Les implications politiques de l’intégration révèlent des contrastes saisissants entre l’Union africaine et l’Union européenne. Alors que l’UA prône une adhésion universelle, l’UE impose des critères stricts, soulevant des questions cruciales sur l’avenir de l’intégration régionale en Afrique.
Paragraphe 2 : Nature juridique des deux organisations régionales
La détermination de la personnalité juridique consiste à examiner la nature
juridique générale d’une organisation à la lumière de ses caractéristiques. C’est
précisément le caractère faible (Union africaine) ou très poussé (Union européenne)
intégrateur » des États, leur éclosion et leur expansion ne sont en réalité que la réactivation dévoyée d’une « stratégie d’intégration économique par étapes » consacrée en 1991 à Abuja »
qui définit la forme de l’organisation, de coopération dans le cas africain ou
d’intégration s’agissant de l’Europe.
A- UA, organisation de coopération issue de compromis politique
L’UA se veut une entité à part entière dotée d’une personnalité juridique
internationale affirmée.
Comme toutes les organisations internationales, l’Union africaine est un
regroupement d’États africains dont la création repose sur un Acte constitutif, qui la
dote d’organes divers pour son fonctionnement. Les actes de ces organes peuvent
entraîner la responsabilité de l’UA, ainsi qu’il ressort des dispositions l’article 6 de la
Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre Etats et organisations
internationales et entre organisations internationales. Le professeur Dandi GNAMOU
reconnaît que l’UA a « une personnalité juridique propre qui lui permet d’ester et
d’être attrait en justice dès lors qu’elle agit pour la réalisation des objectifs qui lui ont
été confiés par les États membres. L’Union africaine est donc une organisation
internationale régionale, un sujet de droit international secondaire mais néanmoins doté de la personnalité juridique ». 22
Cependant, jusqu’à l’heure actuelle, l’UA présente encore toutes les
caractéristiques d’une organisation de coopération :
- des organes de type intergouvernemental, composés des représentants des Etats membres ;
- des modalités de prise de décision qui fonctionnent sur le schéma un Etat, une voix (à la majorité, à l’unanimité ou par consensus23);
- un pouvoir de décision très faible (pas de valeur décisoire sur les Etats
membres). Les décisions prises à l’UA ont rarement autorité d’exécution dans les Etats africains, excepté pour les questions budgétaires (quotepart), chaque Etat membre conservant une compétence discrétionnaire d’appréciation.
22 Dandi GNAMOU-PETAUTON, « Le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique dans
l’architecture institutionnelle de l’Union africaine », Revue québécoise de droit international, n°23.1 (2010), p. 3-4.
23 Le consensus se définit comme un système de décision sans vote où le silence général témoigne de l’absence d’objection de la part des États.
Au vu de ces éléments, on ne saurait parler de l’UA en tant qu’organisation
d’intégration même si c’est le but ultime visé.
Cependant, en parcourant l’ensemble de l’Acte constitutif, on se rend compte,
très vite que les objectifs de l’Organisation soulèvent une contradiction insoluble :
comment assurer la souveraineté des États, l’intangibilité des frontières et la non-
ingérence dans les affaires intérieures des États, tout en promouvant l’intégration qui suppose précisément le contraire ?
L’UA demeure encore une organisation de coopération en dépit des stipulations dans l’Acte Constitutif qui contient des propositions telles que la création des États-
Unis d’Afrique, la mise en place d’une armée unique, une monnaie unique et des
leaders puissants ; en somme une « organisation-Janus », à double face où « la
volonté d’intégration […] et celle de coopération s’entrechoquent ».24
Enfin, l’intégration semble irréalisable en raison de ce que l’UA est composée
d’Etats à niveau de développement très hétéroclite, jaloux de leur pouvoir et peu
disposés à concéder une part de leur souveraineté. Elle reste une organisation de
coopération, résultat d’un compromis politique loin de la vision fédéraliste des
fondateurs, même si sa personnalité juridique internationale est de plus en plus affirmée.
