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Analyse de la communication paraverbale dans Ravisseur

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🏫 Université d’Oran - Faculté des Langues, des Lettres et des Arts - Département des Langues Latines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de magister - 2009-2010
🎓 Auteur·trice·s
Mlle Dris Ghezala
Mlle Dris Ghezala

La communication paraverbale dans Ravisseur joue un rôle crucial en enrichissant le dialogue et en renforçant l’effet de réel. Cette analyse discursive met en lumière comment les éléments paraverbaux contribuent à la progression de l’intrigue et à la représentation des idéologies dans le récit.


2. Les actes de communication

Dans les conversations fictives, l’exclusivité est donnée au code verbal. Mais le non verbal et le paraverbal apparaissent dans le texte littéraire pour donner des informations supplémentaires et créer l’effet du réel.

Une multitude d’information, qu’elles soient non verbales ou paraverbales sont transcrites minutieusement dans le discours attributif.

Lorsque l’auteur introduit les paroles des personnages au discours direct, elle adopte deux attitudes : analyser et commenter certaines répliques, et pour d’autres laisser le dialogue se dérouler sans accompagnement narratif. Ce «commentaire est la marque de l’auteur qui règle dans son roman paroles et mouvements, précise qui parle, nomme les personnages et explicite les conditions d’énonciation (gestes, déplacements, tons, décor…) »1

Il permet aussi de rendre compte de l’aspect non linguistique de l’échange verbal : ton de la voix, expression du visage, mouvements des yeux, des gestes…. Cet entourage de la parole que les linguistes appellent les « trait supra-segmentaux », participe au sens. L’auteur utilise le récit pour décrire ce qu’elle ne peut pas transcrire et rapporte les paroles de sorte que le ton et l’accent y apparaissent.

2. 1. La communication paraverbale

Prince signale que « les formules qui présentent le discours direct peuvent désigner, outre celui qui parle et son acte de parole, celui à qui il parle, le ton employé, la mimique des interlocuteurs et leurs gestes, le contexte des paroles exprimés, leur signification2 ».La communication paraverbale englobe toutes les unités qui accompagnent la parole. Ces unités sont les intonations, les pauses, l’intensité articulatoire, le débit et les caractéristiques de la voix.

Pour rendre compte de ces phénomènes, Leila Marouane recourt à deux moyens cités par Bessonnat3 : « le commentaire apposé » et « la ponctuation »

La ponctuation

Le romancier rencontre deux problèmes pour insérer les notations paraverbales dans son récit. Le premier comme le signalent Pinchon et Morel4, est le nombre réduit de signes de ponctuation. Le second est qu’un même signe peut avoir plusieurs significations.

Dans Ravisseur, l’auteur utilise abondamment les points de suspension qui servent à traduire des phénomènes très différents. Outre leur valeur de noter un arrêt dans l’émission vocale du locuteur, les points de suspension peuvent manifester une irruption de l’émission de la parole et « traduisent une émotion, une hésitation, une menace »5

Nous retiendrons ici quelques exemples où le locuteur s’interrompt de lui-même ou est interrompu par son interlocuteur.

Exemple 1

  • Ce n’est pas donc lui qui t’a déposée…
  • Ça ne pouvait pas attendre…Tu sais, le sel… D’ailleurs, que veux-tu qu’il me reproche ? lui-même en aurait fait autant, sinon plus…
  • Mais qui était avec toi dans le taxi ? demanda Omar.
  • Le voisin, tu sais, Youssef Allouchi […]. D’ailleurs il faudra penser à le rembourser, c’est lui qui a payé la course…
  • Mon Dieu, dit mon frère. Elle est sortie seule. Sans sa permission… (p. 50)

Les locuteurs s’interrompent d’eux-mêmes. Dans les répliques d’Omar, les points de suspension traduisent un rythme saccadé, sous le coup de l’émotion. Dans celle de la mère, et en fin d’énoncé, ils marquent l’inachèvement, ce qui amène son interlocuteur à effectuer une relance du dialogue.

