Le dialogue dans Ravisseur de Leila Marouane joue un rôle crucial dans l’organisation narrative et la représentation des idéologies. Cette analyse discursive et pragmatique met en évidence comment ces échanges façonnent la progression de l’intrigue et enrichissent le récit.
Ce mémoire analyse le dialogue dans le roman ‘Ravisseur’ de Leila Marouane, en se concentrant sur son insertion, son organisation et sa fonction dans le récit. L’étude met en lumière l’importance des dialogues dans la progression de l’intrigue et la représentation des idéologies.
Université d’Oran
Faculté des Langues, des Lettres et des Arts Département des Langues Latines
Ecole doctorale de Français
Mémoire de magister
Option : Sciences du langage
Analyse discursive et pragmatique du dialogue dans Ravisseur de Leila Marouane
Mlle Dris Ghezala
Dirigé par: Mme. Chiali Fatima Zohra & Mme. Grine Fatima
Année universitaire 2009-2010
Jury :
Président: Dr. Boutaleb Djamila Rapporteur: Pr. Chiali Fatima Zohra Co-rapporteur: Dr. Grine Fatima Examinateur: Dr. Ghellal Abdelkader
SOMMAIRE
Introduction p.6
CHAPITRE I L’insertion des dialogues dans le récit
Introduction p.14
I. 1. Le cadre contextuel des dialogues
I. 1. 1. Les commentaires d’ouverture des dialogues
I. 1. 2. Le cadre participatif
p.15 p.24
I. 1. 3. Le rythme du dialogue p.37
- 2. Le discours rapporté
- 2.1. Les modes de représentation des paroles p.40
1.2. 2. Le discours attributif.
I. 2. 3. La destination des paroles des personnages
p.52 p.63
- 3. La typologie des dialogues dans Ravisseur
- Le dilogue p.66
- Le trilogue p.67
- Le polylogue p.70
I.3.4 Le monologue p.73
Conclusion partielle p.76
CHAPITRE II L’organisation des dialogues des personnages
Introduction p. 78
- 1. L’organisation des relations interpersonnelles
- 1. 1. L’ouverture et fermeture du dialogue p. 79
- 1. 2. Les axes relationnels p. 83
- 3. Les types d’interaction p. 94
II. 2. Les actes de communication
II. 2. 1. La communication non verbale p. 107
II. 2. 2. La communication paraverbale p. 114
II. 3. Les manifestations linguistiques de la politesse et des émotions
II. 3.1. La politesse p.128
II.3.2. Les émotions p. 132
Conclusion partielle p. 139
CHAPITRE III Le croisement du discours humoristique et du discours tragique
Introduction p.141
III. 1. Le discours tragique
III. 1.1. La violence p.143
III. 1.2. La folie p.156
III. 2.Le discours humoristique
- L’humour p.164
- L’ironie p.173
III. 3.Le positionnement idéologique de l’auteur
- La vocation énonciative p.177
- Les stratégies d’écriture p.182
Conclusion générale p.189
Bibliographie
Introduction générale
« Dans toutes les langues, le terme dialogue renvoie à l’écrit, sert à désigner un genre littéraire »1. Depuis l’antiquité, le dialogue constitue un genre qui permet aux philosophes d’exposer leurs pensées. Par ailleurs « Platon est l’inventeur du dialogue comme littérature qui présente le contenu des discussions imaginaires dans une structure narrative »2 et appelle ce genre « philosophie. »
Etymologiquement le mot dialogue vient du grec« dialeghestai » signifie « parler clairement et de manière distinctive ». Cette définition exprime cette relation entre le dialogue et la pensée puisque « la raison importe autant que la parole »3
Bakhtine affirme que « l’objet principal du genre romanesque, c’est l’homme qui parle et sa parole »4.
Nous avons de notre côté, choisi d’étudier le dialogue dans le roman de Leila Marouane et toutes les notions qui s’y rapportent. A notre connaissance, aucune étude sur le dialogue n’a été réalisée au niveau de notre département, moins sur l’auteur en question. Leila Marouane est traduite dans plusieurs langues et a reçu plusieurs distinctions5, mais peu de travaux ont été consacrés à ses œuvres, si ce n’est quelques articles et entretiens.
Suite à la lecture de cinq romans6 de Leila Marouane, nous avons réalisé que l’auteur met en place les stratégies d’écriture très variées. Les deux premiers romans sont construits à la première personne et s’appuient essentiellement sur une abondance de dialogues au style direct. Le troisième roman, toujours à la première personne, comporte très peu de dialogues se résumant à des échanges courts ou à des répliques isolées.
