L’innovation en communication interculturelle révèle des mécanismes de défense insoupçonnés au sein des interactions congolaises. Cette recherche, alliant psychologie et méthodologie mixte, offre des perspectives nouvelles sur la gestion des différences culturelles, essentielles pour comprendre les dynamiques sociales contemporaines.
Section 3 :
Constructivisme
En sciences humaines, de nombreux scientifiques se sont préoccupés et se préoccupent de savoir comment les acteurs sociaux « construisent » leurs visions du monde, gèrent leurs différences d’interprétation et agissent pour faire face aux problèmes qui leur apparaissent. Cette problématique intéresse également les sciences de la communication, car dans tout processus de communication, les acteurs sociaux sont engagés permanemment dans la recherche des significations (ou du sens), lesquelles significations dépendent du contexte socioculturel dans lequel ils évoluent et de la manière dont ils définissent
la situation. Vouloir répondre à cette problématique c’est adopté une « posture constructiviste » qui va consister à construire des matériaux permettant de comprendre les messages et la portée des gestes posés par les acteurs à partir de leurs échanges. De ce fait, notre recherche s’inspire aussi bien de la théorie constructiviste.
Les paragraphes ci-après nous décrivent en détail le fondement scientifique de ce paradigme, ses principes et la nécessité d’un cadre théorique à construire.
- Fondement scientifique du constructivisme
L’individu est le protagoniste actif du processus de connaissance ; les constructions mentales qui en résultent sont le produit de son activité. L’individu organise son monde au fur et à mesure qu’il apprend, en s’adaptant. Cette posture constructiviste insiste sur la nature adaptative de l’intelligence, sur la fonction organisatrice, structurante qu’elle met en œuvre.
Le constructivisme est un courant inspiré des travaux de psychologie génétique de Jean Piaget345. Mais à l’heure actuelle, l’attitude constructiviste, sur le plan épistémologique, consiste pour le chercheur à tenter de re-construire, en quelque sorte, le sens attribué par les acteurs eux-mêmes à leurs actions humaines et/ou sociales.
Il s’inscrit alors « dans un mouvement historique de fond qui voit les sciences humaines et sociales s’orienter vers l’analyse des logiques d’action et des pratiques sociales en situation pour répondre, d’une part, à la crise des grands systèmes explicatifs et à la forte demande managériale d’analyse des situations professionnelles. Ce mouvement de pensée achève, de son
point de vue, le dépassement du dualisme et des logiques de la représentation liés à la désacralisation du monde vécu »346.
Pour Thmos A. Schwandts347, le constructivisme vient d’une croyance que la compréhension du savoir part de la construction qu’en font les acteurs sociaux à partir de leurs interprétations. Il offre au chercheur la construction des constructions.
Pour Jean Poupart348, le comportement humain ne se comprend et ne s’explique qu’en relation avec les significations que les individus donnent aux choses et à leurs actions. Ces significations se développent et se construisent en cours d’action, à travers les interactions qu’ils entretiennent avec les autres et le monde extérieur.
L’approche constructiviste définie par Egon G. Guba et Yvonna S. Lincoln349 comporte trois pôles :
- le pôle ontologique : les réalités sont appréhendées sous des formes multiples selon des constructions mentales et des expériences sociales de nature spécifique et contextualisée. Les constructions ne sont ni vraies ni fausses. Les constructions singulières des participants sont considérées ;
- le pôle épistémologique : le chercheur et l’objet de l’investigation sont liés et les découvertes ou la production du savoir sont liées à ce processus ;
- le pôle méthodologique : la nature des constructions sociales se réalise par des interactions entre le chercheur et les répondants. La variété des constructions est interprétée selon les techniques herméneutiques et comparées par échange didactique.
Signalons que le constructivisme se base sur des contextualisations scientifiques, les façons dont les scientifiques d’un domaine peuvent construire les référentiels dans lesquels ils font parler, c’est-à-dire donnent du sens aux phénomènes qu’ils ont à analyser. Il faudrait donc élaborer un « contexte » par rapport auquel les phénomènes à analyser prennent du sens en tenant compte des exigences suivantes350 :
- la volonté de lier la communication à l’action ;
346LE MOËNNE, C., « Questions et hypothèses sur les approches constructivistes et les recherches en communications organisationnelles », in La place du constructivisme pour l’étude des communications, actes du colloque de Bérziers, Montpellier, CERIC, 2003, pp.9-14.