Exemple 2

  • Les obligations de travail, vous savez… (p 14)

Dans cet exemple, les points de suspension marquent un silence ou un non-dit, le locuteur s’interrompt de lui-même, et ne veut pas dire plus qu’il en a prononcé laissant son interlocuteur deviner et imaginer les raisons.

Exemple 3

  • Je ne veux pas vous offenser, sidi, mais sincèrement et entre nous, se marier à cet âge, à une époque où les hommes, et mêmes les femmes, vont sur la lune, où Mars est une piscine… Vous voyez ce que je veux dire… Bref, je le destinais à un avenir autre qu’une paternité juvénile…(p. 20)

Les points de suspension indiquent l’émerveillement, puis l’hésitation et enfin marquent le désenchantement du père.

Mais, dans d’autres cas les points de suspension révèlent une interruption imposée par le locuteur. On parle d’interruption lorsqu’un locuteur s’empare de la parole sans que son allocutaire ait terminé son tour.

Exemple 4

  • Ils nous ont logées au Triangle… Mais l’homme (le père) s’énerve. Il la (Samira) coupe :
  • A part ça que vous ont-ils faits ? […] (p. 79)
  • Plus tard, reprit Yasmina, indémontable Zanouba naissait aussi costaud qu’un….
  • Assez, dis-je à mon tour. (p .129)

Nous observons que le père et Samira coupent la parole à leur interlocuteur pour ne pas entendre davantage. Interrompus, ils cessent de parler et cèdent la parole. ces interruptions peuvent être qualifiées de violatrices et menacent la face positive du locuteur.

Exemple 5

  • Allô ! allô ! (elle hurlait comme si mon frère se trouvait à l’autre bout du monde.) oui, mon fils… C’est un garçon ? T’en es bien sûr ? T’as bien regardé ? Mille Mabrouk ! Bravo, prunelle de mes yeux…Quatre kilos, dis-tu ?… Mais que mangeait donc ta femme ?…Non, ce n’est pas ce que je voulais dire… Tu les as laissés peser ton enfant ?…JE N’Y CROIS PAS… C’est rien ?…
  • c’est toi qui dis que c’est rien, moi je dis que ça porte malheur et le mauvais œil au bébé…Bon, je m’en fais pas, mais ne le dis plus à personne combien il pèse ton fils…Tu l’as appelé Mahmoud ?… Oui, je sais que c’était le prénom de ton grand père, mais tout de même, il y a de si jolis prénoms de nos jours…Si tu permets, je l’appellerai Moud…Oui, oui… il est en mer…Bien sûr, dès qu’il sera de retour… Et Khadidja ?…Bon…C’est très bien… J’apporterai une soupe…Qu’elle bande bien son ventre, surtout…Ta belle-mère le lui a déjà dit ? Bon… (p. 27)

En revanche, dans cet exemple, les points de suspension marquent des silences puisqu’il s’agit d’une conversation téléphonique. Seules les paroles de la mère sont transcrites, celles de son interlocuteur ont été effacées et remplacées par des points de suspensions. Ils ont pour rôle d’indiquer que le fils pose des questions ou donne des informations à sa mère. Ces interruptions apportent des compléments et non pas une coupure.

Exemple 6

Les points de suspension correspondent aussi à la tenue d’un son, c’est-à-dire allongement de la dernière syllabe.

  • La fièvre ne la quitte plus…plus…plus…
  • Elle délire…ire…ire…
  • Elle parle seule…eule…eule…
  • Parfois comme si elle s’adressait à quelqu’un…elqu’un…elqu’un… (p. 171)

Nous signalons que les points de suspension ont été utilisés 164 fois dans les dialogues directs.

Outre les points de suspension, nous constatons l’utilisation des deux points à l’intérieur d’une réplique pour apporter des précisions.