1Guellouz Suzanne. Le Dialogue. Paris : PUF, Littératures modernes. 1992. p. 40
2 Giorgio Colli. Naissance de la philosophie. Traduit C. Viredaz. . Paris : Editions de l’Aire. 1981. p. 14.
3 Laborderie Jean. Le dialogue platonicien de la maturité. Paris : Belles Lettres. 1978. p. 14.
4 Cité par Frolich dans son livre Au parloir du roman. Solum Forlag et Didier Erudition. 1991. p. 7
5Prix Jean-Claude Izzo, 2006 – Prix de la Société des Gens des Lettres, 2005 – Prix des Écrivains de langue française, 2001- Prix Gironde, 2001 – Prix du Roman français à New York, 2002 – Liberaturpreis, 2004 – Creator of Peace (Unesco), 2000 – Narrativa Donna, 2004
6La fille de la Casbah. Julliard, 1996. Ravisseur. Julliard, 1998. Le châtiment des hypocrites. Seuil, 2001. L’Algérie des deux rives, collectif, Fayard, Mille et une nuits 2003. Les criquelins. Mille et une nuits, 2004. La jeune fille et la mère. Seuil, 2005. La Vie sexuelle d’un islamiste à Paris. Albin Michel 2007 Le Papier, l’encre et la braise (récit sociologique) Gens d’ici et d’ailleurs, Le Rocher,signé de son vrai nom Leyla Z. Mechentel 2009 Nouvelles d’Algérie, collectif, Magellan, octobre 2009
Puis à partir du quatrième roman, son écriture s’oriente vers un récit à la troisième personne même si le « je » traverse clandestinement les interstices de l’écriture et les dialogues au discours direct tendent à disparaître laissant place à d’autres formes de discours rapportés.
Pour ce travail, nous avons retenu le deuxième roman de Leila Marouane. Le choix du roman s’explique s’explique par le fait que Leila Marouane s’est démarquée, par son style original de cette génération d’écrivains algériens d’expression française, qui durant la décennie noire font appel à une écriture se rapprochant du témoignage.
Contrairement aux attentes, l’œuvre de Marouane, paru en 1998, n’est pas profondément engagée dans les événements qui ont endeuillé l’Algérie durant les années quatre-vingt-dix.Son écriture énonce le projet de dénonciation du système social. Elle est aussi le moyen de la mise en accusation des traditions, de la religion et de l’autorité paternelle.L’intention contestatrice inscrite dans son récit est réalisée de diverses manières. Son écriture fonctionne en s’appuyant sur le dévoilement et la transgression.
Dans le récit de Leila Marouane, le dialogue occupe une place importante. L’auteur insère dans son récit quarante-quatre dialogues (discours indirect et répliques isolées non prises en considération). Ces dialogues au discours direct occupent 131 pages sur les 174 pages du roman.
Son récit repose sur une surabondance de dialogues dont la longueur est très variable. Ils peuvent aller d’un échange de quelques répliques à une conversation qui s’étend sur des pages. Nous avons remarqué une inégalité au niveau de la longueur des parties : la première partie occupe 41 pages (de la page 13 à la page 53), la deuxième comporte 58 pages (soit de la page 57 à la page 114), et enfin la troisième partie occupe 74 pages (de la page 117 à la page 190).
Dans la première partie, nous avons relevé 7 dialogues, dans la deuxième 21 dialogues, et dans la troisième 16 dialogues. Cette inégalité dans le nombre de dialogues correspond à la longueur de chaque partie.
En suivant ces dialogues, nous pouvons dire que la deuxième et la troisième partie comprennent les passages dialogués les plus dramatiques et dont l’enchaînement préparent plusieurs scènes dialoguées et forment ainsi une unité.
La place considérable qu’occupent les dialogues dans un genre qui pourtant ne déséquilibre pas autant leur rapport avec la narration, nous amène à nous intéresser à l’étude de leur insertion, leur contenu et leur fonction.
Nous pouvons donc avancer que les dialogues semblent être la forme la plus apte à exprimer l’intensité dramatique. Par ailleurs, l’importance de l’espace qu’occupent ces dialogues peut être interprétée par le fait qu’ils soient liés à la progression de l’intrigue et apportent des éléments importants et constitutifs du récit. Nous posons donccomme hypothèse de travail que le dialogue dans Ravisseur est catalyseur et permet à l’auteur de montrer une situation du point de vue des personnages plutôt que de la dire d’un point de vue
unique. En outre, le dialogue introduit une multiplicité de voix qui est une construction énonciative qui détruit l’idée d’une seule idéologie7. Le foisonnement de voix, et particulièrement féminines semble être une stratégie qui permet à l’auteur de véhiculer une idéologie dissimulée et à nourrir le discours des personnages féminins par ses propres expériences et réflexions.
Ainsi, nous nous proposons dans le présent travail d’étudier le dialogue romanesque dans le second roman de Leila Marouane : «
RAVISSEUR», publié en 1998 chez les éditions Julliard.
