Comment la compensation industrielle révolutionne l’aéronautique en 2024 ?

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🏫 Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Mémoire de fin d’études - 2010
🎓 Auteur·trice·s
Cécile Izumi ASAMA
Cécile Izumi ASAMA

La compensation industrielle aéronautique révèle des enjeux politiques inattendus qui redéfinissent les stratégies de sourcing dans l’industrie. Cette recherche met en lumière si ces choix sont réellement délibérés ou dictés par des contraintes géopolitiques, soulevant des questions cruciales pour l’avenir du secteur.


b. Enjeux politiques.

Si intuitivement, l’objectif de la centralisation des achats et d’une stratégie de sourcing/outsourcing/offshoring est de rogner sur les dépenses, il s’avère que dans l’industrie, et particulièrement dans celle de l’aéronautique, des enjeux politiques entrent en compte, et il se pourrait qu’ils soient à l’origine de la mise en place de telles stratégies.

En effet, il s’agit ici principalement des marchés de compensation industrielle, ou accords d’« offset » : « L’offset est une forme de compensation dans laquelle le pays importateur participe lui-même à la production du bien qu’il achètera. Elle se traduit par des opérations de coproduction, de sous-traitance et de transferts de technologie. Le pays importateur peut ainsi améliorer ses capacités technologiques. Les offsets concernent généralement de grands groupes industriels issus de secteurs à haute valeur ajoutée technologique (aéronautique, armement, …) et s’appliquent à des échanges dont les montants sont élevés.

»41. Cette forme de compensation est aussi appelée « Nouvelle Forme de Compensation : NFC », « impliquent une action et une responsabilité conjointes des deux partenaires dans la fabrication de certains biens exportés par l’entreprise exportatrice. »42. Par exemple, lorsque Airbus vend une certaine quantité d’avions pour un certain montant à un pays étranger, le plus souvent en voie de développement, il y a souvent dans le contrat des accords de compensation industrielle, qui obligent Airbus à se sourcer, ou à sous-traiter pour un certain pourcentage du montant total du contrat, dans le pays acheteur.

Cette pratique, assez courante dans le milieu de l’aéronautique et de la défense, vise à aider le pays acheteur, souvent à réserve de devises faible, à pouvoir financer une partie de son achat, tout en bénéficiant d’un transfert de technologies ou de progrès technique.

Ces accords font partie du contrat commercial, et le pourcentage est aussi sujet à de nombreuses négociations.

Les NFC peuvent revêtir divers aspects, et ces solutions peuvent même être cumulées :

– Des accords de contre-achats, ou buy-back, l’entreprise exportatrice est obligée d’acheter des produits du pays, mais ici, il s’agit de pièces à valeur ajoutée, pour lesquelles l’entreprise exportatrice se sera chargée du transfert de technologie.

– Des accords de sous-traitance

– Par une coopération future : l’exportateur autorise le client à entrer dans la production du produit acheté, mais aussi offre la possibilité d’entrer pour part dans la construction des produits vendus à d’autres clients.

– Les transferts de connaissances, qui relèvent de la propriété intellectuelle. Même si difficile à évaluer, ils rentrent pour part dans la satisfaction des obligations de compensation.

– Par des joint-venture, ou investissements, généralement moins bien valorisés dans le calcul du règlement des obligations à compensation.

Si cela ne paraît pas avantageux à prime abord pour l’exportateur, car il se retrouve dans une situation où il a moins de libertés, il tire pourtant des avantages importants :

– Gagner le marché face à la concurrence. Celui qui sera prêt à faire le plus de concessions sur le pourcentage de compensation, possède un avantage concurrentiel.

– Accès au marché : notamment pour les pays peu développés, où l’économie est difficile d’accès, et les politiques très impliqués, les offsets permettent d’obtenir des contrats : de vente, mais aussi d’achats de matières premières, … avec un avantage sur la concurrence. C’est aussi une première implantation, sorte de pilote test, pour l’avenir.

Le pourcentage est toutefois assez rapidement élevé, notamment pour des pays qui ont déjà un tissu industriel posé. Par exemple, pour la Corée du Sud, les obligations de compensation sont pour l’armement, de 30% du contrat, mais peut aussi passer à 50% si cette obligation est satisfaite via des investissements dans les capitaux d’une société sud-coréenne de défense 43. L’Indonésie pour sa part demande 100% de compensation, ce qui s’avère très lourd à supporter pour l’exportateur.

Ici, il convient de s’interroger sur la faisabilité, et sur le fait que les NFC ne sont pas des stratégies, mais bel et bien des obligations. Il y a pourtant des inconvénients aux NFC :

– Un risque de qualité : les pays visés sont pour la plupart des PED (Pays en Voie de Développement), pour lesquels la main-d’œuvre est pas ou peu qualifiée. Or, dans l’industrie aéronautique, la production touche des produits à forte valeur ajoutée, et haute technicité. Il n’est donc pas aisé de trouver quelle partie du produit va être externalisée dans le pays client. Il faut trouver une pièce peu sensible, mais qui du coup ne pèsera pas lourd dans le calcul de la satisfaction des obligations de compensation. Aussi, des dépenses supplémentaires sont à prévoir, pour la mise en place d’un service contrôle qualité, et pour un service de maintenance.

– Un risque de propriété intellectuelle : le transfert de technologies implique que la société exportatrice révèle certains de ses procédés de fabrication. Par conséquent, elle peut très bien en fait de se créer un partenaire commercial, un futur concurrent.

– Un risque financier : Dans certains pays, une garantie officielle d’obligation à livraison des contreparties de l’importateur ne peut être obtenue. Par conséquent, l’entreprise exportatrice n’est pas sûre d’obtenir sa part du contrat.

