Analyse du rythme du dialogue dans Ravisseur

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🏫 Université d’Oran - Faculté des Langues, des Lettres et des Arts - Département des Langues Latines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de magister - 2009-2010
🎓 Auteur·trice·s
Mlle Dris Ghezala
Mlle Dris Ghezala

Le rythme du dialogue dans Ravisseur joue un rôle crucial dans l’organisation narrative, alternant entre pauses descriptives et échanges verbaux. Cette dynamique influence non seulement la progression de l’intrigue, mais aussi la représentation des idéologies au sein du récit.


I. 1.3. Le rythme de la parole

Le rythme du dialogue est donné par le récit. Il peut être lent ou rapide en fonction de la longueur et le nombre des répliques. Le dialogue a pour effet de ralentir le récit lorsqu’il suit un sommaire, et l’accélère lorsqu’il suit une description.

Nous retrouvons dans Ravisseur une alternance de pauses descriptives et de scènes dialoguées. Les pauses correspondentaux descriptions du décor de l’action. Ces descriptions qui précèdent le dialogue, présentent les personnages avant qu’ils ne parlent. « Dans le mode du montrer, les passages textuels se caractérisent par une visualisation forte, accompagnée des paroles des personnages et d’une abondance de détails.»1Les scènes représentent les moments forts de l’histoire. On a l’impression que cela se déroule sous nos yeux en temps réel

Nous choisirons comme exemple deux scènes importantes qui marquent la trajectoire du récit :

  • La découverte de l’absence de Nayla :

Il trébucha sur le tapis à moitié roulé, se ressaisit et poursuivit ses recherches, jurant par tous les saints de réduire la maison en miettes, ma mère et les femmes de la terre entière en poussière. Quand il eut fait le tour des pièces, quand il eut brisé tout ce qui lui tombait sous la main, quand il eut déchiré les robes de ma mère, les nôtres si elles se trouvaient là, il cessa ses gueulantes et sa course. Le pas las, il revint dans la cuisine d’où je n’avais pas bougé, les pieds cloués au sol, le bébé tout contre ma poitrine.

Le visage suintant, le souffle haché, il s’assit. Il se saisit de la bouteille de vin, laissa tomber le bouchon et but au goulot. Il alluma alors une cigarette et tira une grande bouffée, qu’il n’expira pas. D’une voix faussement sereine, il dit :

-Où est-elle ? (p. 47)

  • La répudiation de Nayla :

À ce moment-là, la porte d’entrée battit sur ses gonds, les murs frémirent, puis la maison s’enveloppa d’un silence de cimetière, une nuit sans lune. Mon père parut. La haine, ou quelque chose de plus fort que je ne connaissais pas, ou que je croyais ne pas connaître, dégouttait de son front, de son nez, de son menton, décomposait ses traits. Debout, un bras le long du corps, un index pointé en direction de ma mère, les yeux rivés au sol, il inspira profondément puis, sans monde.

– Il n’est de Dieu que Dieu, murmurait-il sans cesse (p. 52)

Ces descriptions qui précèdent le dialogue ont pour fonction de présenter le personnage avant qu’il ne parle et laisse deviner le contenu et les relations qui vont s’instaurées entre les locuteurs.

Le dialogue dans le roman produit des variations de rythme. Les conversations peuvent avoir un rythme lent ou rapide que l’auteur souligne à travers l’écriture. L’effet de rapidité est créé par la brièveté des répliques et leur multiplication qui accentuent le mouvement de va-et-vient de la parole. L’effet de lenteur est quant à lui produit par l’allongement des répliques.

Dans Ravisseur la parole du personnage est reproduite selon deux modes la réplique oula tirade.

La tirade, terme emprunté au théâtre, signifie que le personnage dans le roman, s’exprime sans qu’il soit interrompu. La tirade crée un rythme lent puisque l’on écoute un personnage discourir sans laisser les autres locuteurs placer mot.

C’est le cas du père qui tente de se défendre lors de son arrestation pour trafic d’armes. Il s’exprime sur deux pages et demi.

Transporter quoi ? Qui ? Mes bateaux sont faits pour la pêche et non pour ce que vous dites. C’est un complot ! C’est une machination ! Allouchi et ses filles veulent avoir raison de moi ! Demandez donc aux voisins de vous raconter les turpitudes dont je suis la proie ! je n’en dors plus ! Je n’en mange plus ! Je suis vidé comme une outre… (p. 120)

[…]

Mais c’est le traître qui habitait en face qu’il faut emmener. C’est lui qui sait lire et écrire, qui rédige des textes, comment dites-vous déjà ? suservifs ? subversifs, bien sûr….. (p.121)

[…]

Pas moi ! Pas moi ! Moi je suis un honnête citoyen ! Ni un délateur, ni un comploteur ! J’aime et j’apprécie le vin rouge, le plus illicite d’entre tous ! Mes barriques me viennent des monastères, c’est vous dire ! je ne vais jamais à la mosquée ! […] je ne sais même pas m’orienter vers la Kaaba, nom de Dieu ! (p. 122)

Une autre tirade ouvre le récit, et dans laquelle le père tente d’expliquer à son interlocuteur les raisons qui imposent le retour de son épouse répudiée par trois fois.

