L’image de la femme répudiée dans l’œuvre de Mohammed Dib

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🏫 Université Kasdi Merbah – Ouargla - Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Département des Langues Etrangères
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de MAGISTER - 20010 - 2011
🎓 Auteur·trice·s
Aicha KHEDRANE
Aicha KHEDRANE

La femme répudiée en Algérie est au cœur de l’analyse des œuvres de Mohammed Dib, où la représentation de Minoune dans La Grande maison illustre les réalités sociales et les stigmates associés à la répudiation. Cette étude met en lumière l’évolution du statut féminin dans l’imaginaire collectif algérien.


L’image de la femme répudiée :

La répudiation était un phénomène largement répandu dans la société algérienne traditionnelle, où la femme était répudiée pour stérilité, maladie ou simplement pour incapacité de donner un fils. Afin de brosser une image authentique du réel vécu de la femme algérienne traditionnelle, Mohamed Dib n’a voulu que l’exposer dans tous ses aspects, sans négliger celui de la répudiée.

Dans La Grande maison, Minoune répudiée, se trouve rejetée du foyer conjugal, sans protection, perdue, éloignée de ses enfants à cause de sa maladie. C’est la fin de son existence, car le cordon qui la lie à son mari et à ses enfants est rompu. Donc, Minoune n’a dans l’esprit que l’idée de mort, elle a peur de mourir sans voir sa progéniture. Dans une telle situation, elle ne peut que se résigner et délire. Elle s’adresse à sa mère Lala Zohra : « Je sais très bien que je vais mourir, ma petite mère. Je ne te reverrai plus ; je ne reverrai plus mes enfants, de ma vie. (G.M p.47) ».

Il est vrai que tous les gens dans Dar-Sbitar souffrent, toutefois la souffrance de Minoune est autre. Elle exprime sa peine au moyen d’un chant profondément marqué par la douleur ressentie par la maladie et la séparation. Une telle conduite est expliquée par Louis ARAGON lorsqu’il écrit : « La douleur nait le chant. »1. Ce chant lyrique et émotionnel révèle ce qui est caché dans l’inconscient de Minoune, la malade :

Ce cri de chagrin, par lequel elle eût désiré expulser le mal qui lui rongeait la poitrine, jaillit plus puissant que le tapage et le tohu-bohu menés par les gens de la police. (G.M p.51)

En fait, Minoune entame son chant le jour où la police envahit Dar-Sbitar, cet univers féminin, en cherchant Hamid Saraj. De ce fait, Minoune dresse son chant comme une communication identitaire face à l’occupant étranger. Elle exalte la Révolution et la revendication de l’Algérianité. Son chant brise le cercle du silence pour dénoncer toute oppression qui fait de toute femme une répudiée, rejetée, privée de son logis et de ses enfants, mendiant d’un seuil à l’autre. Elle chante :

Pourquoi, me dit-on, pourquoi Vas-tu visiter d’autres seuils Comme une épouse répudiée ? Pourquoi erres-tu avec ton cri, Femme, quand les souffles

De l’aube commencent À circuler sur les collines ?

(G.M p.49)

Minoune incite à travers son chant toutes les femmes à s’élever, pour lutter contre la soumission et l’acceptation de leur destin. Pour qu’enfin, elles retrouvent le bonheur et la liberté dont elle leur parle :

Je suis venue vous voir, Vous apporter le bonheur, À vous et vous enfants ;

Que vous petits nouveau-nés Grandissent

Que votre blé pousse, Que votre pain lève aussi

Et que rien ne vous fasse défaut, Le bonheur soit avec vous. (G.M p.51)

Dib au fil des vers met l’accent sur la féminité englobée par l’algérianité, ce qui permet d’identifier la voix de Minoune comme étant celle de la liberté. En fait, la création poétique chez Mohammed Dib semble nourrie de chansons populaires, issues de sources profondes de l’âme et du plus profond de la mémoire collective.

Elle est l’objet d’un nécessaire rappel des sources de vie et de vérité, pour dire ainsi l’œuvre qui a de valeur. Un pont est d’ailleurs lancé entre les deux écritures dibienne romanesque et poétique. Et c’est la fonction de Dib le poète, qui éclaire et complète celle de Dib le romancier pour témoigner de la réalité et du drame algérien et féminin vécu, et pour guider la femme et le peuple vers les forces vitales d’une revendication et d’une recréation inévitables.

C’est ce que reflète l’ensemble d’images de la femme qu’il met en scène, s’ajoutant encore l’image de la femme veuve qui a eu sa part de la représentation dibienne.

L’image de la femme veuve :

La veuve dans le milieu traditionnel, privée de son protecteur et de son soutien financier se trouve solitaire, désarmée, confrontée aux durs problèmes et circonstances de la vie. Dans La Grande maison plusieurs veuves sont mises en scène, Aïni, Zina, Yamina, Zoulikha et Tante Hasna. Ainsi, Aïni démontre par ses propos que le lien le plus puissant qui attache la femme à l’homme dans un milieu traditionnel est d’ordre économique.

« Celui dont je visiterai la tombe ne m’a rien laissé, ni fermes ni maisons pour que je le pleure. (G.M p.84) », dit Aïni dans un excès de rage et devant l’immense responsabilité qui pèse sur ses épaules après la mort de son mari. De même, Zina la voisine d’Aïni se rend compte que son mari ne lui a rien laissé quand il est mort : « quand il est mort, il ne nous avait pas laissé de quoi dîner la première nuit.

(G.M p.67) ». Le veuvage oblige la femme à assumer des nouvelles responsabilités, elle se trouve contrainte d’assumer seule les besoins de sa famille. La veuve doit seule faire face à la vie, pour tenter de faire survivre sa famille et pour ça elle doit travailler.

Évidemment, la présentation faîte par Mohamed DIB de la vie de la femme algérienne dans le milieu traditionnel, nous montre une société traditionnelle caractérisée par une forte intégration dans un cadre ancestral fortement marqué par ses mythes, ses préjugés et ses tabous qui tendent à la suprématie de l’homme et à l’infériorisation de la femme. Toutes les images données à voir par l’écrivain, nous montrent sa réussite à brosser avec réalisme le réel traditionnel qu’a vécu la femme algérienne. En effet, c’est cette image de l’éternelle mineure que Dib a voulu voir disparaître pour céder la place au fur et à mesure à une image de la femme en lutte pour sa majorité.

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1 Mohamed DIB, Ombre Gardienne, Préface, Paris, Gallimard, 1955.

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