347SCHWANDTS, T.A., « Constructivistes, les approches d’interprétation à l’enquête de l’homme », in DENZIN, N.K. et LINCOLN, Y.S. (Eds), Handbook of qualitative research, London, Sage Publications, 1994, p. 118.
348POUPART, J., « Méthodologie qualitative en sciences humaines : une approche à redécouvrir », in
Apprentissage et socialisation, vol. 4, n°1, 1981, p. 43.
349GUBA, E. G. et LINCOLN, Y. S., « Competing paradigms in Qualitative research », in DENZIN, N. K. & LINCOLN, Y. S. (Eds), op.cit, pp. 110-111.
350MUCCHIELLI, A. et NOY, C., op.cit, p. 7.
- une complète intégration par le chercheur des éléments culturels de définitions des situations, ceci étant la preuve de son expérimentation sociale, préalable ou non, de ces éléments ;
- une constante recherche des significations par mise en relation de tout ce qui peut être mis en relation ;
- des allers et retours entre recueil des données sur les situations à analyser et l’élaboration des interprétations, car chaque nouvelle interprétation donne des idées pour en savoir plus sur les conditions situationnelles.
En effet, la recherche constructiviste, pour Alex Mucchielli351, doit faire appel à un cadre de référence théorique large et souple qui est vu comme une carte provisoire du territoire, composée de connaissances générales à propos du phénomène qu’il s’apprête à étudier, ainsi que des repères interprétatifs,…. Ce cadre de référence constitue une boîte à outils qui comprend à la fois quelques outils généraux et plusieurs outils spécifiques que l’on choisira d’utiliser selon le type de problème à traiter ou l’univers interprétatif à construire.
Dans la réflexion épistémologique du constructivisme, deux concepts concourent à son opérationnalisation. Il s’agit du constructionnisme et du socioconstructivisme. « Ces deux concepts sont caractérisés par l’explication des processus de contextualisation (primaire et communicationnelle) présente chez l’être humain »352.
Le constructionnisme est donc un point de vue scientifique sur la manière dont les hommes arrivent à percevoir le monde et à agir dans ce monde interprété par eux. Pour Alex Mucchielli et Claire Noy353, la position constructionniste considère que la plupart des phénomènes dont parlent les hommes et par rapport auxquels ils agissent sont des
« constructions » qu’ils élaborent eux-mêmes, d’où le nom de « constructionnisme ». Les phénomènes du monde ne sont pas des données intangibles de ce monde, accessibles de la même manière à tous, puisqu’il existe autant de « constructions » que de groupes d’hommes et encore d’individus. En ce sens, le constructionnisme est un « subjectivisme », c’est-à-dire qu’il met en premier plan les interprétations faites par les acteurs sociaux.
Par rapport au constructivisme, le socioconstructivisme ou sociocognitivisme introduit une dimension supplémentaire, celle des interactions, des échanges, du travail de verbalisation, de co-construction et de co-élaboration »354. C’est un courant de la sociologie contemporaine lancé par Peter L. Berger et Thomas Luckmann355 dans leur livre The Social Construction of Reality publié en 1966, d’après lequel la « réalité socialement construite » est vue comme un
351MUCCHIELLI, A., « Le développement des méthodes qualitatives et l’approche constructiviste des phénomènes humains », in ROYER, C. et BARIBEAU, C., Recherches qualitatives et production de savoirs, in Les Actes, n°1, 2005, pp. 41-60.
352MUCCHIELLI, A., et NOY, C., op.cit, p. 5.
353Ibid, p. 11.
354BARNIER, G., op.cit, pp. 9-13.
