Comment le cadre théorique enrichit la photographie en Haïti ?

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🏫 Université d'Etat d'Haïti - Institut d'Etudes et de Recherches Africaines d'Haïti IERAH/ISERSS
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Licence - 2015
🎓 Auteur·trice·s
Assédius BELIZAIRE
Assédius BELIZAIRE

Le cadre théorique de la photographie révèle comment les images documentaires de l’occupation américaine d’Haïti (1915-1920) transcendent leur fonction initiale. En analysant les codes vestimentaires et les postures, cette étude met en lumière des représentations sociopolitiques essentielles, suscitant une réflexion sur l’identité et le contexte historique.


CHAPITRE III – Fondements psychosociologiques

Le vêtement comme indicateur

Dans ce paragraphe, nous allons mettre l’accent sur les composantes qui contextualisent le vêtement et participent à sa signification, dont l’esprit du temps, les circonstances sociales et le groupe social. Le fait que ces facteurs soient tous reliés à l’identité individuelle et collective paraît indicatif du lien inhérent entre l’identité, le vêtement et le contexte. Tel que nous le verrons plus en détail, en exprimant son identité à travers le vêtement, l’individu se prononce sur son propre contexte, tout comme il contribue à le forger.

Tous les concepts majeurs élaborés dans ce chapitre seront retenus en analyses des cas, afin de mettre en lumière la manière dont chacun d’eux construit l’image d’un contexte forcément fractionné par la prise de vue qui reconduit néanmoins une « idée» de la culture de fond. Considérons que le vêtement est interprété par apport à son époque, il contribue également à la définition de l’esprit du temps.

Peter Berger avance que nous sommes situés non pas en société, mais dans un espace-temps, et que notre société est une entité historique qui se prolonge temporellement au-delà des biographies individuelles. Il faudrait donc voir nos vies comme des épisodes à travers une trame temporelle128. La réflexion de Burger n’est pas étrangère à la manière dont nous envisageons ici la place culturo-temporelle du code vestimentaire considéré comme expression ultime de l’esprit du temps.

Le temps serait une grande toile de fond où les sociétés font leur marque à travers l’expression « biographique» de chacun. Pour nous, la biographie collective se symboliserait socialement par les signes vestimentaires et, conséquemment, les vêtements jadis portés en société influenceraient notre conception historique de la trame temporelle. Le vêtement perçu au sein d’une image photographique évoquerait alors une atmosphère relative à un temps spécifique, car sans nécessairement y porter une attention consciente, l’individu choisit son vêtement par rapport à l’esprit du moment.

En quelque sorte, la mode est symbolisation du présent et un outil d’actualisation de soi dans ce présent émergent129. Quentin Bell explique que l’habillement est « le lieu privilégié de la rencontre entre les préoccupations esthétiques et sociales»130.

En adoptant de nouvelles esthétiques vestimentaires, les sociétés expriment des changements de mentalité et d’atmosphère. Gilles Lipovetsky précise qu’en Occident, au XX » siècle, le présent constitue le temps social valorisé et, qu’ainsi, une majorité s’applique à se dégager sans cesse du passé par la consommation d’objets symbolisant la nouveauté, tandis que d’autres cultures s’efforcent à respecter et à perpétuer les coutumes du passé, dont les costumes traditionnels. Partant comme hypothèse que le vêtement est symptomatique de l’expression individuelle et collective, c’est aussi la symbolisation d’une identité historique commune aux gens d’une époque et d’un lieu.

Le contexte social forge une part de la personnalité des individus et favorise un consensus sur des questions tout autant éthiques qu’esthétiques. C’est en vertu de ces ponctuations, de ces moments de retournements sociaux, que les images du corpus ont été sélectionnées et regroupées par thèmes. Au cours du quinquennal couvert, le rôle et le statut des occupants, des dirigeants politiques, des marines, des vigilants, des cacos ont varié, tant dans tant au moment du débarquement qu’au moment où les résistances viennent se faire sentir.

De 1915 à 1920, l’occupation va prendre plusieurs formes à savoir l’expansion économique, politique et militaire des Etats-Unis. Et ceci, bon nombre de cacos ont organisé un mouvement de résistance contre l’occupation. A remarquer, à travers tous les photos on n’a pas remarqué des présences féminines. La représentation des hommes est reliée aux jugements portés sur ses capacités physiques, tactiques et son aptitude à se conformer à la culture de nos ancêtres, de s’organiser en armée pour notre indépendance, les cacos vont s’organiser pour son maintien.

Lors des évènements politiques, le statut de l’homme est défini en vertu de son engagement à l’égard des droits et libertés civiles et politiques qui excèdent néanmoins la libération du pays libre et indépendant.

A travers les cas d’analyse, on mentionne des activités de loisirs dans les camps cacos. Dans plusieurs cas du corpus, les portraits de groupe indiquent la manière dont les personnages envisageaient collectivement l’activité en question et le rôle qu’ils comptent y jouer et il y a un aspect « théâtral» à leur attitude.

Pour Susan B. Kaiser, «Tout autant que les personnes elles-mêmes, les vêtements ainsi que d’autres accessoires et décors aident à définir le contexte de l’interaction»131. Les vêtements que portent soit les marines, soit les vigilants, soit les personnalités politiques, soit les cacos déterminent le ton et la gamme d’activités potentielles pour la situation.

