est arrangée : Myriam a déménagé à Grenoble pour rejoindre Sylvain223. Ensemble, ils représentent un deuxième collectif de travailleurs mais qui appartient pourtant bien à La Péniche (dont les frontières sont ainsi plus symboliques et psychologiques que matérielles et géographiques comme nous le verrons plus loin), grâce à la force des liens qui les unissent au reste du collectif.
Ainsi, la différence des profils psychologiques influent certainement sur le sentiment d’intégration ou d’absence d’intégration, mais est loin d’en être l’unique et première cause.
D’ailleurs cette apparente homogénéité est trompeuse et les entretiens passés individuellement ont progressivement mis en lumières des personnalités toutes très différentes.
- Des parcours et des expériences hétérogènes :
Les membres de La Péniche ont également tous un parcours personnel particulier. La plupart d’entre eux étaient en effet à l’origine tournés vers un secteurs d’activité particulier : l’édition, la musique, l’humanitaire, le militantisme, les carrières universitaires, le journalisme….
Ils ont également tous une place spécifique eu sein de l’entreprise (certains étant plus portés sur le rédactionnel, quelques-uns sur la gestion, d’autres sur le relationnel…). A cet égard, on peut plus particulièrement citer l’exemple d’Odette, véritable « électron libre » de l’entreprise, puisque son travail, d’environ deux heures par semaine, ne concerne que la correction des articles et se déroule loin des deux autres collectifs (basés à Paris ou à Grenoble), à Nice.
De même La Péniche se caractérise par une certaine hétérogénéité au niveau des tranches d’âges puisque deux générations y cohabitent :
- celle des 25-35 ans (qui se réduit en fait à 28-33 ans)
- et celle des 50 ans et plus.
On constate enfin une certaine diversité dans les rapports que chacun a pu entretenir avec le monde autogestionnaire avant d’intégrer La Péniche : en effet, tous n’ont pas forcément eu de contact avec le monde autogestionnaire avant leur entrée à La Péniche. C’est particulièrement le cas d’Hélène, de Jordane et de Sylvain. Les contacts que les différents membres de la Péniche ont eu avec le monde de l’autogestion vont de rapports étroits (la création d’entreprises autogérées), à de courtes expériences (le milieu associatif), et étaient pour certains quasi inexistants.
L’entreprise rassemble sur ce point des profils très différents, excluant l’hypothèse selon lesquels seuls des gens formés à l’autogestion peuvent s’y intéresser ou la mettre en pratique.
Cependant l’obédience politique étant majoritairement d’extrême gauche, on peut penser que ceux qui n’ont pas eut de contact direct avec les expérimentations autogérées y aient été sensibilisés au travers de leur formation politique. Mais beaucoup reconnaissent également n’avoir jamais vu, voire même entendu parler d’une entreprise autogérée avant d’intégrer La Péniche.
Ainsi, au-delà d’un travail statistique et superficiel portant sur les âges, la formation, le lieu de résidence et la situation maritale… se révèlent des parcours individuels très divers. Ce qui n’empêche pas La Péniche d’être un collectif très soudé.
Et ceci pour une raison forte que nous venons d’évoquer : la cohésion n’est pas lié à une homogénéité des « profils » mais à une forte cohésion symbolique : tous partagent une idéologie commune.
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222 Voir annexe 3 : La Péniche : 12. Les web cam (p 155) ↑
223 Sylvain est le deuxième membre détaché de la Péniche parisienne. Pour autant, cette distance géographique ne l’a jamais empêché de se sentir pleinement intégré. Il est en effet l’un des fondateurs de cette entreprise et n’est parti sur Grenoble que depuis 2002. Durant 7 ans, il a donc eu tout le temps nécessaire pour tisser des liens de confiance et d’amitié qui lui permirent par la suite de « continuer l’aventure » à distance. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que l’autogestion dans le contexte organisationnel actuel?
Les organisations autogérées sont définies comme de petites communautés autonomes respectueuses du pluralisme des éléments qui la constituent.
Pourquoi certains membres éprouvent-ils des difficultés d’intégration dans une organisation autogérée?
Les difficultés d’intégration peuvent être liées à une inadéquation avec le projet autogestionnaire, comme le montre le cas de Cédric qui espérait faire du journalisme dans une société axée sur l’expérimentation autogestionnaire.
Comment le télétravail affecte-t-il l’intégration des membres dans une organisation autogérée?
Le télétravail peut priver les membres des contacts humains et de la dimension collective de l’organisation, comme cela a été le cas pour Myriam qui a ressenti des difficultés d’intégration en ne participant qu’à distance.