  • Je célèbrerai ce mariage à la condition que tout soit fait dans les règles : témoins, tuteur, et cetera. (p. 25)
  • Seule requête : si la pêche était bonne –ce plus pour ajouter à la crédibilité de la donation que par goût, nos préférences allant à la viande rouge, rarissime chez nous-donc, si la pêche était bonne, un cageot de rougets ou de crevettes royales serait apprécié de la famille. (p. 114)

Ils sont aussi employés dans le discours direct intégré

Habillée pour sortir, Noria nettoyait ses chaussures et celles de Fouzia en chantonnant inlassablement un refrain qui clamait ses liens de parenté avec le nouveau-né : « Mon frère est papa et je schuis la tata, je schuis scha tat, ha, ha, ha » (p. 28)

Le point est aussi employé comme marqueur de pause dans le débit, pour exprimer le rythme du discours. « Il dissocie de la phrase qu’il termine un constituant qui y syntaxiquement rattaché (adjectif ou expression adverbiale) et qui reçoit ainsi une intonation distinctive ou un accent d’intensité. »6

  • Vois-tu, ma tante, poursuit-elle. A présent je suis veuf. Veuf et ruiné. Spolié. Trahi… Enfin, tu sais tout ça.
  • (…) J’en fais le serment. Sur ta tombe, ma tante. (p. 173)
  • (…) Alors qu’un sentiment de sécurité me gagnait, la femme commençait à débiter l’Ouverture du Livre. D’un trait et à l’envers. Sa cérémonie achevée, elle se jetait sur moi (…) (p. 134)

L’énoncé que clôt le point est un énoncé achevé. Le constituant qui le suit est lui-même suivi d’un point et ne constitue pas à lui seule une phrase, puisqu’il est un rajout au dernier constituant de la phrase précédente. Il traduit l’émotion du locuteur.

Les italiquessont utilisés lorsque le locuteur insère des mots étrangers. Ils isolent un mot, un syntagme ou une proposition.

  • This is me! Khadidja! Your sister in law! vous ne vous souvenez donc pas de moi, my very dear?
  • Where is my baby ? Where is Moud ? My little baby ? Oh, my love…Mon petit bonhomme…Oh ! you look so moody… Mais je suis là maintenant. (p.157-158)
  • Puis, à mots couverts, et indiquant l’endroit de son sexe, elle parlait de castration. Plus rien, disait-elle. Niet, camarade. Ça lui arrachait des sanglots secs. Niet. Niet. (p. 155)

Les capitales sont employées pour marquer l’intensité de la voix ou le soulignement intensif d’un constituant ou les particularités de la prononciation.

  • Dernier cri ! glapissaient-elles d’une même voix. (p. 131)
  • Puis comme on crie : Surprise, d’une même voix, elles lancent :
  • Crémieux ! (p. 187)
  • CINGLÉE. TU ES CINGLÉE. (p. 82)
  • Parce que les bed and breakfast nous sont gracieusement offerts. C’est aussi une histoire de EEC. (elle prononce [IICI].) Et puis c’est provisoire. (p. 161)
  • Elle appelle notre père Djidji…
  • DJINNIAAA !DJINNIAAA !DJINNIAAA ! (p. 171)

Outre l’usage de l’italique et des majuscules, la répétition témoigne d’une volonté de créer un rythme oral et visuel.

  • Vu ? fit mon père, lâchant un rot chargé d’une forte odeur de vin.
  • Vu !
  • Vu !
  • Vu !
  • Vu !
  • Vu…
  • Bien, bien, dit-il. (p. 70)

La répétition du participe passé, auquel sont ajoutés des signes de ponctuation révèlent l’hésitation du père. D’ailleurs, il met fin à son discours par un adverbe répété deux fois créant un rythme.

Le trait d’union peu utilisé chez Marouane, marque la prononciation accentuée.Le rythme est en relation avec la répétition comme l’indique Meshonnic et Dessons : « On ignore généralement un deuxième facteur rythmique, pourtant capital : l’accentuation prosodique. […]. On distinguera deux phénomènes prosodiques l’accentuation par répétition et l’accentuation d’attaque de groupe. »7.

