Les implications politiques de l’autogestion révèlent une dynamique surprenante : bien que ce concept ait perdu de sa popularité, ses principes fondamentaux de participation et de responsabilisation sont plus pertinents que jamais. Cette recherche propose une réévaluation critique, essentielle pour comprendre les nouvelles formes organisationnelles contemporaines.
- Les corollaires de la notion de coopération: les thèmes de la décentralisation, de l’autonomie, de la responsabilisation et la reconnaissance de l’efficience du système de contrôle autonome :
La notion de coopération a donc pour corollaire la décentralisation d’un certain nombre de prise de décisions ayant trait à l’organisation du travail, désormais dévolue aux « opérateurs » eux-mêmes. Cette logique de décentralisation est symptomatique du passage d’une logique transcendantale à une logique immanente permettant des adaptations « au plus juste » et en « temps réel », c’est-à-dire des ajustements au plus près du terrain et constamment renouvelés.
Cette nouvelle logique va ainsi encourager l’autonomisation et la responsabilisation des « opérateurs ».
74 JACOT, Jacques-Henri. Formes anciennes, formes nouvelles d’organisation. Presses Universitaires de Lyon, 1994
75 LE MOIGNE, Jean-Louis et CARRE, Daniel. Auto organisation de l’entreprise, 50 propositions pour l’autogestion. Les Editions d’Organisation, 1977
76 GENOT, Alain. Pierre Naville et l’autogestion face aux structures du capitalisme et du socialisme d’Etat. In L’autogestion, la dernière utopie ?, Sous la direction de Frank Georgi, publication de la Sorbonne, 2003
Cette thématique de la décentralisation se retrouve au cœur de la théorie autogestionnaire. En effet, comme nous l’avons évoqué en première partie, l’autogestion repose sur la croyance en la capacité du collectif à se diriger par lui-même sans l’intermédiaire d’une hiérarchie.
L’autogestion suppose donc un principe de décentralisation totale -un thème que l’on retrouve implicitement dans l’étymologie même du terme « anarchie »77 qui signifie « sans commandement » ou « sans autorité »- et conjointement sur une principe de responsabilisation et d’autonomisation de tous.
Un même appel au bouleversement des rapports interhiérarchiques :
Et c’est à une véritable révolution dans les rapports interhiérarchiques que nous conduisent ces nouvelles thématiques, enjoignant les uns à être plus responsables et autonomes et les autres à user de moins de surveillance, de contrôle et de procédures formelles.
Ce processus conduit en effet les travailleurs à développer une « nouvelle attitude (…) vis-à- vis du travail qu’ils ont à réaliser » : « une attitude de prise d’initiative et de responsabilité sur la situation qu’ils affrontent, et dont ils ont la charge en quelque sorte »78. Initiative et responsabilité deviennent « le cœur du travail ».
La décentralisation encourage en effet la « croissance des responsabilités individuelles à tous les niveaux »79. « On constate [ainsi] une tendance de plus en plus répandue à substituer une définition par les objectifs à atteindre ou par les fonctions à remplir (définition laissant ouverte ou semi-ouverte la question du chemin à suivre) à la définition classique des tâches, ce qui revient à introduire une marge d’autonomie intrinsèque dans l’activité »80.
Mais ces nouvelles thématiques encouragent également la direction et l’encadrement intermédiaire à développer une nouvelle attitude envers les travailleurs. Décentralisation, autonomisation et responsabilisation mettent en effet en avant l’existence mais surtout l’efficience d’un système de régulation autonome, et ouvrent ainsi la voie à la reconnaissance formelle du rôle profondément organisationnel de l’informel.
Les activités informelles avaient déjà acquis une certaine légitimité avec la théorie de la régulation conjointe de Jean-Daniel Reynaud, mais « une chose était de [les] admettre plus ou moins tacitement comme nécessité de régulation, autre chose est de [les] réintroduire dans le modèle d’efficience lui-même »81.
