Les applications pratiques en communication révèlent des mécanismes de défense insoupçonnés dans le contexte congolais. Cette recherche innovante, alliant psychologie interculturelle et méthodologies mixtes, offre des perspectives essentielles pour comprendre les dynamiques socioculturelles et leurs implications sur les interactions multiculturelles.
- Communications généralisées et contextualités situationnelles du « jugement potentiel »
- Description de cas
- Communications généralisées et contextualités situationnelles du « jugement potentiel »
Pour comprendre comment les acteurs sociaux congolais produisent le « jugement potentiel » dans un contexte multiculturel, les sujets enquêtés ont été appelés à tour de rôle à réagir autour du thème ci-après : « La présence des ressortissants d’autres provinces constituent une menace pour vous les autochtones dans différents domaines de la vie (politique, économique, …..) ».
Les données recueillies de ces échanges peuvent être résumées comme suit445 :
- Bandundu : Très souvent, notre peuple est toujours contre la promotion des personnes venant d’autres provinces, surtout dans les établissements publics sauf en cas de manque de compétences locales, puisque nous avons beaucoup d’aînés qui traînent une expérience de plus de 25 ans malheureusement sans avoir jamais été promus à des postes hautement qualifiés.
- Bas-Congo : Très souvent, la présence des personnes venant d’autres provinces est perçue comme une menace, car elles sont supposées ne pas venir pour développer la province, bien au contraire pour piller et perpétuer leur tribalisme ; la preuve est qu’un bon nombre d’entreprises (comme la Cilu, …) dirigée par des personnes venant d’ailleurs ne sont pas performantes. Certains responsables ont même amené les cuisiniers et les sentinelles de leurs provinces d’origine.
- Equateur : Jamais, nous ne percevons la présence des autres culturels comme une menace. Nous sommes donc convaincus qu’ils méritent la place qu’occupent chez nous, car ils ont plus étudié que nous. Par ailleurs, dans les entreprises privées, on préfère confier la gestion aux étrangers qu’aux autochtones, parce qu’on nous accuse d’être moins sérieux ou des voleurs. On nous confie surtout des postes d’exécution.
- Kasaï Occidental : Souvent, nous sentons que la présence des autres sur notre sol est un danger, tels les Tshokue accusés d’avoir une origine double, au Kasaï et en Angola. Tandis que les Bindi sont aussi au Kasaï et au Bandundu. Les gens de l’Est du pays (Nord-Kivu, Province Orientale et Sud-Kivu) sont accusés de complices avec les Rwandais et ce sont eux qui empêchent Tshisekedi Wa Mulumba d’arracher le pouvoir.
- Kasaï Oriental : Souvent, la présence des autres culturels est perçue comme une menace. Car les autochtones n’aiment pas céder leurs terres aux étrangers. C’est le cas des tensions enregistrées lorsque les Balubakat, après avoir été chassés du Katanga, réclamaient certains espaces pour cultiver les champs à Kabinda dans le village Kilenge.
- Katanga : Très souvent, la présence des autres est ressentie comme une menace ou une frustration parce qu’ils viennent troubler l’ordre établi. Par exemple, la présence des motards446 dans la ville, l’occupation des postes qualifiés par les étrangers.
- Kinshasa : Jamais, nous ne nous sentons menacés par l’arrivée à Kinshasa des personnes d’autres provinces, et surtout que nous sommes déjà supérieurs à eux. Bien au contraire, nous sommes très contents parce qu’ils nous apportent la nourriture. Sans eux, Kinshasa ne pourrait pas exister.
- Maniema : Jamais nous ne sentons que la présence des autres chez nous est une menace. Bien au contraire, nous sommes contents de les accueillir ; la preuve est qu’en dehors de nos frères socio-linguistiques (Nord-Kivu, Province Orientale et Sud-Kivu) nous vivons avec les Kasaïens, les Bakongo et les Ouest-africains.
- Nord-Kivu : Souvent, la présence des venants est pressentie comme une menace parce qu’ils viennent nous imposer leurs habitudes. Dans l’administration publique par exemple, les venants ont amené l’égoïsme et l’empoisonnement.
