Les mécanismes de défense en communication révèlent des dynamiques inattendues dans les interactions interculturelles congolaises. Cette recherche innovante met en lumière des éléments souvent négligés, transformant notre compréhension des enjeux psychologiques et socioculturels qui façonnent la communication.
Section 2 :
Analyse qualitative des éléments communicatifs des mécanismes situationnels
Notre deuxième analyse traite de cinq mécanismes situationnels, à savoir : l’altérité ou la coprésence, la dissymétrie ou la distance psychologique, le jugement potentiel, le conformisme et la déviance. Chaque analyse se fait en trois étapes, d’abord, la description de cas en fonction des réactions des enquêtés par rapport à la thématique développée, ensuite, l’identification des éléments communicationnels pertinents (généralisés et contextuels) à l’aide du tableau panoramique, enfin, la conclusion partielle en termes de constats.
- Communications généralisées et contextualités situationnelles de l’« altérité »
- Description de cas
- Communications généralisées et contextualités situationnelles de l’« altérité »
Pour comprendre comment les acteurs sociaux congolais produisent l’« altérité » ou la « coprésence » dans un contexte multiculturel, les sujets enquêtés ont été appelés à tour de rôle à discuter autour du thème ci-après : « il existe bel et bien des différences entre des personnes d’origines culturelles différentes dans le pays, ceci est même ressenti dans votre province ». Les données recueillies de ces échanges peuvent être résumées comme suit443 :
- Bandundu : Très souvent, il existe une différence entre les autres et nous. Sur le plan physique, nous sommes généralement de petite taille et mince. Et sur le plan social, nous manquons de sociabilité entre nous. Ce manque de sociabilité s’observe déjà au niveau de nos familles restreintes liées à notre système de matriarcat, le père s’occupent de ses neveux et les enfants abandonnés à leur oncle. Si ce dernier n’a pas de ressources
443 Données recueillies lors des entretiens avec les étudiants des premières années de graduat (A et B) de l’IFASIC, du 09 au 30 avril 2013.
financières suffisantes, les enfants sont abandonnés à leur triste sort, ce qui arrive le plus souvent. Cette situation de déséquilibre socio-affectif affecte le comportement des enfants sur toute leur vie, ce qui justifie le manque de sociabilité lorsqu’ils deviennent grands. Lorsque nous sommes en face des autres, nous nous sous-estimons, surtout lorsque nous sommes en face des Kinois, nous avons tendance à faire comme eux pour éviter d’être humiliés.
- Bas-Congo, Très souvent, les Bakongo sont très réservés et rancuniers, comportement que vous ne trouvez pas chez les ressortissants de la province de l’Equateur. Comme exemple, en cas de conflit entre les membres d’une famille, bien que celle-ci puisse les inviter à négocier autour de l’arbre à palabre (Kinzonzi en kikongo), les concernés vont s’entendre bien sûr, mais chacun de son côté va rester prudent, parce qu’ils estiment qu’à chaque fois le conflit peut ressurgir. En revanche, les Bakongo sont très accueillants et respectueux, comportement que vous ne trouvez pas chez les Kinois.
- Equateur : Il nous arrive souvent de constater que nous sommes différents des autres provinces, surtout avec les Katangais puisqu’ils ont étudié et occupent des postes de responsabilité dans l’administration publique et les entreprises étatiques de chez nous. Ainsi, certains équatoriens cherchent à parler le Swahili pour assurer leur intégration à la communauté katangaise afin de bénéficier de leurs faveurs.
- Kasaï Occidental : Souvent, il existe des différences entre les différents peuples en RDC. Il suffit simplement d’entendre les Kasaïens parler, on se rend compte qu’ils sont différents des autres. Beaucoup de gens nous fustigent et nous traitent d’orgueilleux, de vantards.
- Kasaï Oriental : Souvent, nous sentons que nous sommes différents des autres. Nous sommes un peuple créé pour diriger le pays. Notre tour n’est pas encore arrivé. Avec notre diamant, nous devons être respectés.
- Katanga : Très souvent, les Katangais sont un peuple réservé, ils ne font pas confiance à tout le monde. Car tout étranger est perçu comme une personne qui vient conquérir l’espace de leurs ancêtres, c’est le cas des Balubakat. D’où, il faut en être méfiant. Par ailleurs, les Kinois sont perçus comme des escrocs, des voleurs ou des violeurs.
- Kinshasa : Très souvent, nous sentons qu’il y a une différence entre les autres et nous du point de vue du langage, habillement, art culinaire, sociabilité. Du point de vue du langage, les gens venant d’autres provinces mélangent avec leur dialecte et souvent ils ont une mauvaise diction, comme exemple les Baluba prononcent « wonze » à la place de « onze », les Bayombe, ressortissants de Bas-Congo, prononcent « weske vous bitez » à
la place de « Où est-ce que vous habitez ? » mieux de « où habitez-vous ? ». Du point de vue de l’habillement, les ressortissants d’autres provinces s’habillement plus décemment que les Kinoises qui ont l’habitude souvent de porter des collants et des tenues transparentes. Mais, ils ne savent pas mélanger les couleurs, des fois ils portent plusieurs couleurs au même moment.