Elles sont désormais non seulement reconnues mais, plus encore, pleinement intégrées dans les stratégies organisationnelles. Comme le remarquent Anni Borzeix et Danièle Linhart, « les savoirs et savoir-faire [auxquels ont pourrait ajouter le « savoir-être »] jusqu’alors tacites, informels, non reconnus officiellement par l’organisation font figure, désormais, de ressources essentielles ».
Les nouvelles théories organisationnelles mettent ainsi en avant la forte légitimation des formes de communication informelles qui auparavant était au mieux niées, au pire interdites.
Ainsi, Alain Chanlat et Renée Bédard, s’interrogeant sur la manière de « gérer harmonieusement les flux de communication, condition indispensable pour canaliser les volontés et les intelligences vers la recherche de la performance »82, constatent que les groupes informels « devraient être, sur le plan des échanges, un merveilleux exemple à suivre. Tous les obstacles aux dialogues rencontrés dans les structures formelles sont inconcevables dans les groupes informels »83.
77 Le mot anarchie dérive du grec ancien « an », qui renvoie au préfixe privatif « sans », et « arkhe », signifiant « commandement » ou « autorité ». Voir annexe 2 : « généalogie de l’idée autogestionnaire » (p 66)
78 ZARIFIAN, Philippe. Sur la compétence. En ligne sur http://perso.wanadoo.fr/philippe.zarifian/page50.htm , novembre 1999.
79 Pierre, ROMELAER. Que seront les entreprises de demain. In CABIN, Philippe et CHOC, Bruno (ouvrage coordonné par). Les organisations, états des savoirs. Editions Sciences Humaines, 2005 (2° édition actualisée)
80 ZARIFIAN, Philippe et VELTZ, Pierre. Vers de nouveaux modèles d’organisation. In Sociologie du travail n°1, 1993.
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74 JACOT, Jacques-Henri. Formes anciennes, formes nouvelles d’organisation. Presses Universitaires de Lyon, 1994. ↑
75 LE MOIGNE, Jean-Louis et CARRE, Daniel. Auto organisation de l’entreprise, 50 propositions pour l’autogestion. Les Editions d’Organisation, 1977. ↑
76 GENOT, Alain. Pierre Naville et l’autogestion face aux structures du capitalisme et du socialisme d’Etat. In L’autogestion, la dernière utopie ?, Sous la direction de Frank Georgi, publication de la Sorbonne, 2003. ↑
77 Le mot anarchie dérive du grec ancien « an », qui renvoie au préfixe privatif « sans », et « arkhe », signifiant « commandement » ou « autorité ». Voir annexe 2 : « généalogie de l’idée autogestionnaire » (p 66). ↑
78 ZARIFIAN, Philippe. Sur la compétence. En ligne sur http://perso.wanadoo.fr/philippe.zarifian/page50.htm , novembre 1999. ↑
79 Pierre, ROMELAER. Que seront les entreprises de demain. In CABIN, Philippe et CHOC, Bruno (ouvrage coordonné par). Les organisations, états des savoirs. Editions Sciences Humaines, 2005 (2° édition actualisée). ↑
80 ZARIFIAN, Philippe et VELTZ, Pierre. Vers de nouveaux modèles d’organisation. In Sociologie du travail n°1, 1993. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les implications politiques de l’autogestion en 2023 ?
L’autogestion repose sur la croyance en la capacité du collectif à se diriger par lui-même sans l’intermédiaire d’une hiérarchie, ce qui implique une décentralisation totale et une responsabilisation de tous.
Comment la décentralisation influence-t-elle l’autogestion ?
La décentralisation encourage l’autonomisation et la responsabilisation des opérateurs, permettant des ajustements au plus près du terrain et constamment renouvelés.
Pourquoi est-il nécessaire de réactualiser le concept d’autogestion ?
Il est nécessaire de transformer l’idée autogestionnaire en un véritable concept organisationnel scientifiquement valide, au-delà de ses connotations historiques et idéologiques.