L’émancipation de la femme dans l’œuvre de Mohammed Dib

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🏫 Université Kasdi Merbah – Ouargla - Faculté des Lettres et Sciences Humaines - Département des Langues Etrangères
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de MAGISTER - 20010 - 2011
🎓 Auteur·trice·s
Aicha KHEDRANE
Aicha KHEDRANE

L’émancipation de la femme en Algérie est au cœur de l’analyse des romans ‘La Grande maison’ et ‘Un Été africain’ de Mohammed Dib. Cette étude met en lumière la représentation de la femme algérienne dans l’imaginaire collectif et son évolution au sein d’un contexte socioculturel complexe.


Le thème de la femme dans l’écriture dibienne :

Mohamed Dib est l’un des écrivains algériens pionniers, qui ont bien dit sur la société algérienne colonisée et sur la place de la femme dans ce contexte socioculturel. Parler de la femme, du statut qu’elle occupe et des images qu’elle reflète dans l’écriture dibienne prend un autre sens que celui donné par les autres écrivains maghrébins.

En effet, son écriture qui s’affirme comme l’expression d’une culture algérienne pure doit tout son respect à la dignité de la femme algérienne, en évitant tout dénigrement direct ou indirect à son égard. Cet homme qui « était capable d’entrer dans la peau d’une femme et exprimer ce qu’elle pense.»1, a pu et tout au long de son trajet littéraire exprimer une écriture qui se donne comme un hommage particulier aux femmes algériennes. Mohamed Dib affirme :

Pour moi, ce qui a été essentiel dans mon œuvre, c’est de faire une place à la femme dans mes livres. Que cette femme soit algérienne, comme cela a été le cas dans plusieurs de mes ouvrages, cela allait de soi ; la femme a toujours vécu marginalisée dans notre société, ceci m’a aussi incité à parler d’elle. J’ai toujours voulu qu’elle ait un droit de cité, comme l’Algérie d’ailleurs. C’est cela qui m’a déterminé.2

S’inspirant des problèmes de la société algérienne à l’époque, Dib choisit ses thèmes dans la vie quotidienne du peuple colonisé, et surtout de la femme noyau de cette société. Il s’avère très clairement qu’au sein de son écriture, l’image et le rôle de la femme algérienne ont radicalement changé de forme et de continu. Dib ne présente pas uniquement la femme en tant que mère telle qu’elle était considérée par la plupart des écrivains maghrébins dans la société traditionnelle, mais aussi comme l’épouse, l’aimable, l’instruite, la militante et la travailleuse qui se présente ainsi comme l’égale de l’homme. Dans cette perspective Naget KHADDA écrit :

Ainsi, les configurations discursives de l’émancipation féminine et de la révolution sociale et politique se trouvent encore et toujours en rapport d’intersection, voire d’implication dans l’univers dibien.3

Dib nous traduit tout au long de son parcours littéraire, différents visages et des images diverses de la femme algérienne. Elle est la terre et le symbole de vie au sens plein du terme dans son œuvre L’Incendie ; « La terre est femme, le même système de fécondité s’épanouit dans ses sillons et dans le ventre maternel»4 ; c’est pourquoi la femme stérile est toujours comparée à la terre aride dans l’imaginaire collectif. Cette image de la fécondité et de la terre patrie est encore

présente dans un autre passage « Je vivais heureux avec ma femme et ma fille, j’avais ma terre, ma maison»5. Dib fait l’apologie de la femme en fonction de sa capacité de procréation. Il considère la femme comme une entité symbolique, elle est le foyer, la terre et le pays où chacun s’abrite, elle n’est rien d’autre qu’une composante de l’existence de l’homme. Ainsi, dans L’Incendie, la dichotomie femme/ patrie est nettement éprouvée par Omar à la vue du ventre nu de Zhor :

L’image d’un cheval traversa brusquement son esprit à la vue du ventre nu de Zhor, un cheval somptueux, de nature mystérieuse et quelque peu funeste, mais c’était un animal qui permettait tous les espoirs.6

Cette image du cheval beau, mystérieux inspiré à Omar à la vue de la nudité de Zhor n’est que l’image de la patrie, du désir frustré de la liberté. De même Mohamed Dib nous brosse encore au sein de son œuvre L’Incendie une autre image de la femme algérienne : c’est la femme courageuse représentée par le personnage Mama : sa prise de conscience la fait désobéir à son mari Kara Ali et elle le menace parce qu’il est un traitre.