Leila Marouane joue beaucoup sur la répétition des sons pour créer un effet de rythme pour attirer le lecteur à l’importance du récit.Ainsi la répétition d’un même phonème [K] [s] [t] est accentuante.

  • Allouchi a failli avoir des problèmes à cause d’une pièce de théâtrequ’ilécrivait dans le désert. L’histoiretournaitautour des origines des ismes, des plaquestectoniquesou quelque chose comme ça. Quelqu’un lui avait subtilisé le manuscrit. Il s’en était aperçu la veille du mariage. Ça l’avait tracassé, évidemment. Il en a parlé avecOmar, qui lui a conseillé de fuir. Il n’avait du reste pas le choix. Votre mère l’a suivi de son plein gré. Elle n’aurait jamais supporté de vivre dans le quartier ; cette histoire de remariage lui faisait tellement honte… (p. 160)

Pendant cetemps, de nouveau agrippé à mes cheveux de toutessesforces, mon père jubilait en me baladant à travers sacossue et solide maison. Et tandisque mon corps, ma tète, mute ma carcassecognaient les murs. Tandisque le sang dégoulinait le long de mon visage, souillait le sol. Tandisque mes sœurs hurlaient, comme les louves hurlent à la mort, Tandisque les nourrissonss’évanouissaient de sanglots.

Tandisque mon auteurm’accusaittantôt de mère infanticide, tantôt d’enfant matricide. Tandisque les mots fuyaient de sa bouche, parvenaient à mes neurones dans une course éperdue. Tandisqueces mêmes mots prenaient fouie, bousculaient mes rétines. Tandisque la douleur m’anesthésiait, que mes pieds seglaçaient d’une froideur sibérienne. Tandisquel’agonieme courtisait et me séduisait, les souvenirscelés dans le tréfonds de ma consciencese libérèrent, puis défilèrent à une vitesse vertigineuse, éloignant la folle agonie.

Et, avec la même vitesse, je suspourquoij’étais une fugueuse, une sournoise, une menteuse, une simulatrice. Je suspourquoi ma mère n’avait jamais donné le sein à sapetite dernière, pourquoi elle l’avait oubliée. Je suspourquoi la colère des anges n’avait pas grondé et avait épargné à Zanouba le troud’évacuation de la buanderie, Zanouba ou Manouba née costaudcomme un ours et pourtant bien avant terme (p. 113-114)

Elle a étéscalpée. Au senslittéral du terme… Ah, mon Dieu ! Quelle horreur !… Commentpeut-on dela sorte aller vers les agressions ? les provoquer ? Faut pas sortircommeça, enfin. Une femme n’est jamais à l’abri. Et puis ça n’est pas fait pour traîner dans les rues… Son père ? Pour un gigot ? C’est vrai que la viande est chère mais tout de même, quelsort ! Toiqui vois tout, quientendstout, protège nos enfants ! Pauvre petite. Voilà à peine une année elle était dans ce même service. Cette fois-là, la peau du corps arrachée, l’hymen déchiquetéCommentpeut-on briser la vie d’une enfant?… Faut dire quec’est une miraculée, ou qu’elletient absolument à la vie. Certainesse suicident pour moins queça

Un coma ? Qui peut le savoir ? Un traumatismecrânien ? Cliniquementmorte ? Peut-être seulement, une sorte de syncope. Çapeut être long. Attendre la réparation du scanner et la ramener ici. Enfin, si d’ici là elle est encore de ce monde. Des points de suture et un pansement. Toutcequ’on peut faire. Hélas ! pas de lit disponible. Même pas un oreiller…Beaucoup de patients/, ces temps-ci, membranes déchirées, peaux criblées, cous à recoudre, mains à ressouder…Enfin, on n’a pas vraiment à se plaindre ; ailleurs, ils n’ont plus de répit. Nuit et jour. Eh oui, la magnitude des séismes…Zafiroun Fateh lui –même est dépassé, même qu’il en a trépassé.