Il faut se rappeler qu’au début des années 1960, le débat sur l’intégration en
Africavait opposé deux visions, l’une maximaliste et l’autre minimaliste. Les
partisans de l’intégration maximaliste, réunis au sein du « groupe de Casablanca », se recrutaient au sein des chefs d’État dits « progressistes » de l’époque, tels que Kwame Nkrumah du Ghana25, Sékou Touré de Guinée et le roi Hassan II du Maroc. On les
24 Frédéric Joël AÏVO, « La Communauté des Etats Sahelo-Sahariens (CEN-SAD) : Acteur complémentaire ou concurrentiel de l’Union Africaine ? », Annuaire français de Droit international, 2009, n°55, page 470, note 10
25 Kwame Nkrumah, fait à travers son œuvre, de la libération totale de l’Afrique sa priorité. Pour lui il fallait pour les Etats africains obtenir à n’importe quel prix l’indépendance en vue de passer à une autre étape de leur histoire, c’est-à-dire la création d’un Etat continental.
Il développe aussi d’autres thèmes tels que la création d’un marché commun africain, l’établissement d’une stratégie commune de défense militaire et d’une politique monétaire commune. En plus, il demande que soit élaborée une politique étrangère commune devant aider à une prise en compte du point de vue de l’Afrique sur le plan international. Et enfin, il préconise qu’il faudrait que les Etats fassent un énorme sacrifice qui est celui de l’abandon de la souveraineté dans l’intérêt supérieur de l’unité africaine. Enfin, il suggère qu’il faudrait aller maintenant et tout de suite vers les Etats-Unis d’Afrique.
La conception panafricaniste de Nkrumah paraît idéaliste. Nous estimons que pour construire une union continentale, il faudrait prendre en compte certains paramètres. Notamment le paramètre économique,
considéré comme maximalistes en ce sens que leur projet prévoyait la constitution d’une sorte d’ « États-Unis d’Afrique », sur le modèle des États-Unis d’Amérique. K. Nkrumah, un des plus militants de ces chefs d’État publiait ainsi l’année de la création
de l’OUA un ouvrage dans lequel il écrivait que « pour réparer efficacement et
rapidement les grands torts causés à l’Afrique par l’impérialisme et le colonialisme, les jeunes États africains ont besoin d’une nation forte et unie, capable d’exercer une autorité centrale pour mobiliser l’effort national et coordonner la reconstruction et le progrès. […] Nous devons tenter d’extirper rapidement les forces qui nous ont tenus
séparés. Le meilleur moyen est de commencer à créer une patrie générale qui
maintiendra l’Afrique ensemble, comme un peuple unifié, ayant un gouvernement et une armée »26.
À l’opposé de cette vision de gouvernement commun africain, les partisans de l’intégration minimaliste, réunis au sein du « groupe de Monrovia », se recrutaient au sein des chefs d’État dits « modérés », tels que Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Hamani Diori du Niger et Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, qui prônaient la
coopération économique et technique entre les Etats souverains préférant une
intégration graduelle et ne voulaient pas d’une perte de souveraineté de leurs États
respectifs. 27
Après d’intenses négociations, l’OUA, fut créée en 1963 à Addis-Abeba, en
guise de compromis entre les deux groupes, mais reflétait nettement la position
minimaliste même si le besoin d’intégration poussée, au travers du panafricanisme28,
politique, juridique, constitutionnelle et linguistique de nos Etats africains. C’est dans cette optique que nous adhérons à la pensée du président Thabo Mbéki, qui est d’aller de façon progressive vers les Etats-Unis d’Afrique. D’autres leaders africains tels que Julius Nyerere ont adopté une approche plus pragmatique et gradualiste. Ils ont encouragé des projets d’intégration fonctionnelle basés sur des entités de taille plus modeste (par exemple la Communauté d’Afrique de l’Est), et sur une coopération surtout économique.
26 Kwame Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, Paris, Présence africaine, 1994, p. 246-247.
27 note le professeur Maurice GLELE-AHANHANZO, dans son Introduction à l’Organisation de l’Unité Africaine et aux organisations régionales africaines. Paris, LGDJ, 1986.