355BERGER, P.L. and LUCKMANN, T., op.cit, pp. 1-115.
processus dynamique : la réalité est « re-produite » par les personnes qui agissent en fonction de leur interprétation et de leur connaissance (qu’elle soit consciente ou non) de celle-ci. Il a influencé des travaux de recherche en sociologie comme en sciences de l’éducation. Mais en sciences de l’éducation, l’idée d’une construction sociale est prolongée par les travaux de Lev Semionovitch Vygotski356 sur « l’apprentissage » avec l’idée d’une auto-socio-construction des connaissances par ceux qui apprennent lors des activités sociocognitives liées aux échanges didactiques (enseignant – élèves et élèves – élèves). Aux États-Unis, le constructivisme social a souvent été associé aux Cultural Studies.
L’on peut peut retenir de ces deux points de vue que la communication interculturelle est une réalité sociale. Or toute réalité sociale est « construite », c’est-à-dire créée, objectivée ou institutionnalisée et, par la suite, transformée en traditions. Cette construction est assurée par des processus psychiques de pensée et les influences des contextes socioculturels dans lesquels les acteurs sont insérés. Le « constructivisme » serait dans ce cas un paradigme scientifique mieux indiqué pour étudier ce phénomène.
En outre, le constructivisme est une position épistémologique, c’est-à-dire un parti pris sur la connaissance et les modalités d’arriver à cette connaissance. De ce fait, il exige, pour la recherche scientifique, l’utilisation d’outils d’un certain type, à savoir des macro-concepts et des méthodes adaptatives. Les macro-concepts sont des concepts larges intégrés dans des théories pas trop structurées, des concepts qui puissent être affinés au fur et à mesure des découvertes. Les méthodes adaptatives qui puissent se perfectionner progressivement pour mieux saisir les phénomènes. Le constructivisme concerne la science et la manière de la faire, les représentations et les manières dont les hommes les construisent. Pour y parvenir, il est recommandé de respecter les principes et les exigences qui s’y imposent.
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345 PIAGET, J., op.cit, pp. 359-365. ↑
346 LE MOËNNE, C., « Questions et hypothèses sur les approches constructivistes et les recherches en communications organisationnelles », in La place du constructivisme pour l’étude des communications, actes du colloque de Bérziers, Montpellier, CERIC, 2003, pp.9-14. ↑
347 SCHWANDTS, T.A., « Constructivistes, les approches d’interprétation à l’enquête de l’homme », in DENZIN, N.K. et LINCOLN, Y.S. (Eds), Handbook of qualitative research, London, Sage Publications, 1994, p. 118. ↑
348 POUPART, J., « Méthodologie qualitative en sciences humaines : une approche à redécouvrir », in Apprentissage et socialisation, vol. 4, n°1, 1981, p. 43. ↑
349 GUBA, E. G. et LINCOLN, Y. S., « Competing paradigms in Qualitative research », in DENZIN, N. K. & LINCOLN, Y. S. (Eds), op.cit, pp. 110-111. ↑
350 MUCCHIELLI, A. et NOY, C., op.cit, p. 7. ↑
351 MUCCHIELLI, A., « Le développement des méthodes qualitatives et l’approche constructiviste des phénomènes humains », in ROYER, C. et BARIBEAU, C., Recherches qualitatives et production de savoirs, in Les Actes, n°1, 2005, pp. 41-60. ↑
352 MUCCHIELLI, A., et NOY, C., op.cit, p. 5. ↑
354 BARNIER, G., op.cit, pp. 9-13. ↑
355 BERGER, P.L. and LUCKMANN, T., op.cit, pp. 1-115. ↑
356 VYGOTSKI, L.S., op.cit, p. XX. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le constructivisme en communication interculturelle?
Le constructivisme est une posture qui consiste à construire des matériaux permettant de comprendre les messages et la portée des gestes posés par les acteurs à partir de leurs échanges.
Comment le constructivisme influence-t-il la compréhension des actions humaines?
Le comportement humain ne se comprend et ne s’explique qu’en relation avec les significations que les individus donnent aux choses et à leurs actions, qui se développent à travers les interactions.
Quels sont les trois pôles de l’approche constructiviste selon Guba et Lincoln?
Les trois pôles de l’approche constructiviste sont : le pôle ontologique, le pôle épistémologique et le pôle méthodologique, chacun abordant la nature des réalités, la relation entre le chercheur et l’objet d’étude, et les interactions entre le chercheur et les répondants.