Par exemple, des circonstances « informelles », telle la parade des marines, peuvent soudainement changer de registre si des vêtements non conformes à l’esprit militaire y sont portés. La rhétorique des gestes s’en verra probablement affectée, comme les modes de placement et déplacement des pieds ou une parade en ligne brisée. Ce pouvoir du vêtement à définir les circonstances a d’ailleurs été retenu comme « référence» dans la classification des photographies du corpus. Dans les cas où le contexte en arrière-plan paraissait neutre ou ambigu, ce sont les codes vestimentaires qui ont indiqué l’activité à laquelle s’adonnaient les personnages.

Un simple rassemblement de quelques personnes peut constituer en soi un contexte social, et c’est pourquoi nous avons privilégié les portraits de groupe. En psychologie sociale, Serge Moscovici nomme aussi psychosociologie132, on désigne d’ailleurs le groupe comme étant le lieu où le code acquiert son sens, pour un temps. Selon Roger Lambert, il y a quatre caractéristiques pour définir un groupe : le type d’organisation, la longévité du groupe, la taille du groupe et la composition du groupe133.

Selon Georges R. Sproles et Leslie Davis Burns, le vêtement tire sa signification d’après la réaction qu’il suscite en contexte social134. C’est qu’il y a indéniablement et perpétuellement évaluation, négociation, jugement, rejet ou adoption lorsque l’on parle de la réception des codes vestimentaires au sein même d’un groupe plus ou moins élargi.

Chaque groupe est une micro-culture ayant ses propres références, et dont le fonctionnement harmonieux dépend de la coopération et coordination entre les individus. Dans tout rassemblement, chacun négocie et adopte une posture ou une attitude qui lui procurera idéalement du confort et réussit avec plus ou moins de succès à trouver un rôle qui lui convient.

La conformité dans la façon d’être et de se vêtir permet de réduire l’anxiété et d’obtenir l’acceptation de ses pairs, car elle démontre sa capacité de communiquer avec leurs codes partagés135.

Dans une société peu hiérarchisée, comme celle d’Haïti au XXème siècle, il est possible de former de nouvelles affiliations par le personnage social que l’on met de l’avant. Ce que l’individu exprime pour l’approbation de ses collègues peut augmenter son statut ou encore démontrer sa soumission devant eux. Pierre Bourdieu utilise l’expression «capital culturel » pour décrire les symboles qui reconduisent les valeurs et les goûts d’un groupe de référence136. Georg Simmel note toutefois que la mise en valeur de l’individu, homme ou femme, par l’étalage de ce qui le distingue, ne doit d’aucune façon subjuguer le groupe137. C’est qu’à travers la dynamique de groupe, une situation sociale est définie; celui qui menace la définition de la situation risque des représailles de la part de ses collègues138. Cette psychologie de groupe participe au statu quo.

Un marine, ou un caco, ou un vigilant, adoptant un comportement ou une apparence non conventionnelle bouscule donc les attentes à son égard et « incite» ceux qui l’entourent à la marginaliser pour reformuler un consensus. Toutefois, le groupe peut également redéfinir la situation pour lui faire place. C’est ainsi que les transformations dans le comportement vestimentaire peuvent contribuer à la redéfinition des situations, amenant graduellement des changements de mentalité.

Plus le groupe influence la signification des codes, plus il joue un rôle important dans l’élaboration d’un ordre social et sexuel. D’après Maertens, l’autorité d’un groupe ou d’une personne peut se déclarer par la transgression des différences incombant au contrôle sur la signification des signes vestimentaires, car qui dit différence, dit signification et nécessairement ordre et hiérarchie139.

Certes, cela constitue à la fois un pouvoir sur sa propre identité et celles des autres. Par exemple, le fait d’adopter, dans les photos, pour bon nombre de cacos les vestes comme « vêtement officiel » peuvent être interprétés comme une quête de pouvoir équivalent. À l’époque du quinquennal couvert par le corpus, ils pouvaient même choquer, car ils détournaient la signification initiale des codes et diluaient le statut traditionnel et distinct des personnages.

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128 (Cité par ANNE-MARIE HAMEL, n.d., p 33)

129 (Ibid, n.d., p 34)

130 (Ibid., même page)

131 (Ibid, p 38)

132 http://sylvie.barbier.pagesperso-orange.fr/c1.pdf, p 2

133 Ibid, p 5

134 (Opcit, même page)

135 (ANNE-MARIE HAMEL, n.d., p 39)

136 (Cité par ANNE-MARIE HAMEL, n.d., même page)

137 (Cité par ANNE-MARIE HAMEL, n.d., même page)

138 (Cité par ANNE-MARIE HAMEL, n.d., même page)

139 (Cité par ANNE-MARIE HAMEL, n.d., même page)


Questions Fréquemment Posées

Comment le vêtement est-il interprété dans la photographie documentaire en Haïti?

Le vêtement est interprété par rapport à son époque et contribue à la définition de l’esprit du temps, symbolisant l’identité individuelle et collective.

Quelle est l’importance du contexte social dans la photographie documentaire?

Le contexte social forge une part de la personnalité des individus et favorise un consensus sur des questions éthiques et esthétiques, influençant ainsi les représentations photographiques.

Comment la mode reflète-t-elle les changements sociétaux durant l’occupation américaine d’Haïti?

En adoptant de nouvelles esthétiques vestimentaires, les sociétés expriment des changements de mentalité et d’atmosphère, ce qui est symptomatique de l’expression individuelle et collective.

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