Du point de vue culinaire, les arrivants consomment plus de gibier que les Kinois, ils mangent même la viande des animaux sauvages comme les « serpents », les « rats », les « chiens » (que certains Kinois commencent actuellement à consommer). Du point de vue de la sociabilité, ce sont des gens avec lesquels il est difficile de cohabiter puisqu’ils sont dans de caractère, ils sont insupportables et têtus.
- Maniema : Souvent, il existe une différence entre les gens de différentes provinces. Comme exemple, chez nous, les femmes s’habillent décemment, les gens sont accueillants. Tandis que les autres sont jugés indécents et égoïstes, comme à Kinshasa, il est difficile de boire de l’eau auprès des personnes que vous ne connaissez pas.
- Nord-Kivu : Quelquefois, il nous arrive de ressentir des différences avec les autres. Comme exemple, nous sommes surpris de voir un homme habiter avec sa femme chez ses parents. Habituellement, nous sommes plus propres et nous aimons également soigner notre environnement, chose que vous ne trouvez pas chez les autres.
- Province Orientale : Très souvent, nous sentons qu’il existe des différences entre nous et les ressortissants d’autres provinces, par exemple du point de vue culinaire et du langage. Celles-ci s’observent dans certains adages swahili comme « kpandikpa e mbute ndi mbute » se traduisant en français « bantu est bantu et pygmée restera toujours pygmée, il ne deviendra jamais un bantu ». Du point de vue culinaire, nous avons du mal à consommer certaines nourritures préparées par nos voisins. Mais du point de vue linguistique, nous nous distinguons des autres par notre langue, le « Swahili ». De ce fait, tout celui qui parle autre langue que celle-ci est considéré comme un étranger. Raison pour laquelle, nous considérons les ressortissants du Nord Kivu, Sud Kivu et Katanga comme nos frères.
- Sud-Kivu : Très souvent, notre peuple (Shi, Rega et Bafulero) croit que sa culture est la meilleure, car nous avons des gens qui ont beaucoup d’argent et qui sont facilement remarquables, surtout chez le Shi. La présence des étrangers est effacée par la compétition entre deux tribus (Shi et Rega).
Les données issues de toutes ces considérations sont analysées en termes d’éléments communicationnels (généralisés et contextuels) dans le paragraphe qui suit en fonction de
« tableau panoramique de dépouillement » (voir le tableau n°08) et de la « grille d’analyse » (voir tableau n°09).
- Analyse des éléments communicationnels (généralisés et contextuels)
Il est question ici de dégager les éléments de la communication généralisée et de la contextualité situationnelle à partir des discours (réactions) des sujets enquêtés décrits ci-haut. Le tableau panoramique n°22 résume les éléments de cette analyse.
Tableau n°22 : Tableau panoramique de l’altérité
Tableau panoramique de l’altérité | |
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Paramètre/Critères | Description/Valeur |
Constat 1 | En général, le mécanisme « altérité ou coprésence » existe dans toutes les provinces. |
Constat 2 | Neuf provinces (soit 82 %) véhiculent dans leurs discours le sentiment de rejet des autres, la méfiance, la tendance égocentrique. |
Constat 3 | Deux provinces (Bandundu et l’Equateur) ont véhiculé des valeurs positives (soit 18 %). |
Il ressort du tableau n°22 les constats ci-après :
- en général, le mécanisme « altérité ou coprésence » existe dans toutes les provinces ;
- neuf provinces (soit 82 %) véhiculent dans leurs discours le sentiment de rejet des autres, la méfiance, la tendance égocentrique. Il s’agit de : Bas-Congo, Kasaï Occidental, Kasaï Oriental, Katanga, Kinshasa, Maniema, Nord-Kivu, Province Oriental et Sud-Kivu ;
- deux provinces (Bandundu et l’Equateur) ont véhiculé des valeurs positives (soit 18 %). De ce fait, ils développent un sentiment d’acceptation des autres culturels, la confiance et la tendance grégaire.
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443 Données recueillies lors des entretiens avec les étudiants des premières années de graduat (A et B) de l’IFASIC, du 09 au 30 avril 2013. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les mécanismes situationnels identifiés dans la communication interculturelle au Congo?
Cinq mécanismes situationnels sont identifiés : l’altérité ou la coprésence, la dissymétrie ou la distance psychologique, le jugement potentiel, le conformisme et la déviance.
Comment l’altérité est-elle perçue dans les différentes provinces congolaises?
L’altérité est perçue différemment selon les provinces, par exemple, les Bandundu ressentent une différence physique et sociale, tandis que les Bakongo sont souvent réservés et rancuniers.
Quel impact les différences culturelles ont-elles sur la sociabilité des Congolais?
Les différences culturelles affectent la sociabilité des Congolais, comme le montre le manque de sociabilité observé dans les familles matriarcales de Bandundu, où les enfants se sous-estiment face aux Kinois.