Après la couture, la ramener à la maison. Puis attendre. Faire boire de l’eau sucrée. Aussiefficaceque le sérumglucosé. Rincer la bouche avec de l’eau salée ; çacicatrise bien les gencives, mieux que le sidi-saint –fol…Eh oui, mes petites, il faudra s’y faire, au système D. si dans une semaine pas réveillée…l’oublier. D’ailleurs vu sonétat, il vaut mieux pour elle. (p.117-118)

Nous constatons que les trois sons sont juxtaposés dans chaque phrase et généralement interviennent dans des scènes de violence. Lorsque les éléments paraverbaux ont pour fonction de témoigner de l’oralité, ils sont transcrits au moyen des signes de ponctuation.

Le commentaire narratif

Comme il est impossible de transcrire certains phénomènes tels que l’inspiration et le chevauchement de parole, l’auteur dispose de deux moyens pour témoigner d’une certaine oralité : « astuces graphiques et orthographiques ». Les astuces graphiques, nous avons essayé de les relever plus haut, maintenant nous nous intéresserons aux astuces orthographiques.

Leila Marouane tente de transcrire les éléments paraverbaux sans pour autant sombrer dans le mimétisme. Elle recourt aux adverbes, aux indications qui reflètent le ton sur lequel le message est prononcé. Et c’est le discours attributif qui véhiculent les informations contenues dans la voix.

La voix est utilisée pour marquer un état affectif et devient donc indicateur de l’émotion. Fonagy8 souligne que la colère et surtout la haine produit souvent une voix étranglée, par contre la joie est marquée par une voix douce, clair, chuchotée.

Nous rencontrons de nombreux indices vocaux qui indiquent le comportement vocal tel que le débit, la déformation et la gestuelle vocale qui est un changement volontaires de la voix lié aux émotions.

  • Il n’y a pas que les filles, d’ailleurs. Même le garçon, l’aîné, ne vaut pas un clou. Au lieu de s’intéresser aux études, il s’est laissé pousser les favoris et a eu l’ingénieuse idée de se marier. Pourquoi ? j’ai demandé. Pour la sunna d’Allah et de son Prophète, il a répondu. À vingt ans, Omar, mon fils unique; est déjà père de famille… pour la sunna d’Allah et de son Prophète, da dada, da dada, dit mon père, déformant sa voix pour imiter celle de mon frère. (p.19)
  • On ne répudie pas sa femme à la légère et par trois fois, dit l’imam de sa voix au timbre clair. (p. 16)
  • Ma voix vibra d’inquiétude, celle que suscite l’amour sororal. (p. 43) D’une voix faussement sereine, il dit :
  • Où est ta mère ? (p. 47)
  • Enfin cessant de rire et la voix grave :
  • Comme il ne veut jamais qu’elle se rende aux fêtes, il s’est débrouillé pour en organiser une spécialement en son honneur…C’est bien du Aziz Zeitoun… (p. 65)

De ce fait l’émotion est liée à un changement de voix. Chaque personnage a un portrait vocal qui se trouve indiqué dans le discours attributif.

L’auteur donne plus de notations concernant la voix des locuteurs au moyen d’environ 80occurences.

Lorsque les personnages parlent en même temps, les répliques sont accompagnées de discours commentatifs qui soulignent les caractéristiques de l’échange.

  • Dernier cri ! glapissaient-elles d’une même voix. (p. 131)
  • Puis comme on crie : Surprise, d’une même voix, elles lancent :
  • Crémieux ! (p. 187)

Ces discours commentatifs donne aussi forme au silence qui joue un rôle important puisqu’il complète le dialogue. Le silence est un acte pragmatique chargé de sens.

Comme s’il se parlait, il dit :

  • Elle m’a bien épousé contrainte et forcée. Et elle n’avait pas seize ans. Ça ne nous a pas empêchés d’avoir les enfants que vous savez et plus de vingt ans de vie commune.

