Les résultats de l’intégration régionale révèlent des divergences surprenantes entre l’Union africaine et l’Union européenne. Alors que l’UA prône une adhésion universelle, l’UE impose des critères stricts, soulevant des questions cruciales sur l’efficacité et l’avenir de l’intégration régionale en Afrique.
PREMIERE PARTIE
MOTIVATIONS SIMILAIRES MAIS PARCOURS INSTITUTIONNEL DIFFERENCIÉ
La nature conventionnelle qui caractérise la naissance de toute organisation internationale suppose l’adhésion volontaire des Etats membres. Aussi bien l’Union européenne que l’Union africaine n’échappent pas à ce principe du droit international.
Au demeurant, libre choix organique et de la démarche structurelle est accordé à chaque projet.
CHAPITRE PREMIER : MOTIVATIONS SIMILAIRES A LEUR CREATION
La gestation sur la base de traité entre les Etats intéressés manifeste le caractère absolument conventionnel et essentiellement volontariste
(section première) de chacun des deux projets d’intégration dont les objectifs et domaines de compétence sont clairement définis (section 2).
Section première :
L’émergence volontariste de l’UE et de l’UA
La recherche de solutions aux problèmes dont la résolution dépasse leur espace national pris isolément explique la nécessité pour des Etats souverains de se résigner à l’érosion de leur souveraineté au profit d’une entité régionale. D’une manière spécifique, certains événements ou vécus ont poussé respectivement les Etats européens et les Etats africains sur l’autoroute de l’intégration régionale.
Paragraphe 1 : Approche du concept d’intégration régionale
Une appréhension claire de la notion d’intégration régionale permet de cerner les mobiles sous-jacents qui incitent des Etats à s’engager sur la voie de cession partielle et progressive de leurs attributs souverains.
A- Fondement théorique du régionalisme
Dans la langue française, le terme « intégration » désigne le fait de rassembler plusieurs parties distinctes en un seul et même ensemble.
L’intégration régionale est selon Fernand Braudel5, « un mouvement de rapprochement qui mobilise avec une plus ou moins grande intensité les « copartageants » de l’espace et du temps que sont l’économie, la politique, la culture et la société ».
Le phénomène de l’intégration communautaire a été essentiellement pris en compte par la théorie fonctionnaliste. Selon la conception de David Mitrany, il existe des valeurs universelles à sauvegarder comme la paix, la prospérité, la justice. Or l’Etat-nation serait incapable de faire seul face à cette mission parce qu’il s’agit de problèmes dont la solution dépasse le cadre national.
Seuls les regroupements d’Etats constitués sur une base fonctionnelle et technocratique pourraient apporter des réponses dans le cadre d’institutions spécialisées. L’existence d’un grand nombre d’institutions spécialisées entraînerait un besoin de coordination globale et, ainsi par voie de « ruissellement » la création d’une institution mondiale.
Mais, il a été impossible pendant longtemps de trouver un accord sur le contenu à donner aux valeurs universelles communes à toute la planète et les désaccords subsistent encore sur leur interprétation.
C’est pourquoi l’école néo-fonctionnaliste corrige la vision de Mitrany en y appliquant son analyse dans le cadre régional puisque, à ce niveau, les solidarités géographiques, économiques, culturelles sont plus étroites et devraient favoriser l’intégration.
Fidèles à la théorie du ruissellement, les néo-fonctionnalistes mettent l’accent sur la réalisation de l’intégration par étapes successives, le passage d’une étape à l’autre s’appuyant sur le phénomène de spill over (débordement), tout progrès dans l’intégration appelant nécessairement d’autres progrès.
Dans la littérature économique, le terme « intégration économique » désigne le processus par lequel plusieurs nations s’accordent pour faciliter les échanges entre elles, afin d’unifier progressivement leurs marchés, et d’en tirer des avantages mutuels.
Le célèbre économiste hongrois Bela Balassa, dans sa « théorie de l’intégration économique » définit l’intégration économique comme un processus qui englobe des mesures mises en place pour abolir les discriminations entre plusieurs économies nationales. Elle peut également être vue comme un état des choses, à savoir, l’absence de toute forme de discrimination entre des économies nationales.
Autrement dit, l’intégration économique régionale est un processus par lequel plusieurs territoires reliés, ou non, décident d’unifier leurs politiques économiques en vue de former un ensemble régional distinct du reste du monde et d’abolir partiellement ou totalement des restrictions sur le commerce.
En principe, les Etats qui participent à ce processus espèrent « une intensification des échanges des biens et services, voire d’hommes et de capitaux, à l’intérieur d’une zone géographique composée de plusieurs Etats indépendants ».
Balassa distingue cinq différents degrés dans le processus d’intégration économique, en fonction de l’importance de l’unification des marchés et selon la nature des accords entre les pays de la région.