« Analyse discursive et pragmatique du dialogue dans Ravisseur de Leila Marouane », tel est l’intitulé de ce mémoire de magistère.
Comme nous l’avons déjà signalé, la structure narrative qui prédomine dans Ravisseur est le récit de paroles adoptant le plus souvent la modalité du discours direct. Plusieurs mécanismes de représentations de la parole des personnages sont utilisés dans ce récit.Nous distinguonsen linguistiques trois moyens canoniques de transmission des paroles : discours direct, discours indirect et discours indirect libre. Chacune de ces modalités possède une valeur et des marques spécifiques.
Nous voudrions donc examiner le discours rapporté et plus particulièrement le discours direct. Notre questionnement tourne autour de « la relation d’un énoncé verbal à son entour contextuel non verbal »8 et paraverbalet du degré de mimétisme, d’oralisation ou de fiction des dialogues. De ce fait quels sont les modes de représentation des dialogues des personnages ? Que recouvrent les commentairesmétadiscursifs qui encadrent les paroles des locuteurs ? Quels liens existent-ils entre la parole et le référent réel ? Comment s’organisent et se construisent ces dialogues et surtout comment participent-ils à l’intrigue ?
7Cf. Grine Medajd Fatima. Manifestations polyphoniques dans l’œuvre de Djebar Assia. Thèse de doctorat. Sous la direction de Sari Fewzia. Juin2008. Université d’Oran. p.239
8 Jean Peytard cité parEliane Papo. « Typologie de quatre registres de discours ». Semen, 02, De Saussure aux média, 1985, [En ligne], mis en ligne le 12 juin 2007. http:/
semen.revues.org/pdf/3859
Autrement dit, nous souhaitons étudier « les aspects de la parole des personnages »9
Dans Ravisseur, les personnages qui communiquent, quelque soit leur nombre10, leurs dialogues s’organisent selon des règles comme dans les dialogues authentiques. Le dialogue a donc la faculté d’instaurer des relations de force entre les locuteurs comme le souligne Rullier « Les relations entre personnages s’établissent non seulement au moyen du langage mais dans le langage. »11
D’autre part, les personnages à travers les paroles échangées véhiculent des messages, dénoncent les vices d’une société et sont aussi le meilleur moyen pour introduire l’idéologie de l’auteur.
En effet l’écriture de Leila Marouane, à travers le discours de ces personnages dénonce une violence constante, mais cette violence ouvre le récit à l’enrichissement. L’écriture de Leila Marouane répète la violence afin de l’annuler en exploitant le domaine de la dédramatisation. Elle relate un récit tragique sur un ton insignifiant. Elle utilise des techniques pour dédramatiser un récit tragique d’une famille algérienne déchirée et désunie.
Les personnages fictifs qui conversent observent des règles discursives qui concernent les règles de la politesse. Chaque locuteur cherche à défendre son territoire (face négative) et à valoriser, et apprécier par autrui la qualité de sa propre image (face positive). Ainsi « ménager la face positive et la face négative d’autrui est une préoccupation fondamentale des interlocuteurs »12 d’où la nécessité de recourirla théorie des faces issue des travaux de Goffman13 et Levinson.
L’auteur transcrit également dans son récit, l’expression des sentiments et des émotions de ses personnages. C’est dire que l’auteur accorde une part aux émotions et recourt à un matériau qui consiste en des formules, des comportements et des verbes qui puissent les exprimer. Il serait intéressant d’étudier ces faits de langage qui peuvent être thématisés comme l’évoque Raimond14.
9 Durrer Sylvie. Le dialogue romanesque. Droz. 1994. p. 36
10Nous parlons ici des types de dialogues : le dilogue (deux locuteurs), le trilogue (trois locuteurs) et le polylogue (plusieurs locuteurs)
11Rullier Françoise. Le dialogue dans le roman. Hachette, Collection Ancrages. 2001. p. 99.
12 Maingueneau Dominique. Pragmatique pour le discours Littéraire. Dunod. 1990. p. 112
13 Goffman Erwin. Rites d’interaction. 1974
14 Cf. Raimond Michel. Le Roman. Armand Colin. 1989. p. 178
Authier Revuz souligne que ce que « rapporte un discours ce n’est pas une phrase, ou un énoncé, c’est un acte d’énonciation ; […] les éléments mis en jeu dans tout discours rapporté […] : un acte d’énonciation E, défini par un couple d’interlocuteurs L, R, une situation SIT, avec son temps, son lieu, et parmi l’infinité des données référentielles, un évènement particulier qui est l’acte d’énonciation e qui est l’objet du message M de E ; e étant lui-même défini par L, R, SIT »15
De là le rôle de l’incise et des commentaires métadicursifs quirendent « l’infinité des données référentielles »16 temps, lieu, acteurs, les gestes, mimiques, attitudes, mouvements, émotions qui accompagnent les paroles, qualité de leur voix.