– Un risque de valeur dans la transaction : notamment pour le transfert de technologies, de procédés, … Ce sont des objets du contrat particulièrement pénibles à évaluer, et par conséquent, l’entreprise exportatrice peut perdre au change avec une sous évaluation dans sa participation à l’offset, alors que les risques liés aux transferts de technologie peuvent être très importants.

– Perte de liberté : ici il s’agit d’un frein au libre échange. En effet, les modalités d’offset sont parfois si contraignantes, que l’on peut mettre en cause leur légalité dans le monde du commerce international, en termes de libre-concurrence, de monopole, et d’ententes commerciales.

Ces inconvénients découlent souvent du fait d’une pression politique sur l’entreprise exportatrice. En fait, ici, il s’agit de contrats passés avec un marché public et donc les rapports d’égalité des parties sont fortement discutables. La criticité de l’activité aéronautique engage le fait de l’implication politique, mais cette dernière pèse énormément sur l’exécution du contrat, quitte à parfois interférer dans le libre-échange.

Il est pertinent de noter ici, que l’on par bien « d’obligation » de compensation. Par conséquent, une entreprise qui veut vendre ses produits aéronautique, est finalement vouée au sourcing, et à l’offshoring, plus par obligation, que par choix stratégique.

Ainsi, il est intéressant de noter que le sourcing n’est pas une option de développement utilisée par décision stratégique d’une entreprise qui veut vendre ses produits, mais que c’est une obligation, et donc un projet de déploiement auquel toute entreprise aéronautique ou de défense est vouée. Par conséquent, les entreprises doivent y faire face, et donc s’organiser, d’autant plus que la part des obligations augmente exponentiellement d’année en année.

CONFIDENTIEL

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Figure 18 Montant des obligations de compensation à satisfaire. 44

Le réel défi ici, puisqu’il n’est pas de choisir de faire ou non du sourcing/offshoring, est en fait de savoir ce que l’on va sourcer/outsourcer, et en quelles quantités. Les pourcentages étant fixes, et imposés par l’Etat, l’entreprise va donc être menée à procéder à un arbitrage sur le type de produit qu’elle va décider de sourcer/outsourcer, sachant que plus le produit est complexe, plus il va représenter un montant conséquent, et donc, plus il sera participatif à la réponse aux obligations de compensation.

Toutefois, plus la technicité est haute, plus les risques sont forts, en termes financiers, mais aussi au niveau de la qualité, et surtout de la propriété intellectuelle. Ces

44 Graphique issu d’une présentation d’entreprise : Selling to EADS, May 2007, P. Advani.

risques sont tels, que les entreprises préfèrent allouer à l’offshoring des produits à faible valeur ajoutée. Or, pour répondre aux offsets, il faut donc, beaucoup de volume. Pour faire du volume, il est alors intéressant de mettre en place une centralisation des achats de ces produits « basiques », pour espérer remplir les quotas de volume, tout comme il est aussi imposé dans les contrats cadres avec des fournisseurs/sous-traitants de rang 1 européens et américains de s’approvisionner auprès de ces pays 45.

Ceci devient particulièrement intéressant, lorsque les produits d’une famille sont suffisamment standardisés pour partager des pièces communes. Néanmoins, les produits véritablement basiques sont ce qui est le plus majoritairement choisi.

Cependant, dans l’industrie aéronautique, il est difficile de trouver des produits à faible technicité. En effet, si une vis peut être commune à différents appareils en termes de mesures, c’est parfois d’autres propriétés intrinsèques qui diffèrent, telles que : le revêtement, le métal utilisé, … Par conséquent, une concertation des bureaux d’étude chargés des cahiers des charges de chaque produit est à envisager pour pouvoir mettre en place une centralisation des achats.

Les conséquences d’enjeux politiques ont même des répercussions organisationnelles sur l’entreprise cocontractante.

Même si le sourcing/outsourcing/offshoring revêt intuitivement un intérêt économique en tant que levier de dépenses, dans sa mise en place, l’argument déterminant à sa mise en place, couplée à une centralisation des achats, est en fait, véritablement politique.

Puisque lorsque l’on cherche de nouveaux marchés sur lesquels vendre les produits, découle alors une obligation d’acheter ou de faire produire dans le pays concerné, le sourcing/offshoring n’est alors plus un choix motivé par des soucis d’économies, mais une fatalité.

On peut ajouter cela un politique économique d’alimentation de la croissance. En effet, en industrialisant le pays, on nourrit son activité économique, et plus il croît économiquement, plus il est apte à acheter des biens industriels à forte valeur ajoutée. Par un effet de relance de la consommation et des dépenses gouvernementales, l’industrie aéronautique prépare ainsi ses conquêtes de demain, même si cela lui est quelque part imposé.


Questions Fréquemment Posées

Qu’est-ce que la compensation industrielle dans l’aéronautique?

La compensation industrielle, ou accords d’offset, est une forme de compensation où le pays importateur participe à la production du bien qu’il achète, impliquant des opérations de coproduction, de sous-traitance et de transferts de technologie.

Pourquoi les entreprises aéronautiques utilisent-elles des accords de compensation?

Les entreprises aéronautiques utilisent des accords de compensation pour gagner des marchés face à la concurrence, accéder à des marchés difficiles et permettre aux pays acheteurs de financer une partie de leur achat tout en bénéficiant d’un transfert de technologies.

Quels sont les types d’accords de compensation industrielle?

Les types d’accords de compensation industrielle incluent des accords de contre-achats, de sous-traitance, de coopération future, des transferts de connaissances et des joint-ventures.

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