28 Le panafricanisme est l’expression des aspirations des descendants des peuples africains (Nkrumah, 1973). Esedebe (1980,p. 14) le défini comme un « mouvement politique et culturel qui considère l’Afrique, les Africains et les descendants d’Africains à l’étranger comme un seul ensemble et qui vise à régénérer et unifier l’Afrique ainsi qu’à encourager un sentiment de solidarité entre les populations du monde africain». Quant à Wade (2005), il le définit comme une aspiration des Noirs d’Afrique et de la diaspora qui s’identifient culturellement par leur appartenance à la civilisation négro-africaine; puisant sa force dans la résistance pluriséculaire des Nègres à l’esclavage et à la colonisation, cette aspiration se projette dans une unité politique du continent sous la forme des Etats-Unis d’Afrique.
était réitéré. On pouvait lire dans le préambule de la Charte du 25 mai 1963 que les
États initiateurs étaient « guidés par une commune volonté de renforcer la
compréhension entre nos peuples et la coopération entre nos États, afin de répondre
aux aspirations de nos populations vers la consolidation d’une fraternité et d’une
solidarité intégrées au sein d’une unité plus vaste qui transcende les divergences
ethniques et nationales ».
Le géographe Roland Pourtier conclut : « L’ambition panafricaine, qui avait du
sens dans un combat partagé pour l’indépendance de l’Afrique, s’effondra lorsque
celle-ci fut acquise, laissant le champ libre aux divergences géostratégiques des États »29
________________________
22 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
23 Le consensus se définit comme un système de décision sans vote où le silence général témoigne de l’absence d’objection de la part des États. ↑
24 Frédéric Joël AÏVO, « La Communauté des Etats Sahelo-Sahariens (CEN-SAD) : Acteur complémentaire ou concurrentiel de l’Union Africaine ? », Annuaire français de Droit international, 2009, n°55, page 470, note 10 ↑
25 Kwame Nkrumah, fait à travers son œuvre, de la libération totale de l’Afrique sa priorité. Pour lui il fallait pour les Etats africains obtenir à n’importe quel prix l’indépendance en vue de passer à une autre étape de leur histoire, c’est-à-dire la création d’un Etat continental. ↑
26 Kwame Nkrumah, L’Afrique doit s’unir, Paris, Présence africaine, 1994, p. 246-247. ↑
27 note le professeur Maurice GLELE-AHANHANZO, dans son Introduction à l’Organisation de l’Unité Africaine et aux organisations régionales africaines. Paris, LGDJ, 1986. ↑
28 Le panafricanisme est l’expression des aspirations des descendants des peuples africains (Nkrumah, 1973). Esedebe (1980,p. 14) le défini comme un « mouvement politique et culturel qui considère l’Afrique, les Africains et les descendants d’Africains à l’étranger comme un seul ensemble et qui vise à régénérer et unifier l’Afrique ainsi qu’à encourager un sentiment de solidarité entre les populations du monde africain». Quant à Wade (2005), il le définit comme une aspiration des Noirs d’Afrique et de la diaspora qui s’identifient culturellement par leur appartenance à la civilisation négro-africaine; puisant sa force dans la résistance pluriséculaire des Nègres à l’esclavage et à la colonisation, cette aspiration se projette dans une unité politique du continent sous la forme des Etats-Unis d’Afrique. ↑
29 Le géographe Roland Pourtier conclut : « L’ambition panafricaine, qui avait du
sens dans un combat partagé pour l’indépendance de l’Afrique, s’effondra lorsque
celle-ci fut acquise, laissant le champ libre aux divergences géostratégiques des États ». ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les différences entre l’Union africaine et l’Union européenne en matière d’intégration régionale?
L’UA a adopté une adhésion universelle sans conditions tandis que l’UE a procédé par élargissement progressif avec critères stricts.
Pourquoi l’Union africaine est-elle considérée comme une organisation de coopération plutôt que d’intégration?
L’UA présente encore toutes les caractéristiques d’une organisation de coopération, avec des organes intergouvernementaux et un pouvoir de décision très faible.
Quels sont les objectifs contradictoires de l’Union africaine selon son Acte constitutif?
L’UA cherche à assurer la souveraineté des États tout en promouvant l’intégration, ce qui soulève une contradiction insoluble.