En effet, les dialogues dans Ravisseur sont entourés de notations non verbales et paraverbales. L’auteur décritsouvent la façon dont les personnages prononcent leurs mots, leur voix, et les émotions qui les font varier. Les discours commentatifs accompagnent souvent les paroles des personnages pour transmettre les caractéristiques de l’échange. Ces faits de langage considérés comme actes pragmatiques sont chargés de sens.
Autrement dit, les dialogues dans Ravisseur quelque soit le type (dilogue, trilogue ou polylogue) ont des thèmes et des buts précis. Ils véhiculent différents discours, puisqu’à côté du discours tragique, il y a le discours humoristique qui est le pendant indispensable.
S’appuyant sur le principe que « les conversations exploitent pour s’édifier des systèmes sémiotiques »17 et que toute conversation est « une action qui affecte altère ou maintient les relations de soi et d’autrui dans la communication »18, et en envisageant le dialogue sous cet angle, Nous nous assignons comme objectif de répondre aux questions suivantes :
- Comment s’insère le dialogue dans le récit de Leila Marouane ?
- Comment reflète-t-il les rapports entre les personnages ?
- Quelles informations véhiculent-ils ? comment s’enchaînent-ils ?
- Quelles stratégies, les personnages emploient-ils pour communiquer ?
- Par quel moyen le récit de paroles donne forme aux silences, aux émotions et sentiments des personnages ? En effet ces questions correspondent aux trois chapitres de ce travail.
15 Authier Revuz Jacqueline, « Repères dans le champ du discours rapporté », L’Information grammaticale, n°56, 1993.
16Ibid., p. 10
17Kerbrat Orecchioni Catherine. La conversation. Seuil. 1990. p. 23.
18Ibid., p. 41
Le premier chapitre consistera à étudier l’insertion du dialogue dans le récit. Cette étude s’intéressera au niveau textuel proprement dit, le dialogue sera abordé en trois points. D’abordle cadre contextuel des dialogues où nous poserons le cadre dialogique, les commentaires qui enveloppent les propos des personnages et la rythme de la parole.Puisle discours rapporté où il sera question d’étudier les différentes formes du discours rapportés, d’analyser le discours attributif et d’aborder la double destination des paroles du personnage et. Enfinla typologie des dialogues où serontexaminésles dialogues qui se répartissent en dilogue, trilogue et polylogue et dégager leur fonction.
Dans le deuxième chapitre traitant de l’organisation des dialogues des personnages, nous étudierons en premier lieu l’organisation des relations interpersonnelles. Nous commencerons par les rapports de place qui se dégagent de la prise en charge de l’ouverture et de la clôture des dialogues. Nous enchaînerons avec les axes relationnels qui se subdivisent en relations verticale, horizontale et affectif.
Nous continuerons avec les types d’interactions qui relèvent des quatre rapports de base présents dans tout dialogue romanesque.En second lieu, nous examinerons les actes de communications. Nous entamerons par les moyens utilisés pour insérés la communication non verbale et paraverbales pour ensuite révéler leurs fonctions au sein du dialogue. En dernier lieu, nous entreprendrons une étude des manifestations linguistiques de la politesse, et des émotions.
Dans le troisième chapitre consacré au croisement du discours tragique et humoristique dans Ravisseur.Nous étudierons d’abord le discours tragique. Nous avons observé que le tragique occupe une place importante dans l’œuvre. Il est donc nécessaire que soient mieux définies les différentes formes du tragique : la violence de la famille et du groupe social, puis la folie.
Ensuite sera abordé le discours humoristique : l’humour et l’ironie. Il s’agit d’appréhender les procédés d’écriture utilisés par l’auteure pour dédramatiser et donner une dimension esthétique à un récit tragique. Et enfin, nous terminerons avec le positionnement idéologique de l’auteur en examinant les stratégies d’écriture et ce en revenant sur le cadre spatio-temporel, l’inscription de la voix féminine et la thématique de la violence.
En guise de conclusion, nous mettrons en évidence les procédés utilisés par la romancière pour véhiculer son idéologie à travers les discours des personnages mais également pour subvertir le réel.
Pour réaliser cette étude sur le dialogue, nous nous appuierons sur différentes approches : poétique, linguistique, pragmatique et discursive mais nous aurons également recourt aux travaux des interactionnistes et notamment ceux d’Orecchioni qui s’appliquent parfaitement au dialogue romanesque. Notre analyse se basera sur les travaux de Mainguenau, d’Orecchioni, de Berthelot et Durrer.