II se tut subitement, le regard ébaubi, la bouche entrouverte comme s’il avait voulu que cette dernière phrase se dissipât, emportée par les courants d’air. (p. 22-23)

Le silence a ici une valeur significative, il correspond à l’inquiétude du père et à la pensée négative qui vient subitement à l’esprit (et si le voisin ne répudiait pas Nayla)

Van Den Heuvel considère le silence comme un acte de la non-parole qui a la même valeur que la parole :

Vu sous l’angle de l’énonciation et dans sa relation avec l’oral et l’écrit, un tel silence (refus de communiquer) est alors, en quelque sorte, l’acte de la non-parole ou du non-mot qui produit un manque dans l’énoncé. […] un manque qui fait partie intégrante de la composition et qui signifie autant ou plus que la parole actualisée.9

La non-parole correspond à la réticence des personnages au cours de l’échange. Au lieu de répondre, le personnage se tait comme c’est la cas dans cette séquence dialogique :

Au début de ces insomnies forcées, Amina insistait pour me tenir compagnie. Luttant contre l’engourdissement de ses paupières, ma sœur me faisait la lecture, sa préférence allant à un livre épais dont l’histoire, disait-elle, lui procurait un sentiment de déjà vu.

  • Ça ne te dit rien ? me demandait-elle ?

Amina récidivait ; nous étions pourtant convenues d’arrêter les spéculations sur les amours-non confirmées- de notre mère et de son époux. Je levai sur ma sœur un regard lourd de reproches, puis le rabaissai sur mon ouvrage.

  • C’est l’histoire que j’aimerais vivre, reprit-elle en guise de mise au point pas toi ?

Devant mon mutisme, elle haussait les sourcils avec une moue de découragement et reprenait les descriptions des cils recourbés d’Ariane, de ses longues jambes, des folles dépenses pour plaire à son Seigneur… Sur la fuite de l’héroïne, la dépression du mari, ma sœur ne pouvait s’empêcher de marquer une pause chargée de sous-entendus. Voilà qu’elle m’interrogeait de nouveau, me scrutait, m’épiait. Espérant me contaminer par sa langueur, elle guettait mes soupirs d’extase. Mais je restais de pierre. (…)(p. 135-136)

La première pause narrative qui sépare les deux répliques signale un silence, Samira ne répond pas à la question que pose sa sœur. Ce silence est signifié par les actes non verbaux de Samira puis il est signalé dans le discours narrativisé. La pause observée par Amina vise dans une relation métonymique à juxtaposer l’histoire d’Ariane et celle de sa mère.

Et dans le cadre de l’énonciation, le silence correspond à un comportement, à un choix ou attitudes du personnage.

  • Elle est où ?

Ma réponse lui importa peu. D’ailleurs je n’en fis pas. Elle resta bloquée dans ma gorge ou un peu plus bas. (p. 47)

  • Où est-elle ? (…)
  • La femme d’Omar a accouché. C’est un garçon. Omar l’a appelé papy, non, grand-père, je veux dire Mahmoud, dis-je d’une traite. (p .48)

Le fait de silence est décrit par divers verbes qui dénotent le manque de réponse ou répondre autre chose. Souvent, il est signalé par le discours narratif et annonce un évènement (la colère et la violence du père)

________________________

1 Rullier Françoise. Le dialogue dans le roman. Hachette. 2001. p. 51

2 Prince Gerard. « Le discours attributif et le récit », Poétique 35 : 305-313. 1978

3 Bessonnat. « Paroles de personnages : problèmes, activités d’apprentissage », Pratiques 65 : 7-35. 1990

4 Pinchon Jacqueline et Morel Mary. « Rapport de la ponctuation à l’oral dans quelques dialogues de romans contemporains », Langue française 89 : 5-19. 1991

5 Ibid., p. 10-11

6 Pinchon Jacqueline et Morel Mary-Annick. « Rapport de la ponctuation à l’oral dans quelques dialogues de romans contemporains »op. cit

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