Comment l’analyse comparative redéfinit l’autogestion en 2023 ?

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🏫 Université Haute Bretagne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2005-2006
🎓 Auteur·trice·s
Suzy Canivenc
Suzy Canivenc

L’analyse comparative de l’autogestion révèle que, loin d’être obsolète, ce concept se réinvente dans le débat contemporain sur les formes organisationnelles. En réintégrant des principes tels que la participation et la démocratie participative, cette recherche offre des perspectives novatrices pour repenser le pouvoir au sein des organisations modernes.


      1. La socialisation de l’exercice du pouvoir :

Loin de se limiter à la seule socialisation des moyens de production, l’autogestion repose donc également, et peut-être avant tout, sur la « socialisation de l’exercice du pouvoir »40, ou

« l’appropriation des moyens de pouvoir par les travailleurs et les citoyens »41.

Comme le souligne Pierre Rosanvallon42, « les moyens de production ne sont pas les seuls instruments sur lesquels se fonde le pouvoir dans la société. C’est ainsi que, d’un point de vue économique, on parle dès le XIXème siècle des moyens de production et d’échange ». Il préconise ainsi de « dépasser la seule question de la socialisation des moyens de production pour envisager la socialisation de l’ensemble des moyens de pouvoir », et celle-ci ne s’opère pas par la simple « substitution d’un nouveau propriétaire collectif au propriétaire individuel ». A côté des moyens de production, « Il nous faut [également] aujourd’hui prendre en compte les moyens d’organisation, de formation, d’information, de savoir »43 pour

« imaginer une structure où le « pouvoir » n’est pas une propriété réservée à quelques-uns, une structure sans pouvoir ou plus exactement une structure où l’interrelation44 des éléments est telle qu’aucun n’en domine un autre »45.

Les dimensions informationnelles, communicationnelles et cognitives occupent donc une place centrale dans la théorie autogestionnaire. C’est leur dissémination égalitaire à tous les niveaux de l’organisation qui est à la base même de l’autogestion en entreprise.

40 BRAUD, Philippe et BURDEAU, François. Histoire des idées politiques depuis la révolution. Editions Montchrestien, 1992.

41 ROSANVALLON, Pierre. L’âge de l’autogestion. Edition du Seuil, 1976

42 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976).

43 ROSANVALLON, Pierre. L’âge de l’autogestion. Edition du Seuil, 1976

44 Au travers de cette notion d’ « interrelation », nous retrouvons les positions systémiques à mêmes de montrer l’importance des relations, et donc des communication, dans une organisation autogérée.

45 LABORIT, Henri. Société informationnelle, idée pour l’autogestion. Les Editions du Cerf, 1973

La socialisation de l’information et de la communication :

L’information et la communication étant à la base des processus de prise de décision et d’organisation, elles deviennent des ressources clés dans une organisation basée sur la socialisation de ce pouvoir organisationnel et décisionnel.

Pour devenir réellement égalitaire et collective, l’organisation autogérée doit en effet ouvrir à tous ses membres l’ensemble de ses lieux de prise de décisions. Celles-ci se prenant collectivement, ces lieux de prise de décision deviennent des lieux de négociation, donc de communication, auxquels tout le monde doit avoir accès et participer. C’est à cette transformation fondamentale consistant à « élargir les lieux de production de l’information » que renvoie le principe de « socialisation de la communication ».

Conjointement, il faut également socialiser l’information. Tout un chacun doit en effet détenir les informations nécessaires pour pouvoir participer pleinement aux prises de décision organisationnelle. Tout le monde doit donc avoir accès à l’ensemble des informations circulant sur l’organisation.

Comme le souligne Cornélius Castoriadis46, dans une organisation autogérée, « décider » c’est, d’une part, « décider soi-même », et, d’autre part, « décider en connaissance de cause. Cela signifie que ceux qui décident doivent disposer de toutes les informations pertinentes ».

« Il s’agit donc de diffuser l’information à tous les membres, quelles que soient leurs fonctions (…) La diffusion de l’information est la seule façon de permettre à tous les individus de participer au « pouvoir » »47 . Jean-Louis Le Moigne et Daniel Carré militent ainsi

« pour des bases de données démocratiques » et une « déspécialis[ation] [de] la gestion de l’information », deux principes qui prennent la sixième et septième place de leurs 50 propositions pour l’autogestion48.

Ainsi, la socialisation de l’information et de la communication semble être le principe qui va permettre au collectif de s’affranchir du modèle organisationnel hiérarchique classique. A la place « du chef, du leader, du berger qui décide pour le groupe [se substituent] l’échange, le débat, la négociation, (…) l’information partagée, les enjeux discutés et la décision prise le plus souvent à l’unanimité, au consensus »49.