Selon sa théorie, il existe cinq degrés d’intégration, à savoir :
- La
zone de
libre-échange :
elle se caractérise par une diminution ou une suppression des barrières douanières à l’intérieur de la région. Ce type d’accord laisse chaque membre libre de sa politique commerciale envers les pays non membres de la zone. C’est le cas de l’ALENA (USA, Mexique, Canada), du COMESA, de la SADC et de la CEAE (trois Communautés économiques régionales africaines appelées à s’intégrer pour former une zone unique de libre échange).
Dans la pratique et par nature, la création d’une zone de libre-échange comporte le risque de contournement des tarifs douaniers par les importateurs (pour importer dans le pays A où le tarif douanier extérieur à la zone est plus élevé, il suffit de faire transiter les marchandises par le pays B membre de la zone qui applique un tarif douanier plus faible.) Afin d’éviter ce contournement de la politique commerciale et les déséquilibres qu’il pourrait engendrer dans la balance commerciale, les pays membres d’une zone de libre-échange instaurent généralement des règles d’origine.
La création de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) avait été prévue pour 2017 au plus tard (adoptée en 2012).
Le traité instituant la ZLECAf a été adopté à Kigali le 12 mars 2018 et est entré en vigueur le 30 mai 2019.
L’union
douanière :
C’est une zone de libre-échange dont les membres décident d’adopter une politique commerciale unique vis-à-vis du reste du monde, en fixant un tarif extérieur commun.
Généralement le passage à une union douanière nécessite de fixer des règles de partage des recettes douanières.
Le MERCOSUR est organisé sur ce mode depuis sa création en 1991. En Afrique, la CEDEAO et le COMESA disposent d’un TEC.
Le
marché
commun :
C’est la troisième étape de l’intégration où les pays membres ajoutent à l’union douanière la libre circulation des facteurs de production (capital, travail, brevets, etc).
Cela suppose une harmonisation poussée des règlementations nationales, par exemple la fixation des règles communes concernant les diplômes et l’accès à des professions protégées par leur statut.
Dans un marché commun, l’union douanière s’accompagne souvent de politiques communes visant à assurer le libre jeu de la concurrence et à orienter et organiser le marché. L’intensité de l’intégration est mesurée dans chacun des domaines par la plus ou moins grande capacité d’action au niveau communautaire concernant, entre autres, le règlement des différends commerciaux, mécanisme arbitral (ALENA, OHADA) ou juridictionnel (CJUE ou CJUEMOA ou CJCEDEAO).
La formation et le fonctionnement du marché commun supposent surtout des institutions capables de prendre des initiatives, de leur donner corps et d’en assurer l’application ainsi qu’un droit propre à l’intégration.
- L’union
économique et
monétaire :
Aboutissement du processus de rapprochement des économies nationales des Etats membres, l’union économique peut se définir par l’adoption d’objectifs de politique économique communs, ce qui conduit à une harmonisation progressive des politiques économiques dans la zone.
Pour B. BALASSA, cela inclut une politique monétaire commune (adoption et respect des principes de convergence à savoir : inflation, taux d’intérêt, déficit budgétaire, dette publique). Ce qui est censé manifester la capacité de chaque économie à une discipline commune. A titre d’exemple, l’UE s’est engagée sur la voie de l’union économique et monétaire, définie en 1992 par le traité de Maastricht.
- La construction fédérale : La construction d’une véritable fédération d’Etats
constitue le degré ultime d’intégration économique, ce que B. BALASSA appelle « l’intégration
totale », étape où à l’union économique et monétaire s’ajoute la constitution d’un pouvoir politique fédéral, avec harmonisation des politiques fiscales et sociales. L’UE se trouve actuellement à cette étape.
La nécessité de regroupement régional s’apparente pour les Etats comme la meilleure stratégie pour gérer les biens publics régionaux que sont notamment le commerce international, la paix et la sécurité, etc.
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5 Cité par le Professeur Dandi GNAMOU dans son cours de Dynamique de l’intégration régionale, ENAM, Cycle2, filière DRI, 2018-2019. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les principaux objectifs de l’intégration régionale de l’UA et de l’UE ?
Les objectifs et domaines de compétence de l’UA et de l’UE sont clairement définis, visant à résoudre des problèmes qui dépassent l’espace national des États membres.
Comment l’UA et l’UE diffèrent-elles dans leur approche de l’intégration régionale ?
L’UA a adopté une adhésion universelle sans conditions, tandis que l’UE a procédé par élargissement progressif avec des critères stricts.
Pourquoi est-il nécessaire de réformer les institutions de l’UA ?
Il est nécessaire de réformer les institutions techniques et exécutives de l’UA pour renforcer l’intégration régionale africaine.