- Province Orientale : Jamais nous ne sommes contre l’arrivée des étrangers. Bien au contraire, nous sommes contents de leur arrivée sur notre sol, surtout s’ils sont qualifiés, car la province souffre d’une carence en ressources humaines dans les domaines variés. Leur arrivée nous apporte donc un plus. D’un point de vue social, la présence d’un étranger comme un « blanc » est perçue comme un signe de richesse et d’épanouissement (musungu ana kuiya). Par contre, sur le plan religieux, les pasteurs kinois sont toujours pris pour des féticheurs ou occultistes puisqu’ils qualifient tout le monde de « sorcier ». Ils ne sont pas non plus sérieux dans leur comportement (farce, magouille, escroquerie).
- Sud-Kivu : Très souvent, nous sentons la présence des étrangers comme une menace, surtout ceux qui cherchent à vivre comme nous. Nous n’acceptons pas que les étrangers viennent nous dominer.
Toutes ces données sont analysées en termes d’éléments communicationnels (généralisés et contextuels) dans le paragraphe qui suit en fonction de « tableau panoramique de dépouillement » (voir le tableau n°08) et de la « grille d’analyse » (voir tableau n°09).
- Analyse des éléments communicationnels (généralisés et contextuels)
Il s’agit ici de dégager les éléments de la communication généralisée et de la contextualité situationnelle à partir des discours (réactions) des sujets enquêtés décrits ci-haut. Le tableau panoramique n°24 résume les éléments de cette analyse.
Tableau n°24 :
Tableau panoramique du jugement potentiel
Tableau panoramique du jugement potentiel | |
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Province | Perception de la présence étrangère |
Bandundu | Très souvent perçue comme négative |
Bas-Congo | Très souvent perçue comme une menace |
Equateur | Jamais perçue comme une menace |
Kasaï Occidental | Souvent perçue comme un danger |
Kasaï Oriental | Souvent perçue comme une menace |
Katanga | Très souvent ressentie comme une menace |
Kinshasa | Jamais perçue comme une menace |
Maniema | Jamais perçue comme une menace |
Nord-Kivu | Souvent pressentie comme une menace |
Province Orientale | Jamais perçue comme négative |
Sud-Kivu | Très souvent sentie comme une menace |
Nous pouvons tirer du tableau n°24 les constats ci-après :
- en général, le mécanisme « jugement potentiel » existe dans toutes les provinces ;
- sept provinces (Bandundu, Bas-Congo, Kasaï Occidental, Kasaï Oriental, Katanga, Nord-Kivu et Sud Kivu), soit 64 % de cas, véhiculent des valeurs négatives dans leurs discours comme le sentiment de rejet des autres, la méfiance et la tendance égocentrique ;
- quatre provinces (Equateur, Kinshasa, Maniema et Province Orientale), soit 36 % de cas, développent un sentiment d’acceptation des autres culturels, la confiance et la tendance à mener une vie ensemble avec les autres (grégaire).
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445 Données recueillies lors des entretiens avec les étudiants des premières années de graduat (A et B) de l’IFASIC, du 09 au 30 avril 2013. ↑
446 Motards appelés « Wewa » dans le langage populaire à Kinshasa, qui sont en majorité venus de deux Kasaï. ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment la présence d’autres provinces est-elle perçue au Congo?
La présence des ressortissants d’autres provinces est perçue de différentes manières selon les régions, certains la voyant comme une menace, tandis que d’autres l’accueillent positivement.
Pourquoi certains Congolais perçoivent-ils la présence d’étrangers comme une menace?
Des régions comme le Bas-Congo et le Kasaï Occidental considèrent la présence d’étrangers comme une menace, craignant qu’ils ne viennent pas pour développer la province mais pour piller et perpétuer leur tribalisme.
Quelles sont les perceptions positives de la présence d’autres cultures au Congo?
Des régions comme Kinshasa et Maniema ne se sentent pas menacées par la présence d’autres cultures et sont contents de les accueillir, car ils apportent des ressources et de la nourriture.
Comment les perceptions varient-elles selon les provinces congolaises?
Les perceptions varient considérablement, avec certaines provinces comme l’Équateur accueillant les étrangers, tandis que d’autres comme le Kasaï Oriental ressentent des tensions à cause de la présence d’étrangers sur leurs terres.
Quels mécanismes de défense socioculturelle sont identifiés dans la communication interculturelle au Congo?
L’étude identifie des mécanismes de défense socioculturelle qui influencent la manière dont les Congolais interagissent avec d’autres cultures, en fonction de leurs expériences et de leurs contextes régionaux.