46 CASTORIADIS, Cornélius. Op. Cit.

47 LABORIT, Henri. Société informationnelle, idée pour l’autogestion. Les Editions du Cerf, 1973

48 LE MOIGNE, Jean-Louis et CARRE, Daniel. Auto organisation de l’entreprise, 50 propositions pour l’autogestion. Les Editions d’Organisation, 1977

49 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement, Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogéré. Editions REAPS, 2003

Mais la socialisation de l’information ne s’arrête pas là, elle renvoie également à la possibilité d’être producteur d’information et donc de sens (c’est-à-dire non seulement d’ « informations- signal » mais aussi d’ « informations symboliques »50). Ainsi, « pour que chaque niveau d’organisation puisse s’intégrer fonctionnellement à l’ensemble, il faut qu’il soit informé de la finalité de l’ensemble, et qui plus est, qu’il puisse participer au choix de cette finalité »51.

La socialisation du pouvoir et de la pise de décision permettent ainsi aux individus qui composent une organisation de se réapproprier la définition de la finalité de leur regroupement en organisation, ils accèdent alors réellement à la propriété politique et symbolique, et non plus seulement matérielle et économique, de leur entreprise.

La socialisation du savoir :

L’apprentissage est une valeur fondamentale dans la pensée autogestionnaire52.

Dans la même veine que la socialisation de l’information et de la communication, la socialisation de la formation vise à élargir le savoir et les connaissances organisationnelles de chacun, alimentés quotidiennement par leur savoir pratique, et qui leur permettront ainsi de prendre part intelligemment à la prise de décision.

Dans une organisation autogérée, la formation se conçoit d’abord en situation et vise à

« modifier les structures et les méthodes de la formation pour mieux assurer, sur une base décentralisée, un enrichissement réciproque du pouvoir théorique et du savoir pratique »53.

Dans une organisation autogérée, la formation est ainsi assurée principalement en interne puisque l’un des objectifs est que chacun détienne les savoirs et les compétences de tous, que le tout soit inscrit dans chacune des parties, permettant ainsi souplesse et flexibilité organisationnelle. L’autogestion prône ainsi un apprentissage permanent et polyvalent.

50 Une distinction opérée par le champ de la Communication Organisationnelle et qui doit être manier avec prudence puisque ces deux dimensions, loin de s’opposer, sont complémentaires. Ainsi, dans l’organisation, l’information signal permet de prendre part à l’organisation des activités productives et à leur coordination ; l’information symbolique permet de prendre part aux décisions politiques et de participer à la cohésion symbolique de l’organisation. Henri Laborit fait ainsi une distinction entre « l’information spécialisée (…) nécessaire à un travail technique, [et] l’information généralisée (…) nécessaire à tout homme pour vivre en homme et non en chimpanzé ».

51 LABORIT, Henri. Société informationnelle, idée pour l’autogestion. Les Editions du Cerf, 1973

52 Cf. annexe 2 : « Généalogie de l’idée autogestionnaire » (p66)

53 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976).

Le savoir se fonde donc sur la pratique mais aussi sur la multiplication des interactions entre les membres de l’organisation, des confrontations qui sont sources de richesse puisqu’elles donnent à voir de multiples points de vue. Socialisation de la formation et socialisation de l’information et de la communication sont donc étroitement liées. En effet, comme l’explique Gilbert Probst « les interactions et les relations doivent être facilitées, pour que chacun soit en mesure de puiser les informations à leur source, les échanger, les interpréter et les utiliser »54. Il parle ainsi d’« apprentissage interactionnel ».

La « socialisation des moyens d’information » va en effet être à la base d’un véritable partage égalitaire des connaissances et des compétences, développant dès lors chez chacun les capacités à prendre des décisions stratégiques. Conjointement, la « socialisation des moyens de communication », enjoignant chacun à s’exprimer, va leur permettre de prendre part activement à ces prises de décision stratégiques.

Socialisation du pouvoir, de l’information, de la communication et du savoir sont donc fortement imbriquées. Comme le soulignent Philippe Braud et François Burdeau, « le courant autogestionnaire porte une grande attention aux problèmes de la communication et de l’éducation pour assurer une participation réelle de tous aux processus décisionnels les concernant. Il s’agit de mettre sur pied une politique audacieuse de formation permanente [visant le] développement maximal et continu de toutes les potentialités humaines, elle est réputée directement porteuse d’un changement radical de la société toute entière, grâce à la formidable libération d’énergies créatrices qu’elle est censée permettre »55.

54 Probst, Gilbert. Apprentissage interactionnel.

55 BRAUD, Philippe et BURDEAU, François. Histoire des idées politiques depuis la révolution. Editions Montchrestien, 1992.


Questions Fréquemment Posées

Qu’est-ce que l’autogestion dans le contexte contemporain ?

L’autogestion repose sur la socialisation de l’exercice du pouvoir et l’appropriation des moyens de pouvoir par les travailleurs et les citoyens.

Pourquoi la socialisation de l’information est-elle importante dans une organisation autogérée ?

La socialisation de l’information est essentielle car elle permet à tous les membres de participer pleinement aux prises de décision organisationnelle.

Comment l’autogestion peut-elle être redéfinie selon les principes modernes ?

L’autogestion peut être redéfinie en intégrant des dimensions informationnelles, communicationnelles et cognitives, et en ouvrant les lieux de prise de décision à tous les membres.

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