– Ça fait trois mois que nous attendons. Ça fait trois mois, que la mère de mes enfants ne dort pas chez elle…Si cette répudiation n’est pas réparée, que ferai-je des enfants ? J’en ai beaucoup, vous le savez bien, et de très jeunes enfants, le petit dernier, qui d’ailleurs est encore une petite dernière, est au berceau… Six filles… . Il y a six filles sous ce toit qui ont besoin de leur mère… (p 17)

Cette tirade qui se développe sur quatre pagesa pour objectif de convaincre le destinataire.Des commentaires de deux à trois lignes viennent interrompre cette tirade.

Les tirades sont à dominante narrative, elles sont entrecoupées de commentaires qui véhiculent des informations annexes. Pour la réplique, elle constitue l’unité de dialogue (c’est-à-dire un échange) comme ce dialogue de Samira et Khadidja

    • Si vous êtes venue pour l’annonce, elle est caduque, dis-je, je ne brode plus, ajoutai-je.
    • Je suis de la famille, dit-elle. Je suis la femme d’Omar.
    • Where is my baby ? Where is Moud ? My little baby ? Oh, my love….Mon petit bonhomme…Oh! You look so moody…Mais je suis là maintenant
    • This is me! Khadidja ! Your sister in law ! Vous ne vous souvenez donc pas de moi, my very dear? (p. 157)
      • Il faut te soigner, ma pauvre, dit-elle.
      • Ne m’aviez-vous pas intimé le repentir, chère belle—sœur ?
      • Pardonne-moi. Pardonne-moi, je ne savais pas. Ta mère m’a tout raconté.
      • Ah bon ?
      • Je te demande pardon. Vraiment.
      • C’est pardonné, dis-je.
      • Envoie-moi une perruque dis-je.
      • C’est d’accord. Comment la veux-tu ? blonde ? brune ? rousse ? courte ? longue ? frisée ?(p. 158)

Nous pouvons reprendre ce dialogue de la manière suivante2 pour illustrer le nombre de répliques et le nombre de lignes.

  1. Samira : 2 lignes
  2. Khadidja : 8 lignes (2+2+3+1)
  3. Samira : 2 lignes
  4. Khadidja : 2 lignes
  5. Samira : 1 ligne
  6. Khadidja : 1 ligne
  7. Samira : 2 lignes (1+1)
  8. Khadidja : 2 lignes

Cette reconstitution permet de voir le mouvement de va et vient de la parole, le nombre et la brièveté de répliques et également le nombre de lignes qui crée un rythme rapide produit par la brièveté de chacune d’elle. Samira produit cinq répliques (2successives) en 7 lignes alors que Khadidja produit sept répliques (4successives)en 13lignes.

Les dialogues dans Ravisseur présentent un rythme rapide. Les répliques sont courtes et le mouvement de va et vient est accentué. Néanmoins, les locuteurs sont amenés dans les moments de crise à entreprendre une tirade pour développer un évènement et apporter des explications.

Le contenu sémantique des dialogues (présentation, expression de sentiments, demande d’excuses, explications, dispute, demande d’informations) recommande un espace de parole pour les exprimer et décide de la lenteur ou de la rapidité d’un dialogue. Les répliques, qu’elles soient longues, courtes, nombreuses, elles créent une variation de rythme. Elles créent un effet de mimésis lorsque la langue des locuteurs se rapproche de la langue parlée et lorsqu’elles ne sont pas accompagnées d’incises.

Dans le dialogue, la dimension énonciative fait entendre plusieurs voix. La narratrice présente dans son discours les discours des personnages qui, à leur tour rapportent ceux d’autres personnages. L’organisation polyphonique de Ravisseur peut être décrite en identifiant les discours qui se font entendre aux niveaux des échanges. Cette description appelle des informations d’ordre énonciatif (sur les discours rapportés) et d’ordre linguistique (la manière d’insérer ces discours dans le texte). Ce que nous entreprendrons dans le point qui suit.

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1 Reuter Yves. L’Analyse du récit. Armand Colin. 2005. p. 41

2 Berthelot Francis. Parole et dialogue dans le roman. Nathan Université. 2001. p. 188-190 (tirade et réplique)

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