En outre, dans son recueil poétique Ombre Gardienne7, Dib s’adresse à toutes les femmes algériennes :

Fermez vos portes Femmes, le sommeil amer Remplira vos nerfs,

[…]

Mais je chanterai à peine Pour que ne se mêle guère La peine à votre sommeil ; Paix à vous, mères, épouses, Le tyran buveur de sang

Dans vos vans sera poussière. Je marche sur la montagne Où le printemps qui arrive Met des herbes odorantes ; Vous toutes qui m’écoutez, Quand l’aube s’attendrira

Je viendrai laver vos seuils. Et je couvrirai de chants Les ululements du temps.

Dans ce poème Dib fait appel à toute femme algérienne pilier de société et gardienne de ses traditions et valeurs ancestrales pour se préserver et préserver l’identité religieuse et culturelle face au pouvoir colonial amer. Ce qui pose la femme mère ou épouse comme élément de permanence de l’identité nationale, de

sauvegarde du patrimoine et d’annonce de temps nouveau. En effet c’est elle qui assure le lien entre le passé et le présent et incarne les espoirs à venir. Ainsi l’écrivain se consacre à un chant doux, un chant de paix qui couvrira ces femmes et les préservera de peine. À cet égard le docteur Rachid Raïssi écrit :

Mohamed Dib qui, dès Ombre Gardienne, s’adresse aux femmes pour qu’elles sauvegardent leurs foyers contre le sommeil colonial. Cette écriture est celle qui célèbre la femme et son pouvoir d’enfanter dans la lumière et le chant pour repeupler la nation détruite par le colonialisme. La femme, conservatrice des croyances ancestrales, est l’ombre gardienne.

Ainsi, elle permet le lien entre le passé et l’avenir et préserve contre l’aliénation ; vestales, à l’image de ces jeunes filles vierges attachées au culte de la déesse romaine Vesta et à l’image des femmes chastes et fidèles, la femme algérienne est donnée comme garante de la protection de l’ancienne loi.

L’enfer, le paradis, l’horreur de la guerre, la douceur salvatrice de la femme sont les thématiques récurrentes de ce recueil.8

L’écriture dibienne se caractérise par la multitude de ses thématiques qui s’articulent généralement autour de la quête identitaire, l’exil, la célébration de la femme, de la féminité et de l’amour. Ainsi, dans son roman Qui se souvient de la mer qui s’inscrit dans une optique surréaliste, Dib nous peint l’image de l’épouse maternelle incarnée par Nafissa, un personnage polysémique et énigmatique doué par toutes les valeurs de la femme mère et épouse. Nafissa représente au même temps l’image de la mère protectrice et l’épouse aimante :

Pourtant Nafissa ? Elle franchit évidemment des lieux là où je n’avance que d’un pas. Elle conquiert l’univers, établit son empire sur toute chose et se sert ensuite de son sourire pour aspirer mes inquiétudes. Mais je suis presque heureux, moi aussi, enfin à ma manière, quelquefois même aveuglément heureux. Je ne trouverai certes jamais par quelles voies Nafissa agit sur moi.9

Pour Dib la présence de la femme est un élément rassurant, sécurisant et apaisant. Elle est la mère et l’épouse qui porte la douceur et la douleur de la terre, et l’homme n’est que l’enfant perdu qui cherche son abri chez elle :

Ismaël n’élevait pas la voix, ne jetait la pierre à personne. Sa mère ne le déchargeait- elle pas de tout souci ? Il avait encore une autre femme pour lui chanter l’air à faire passer la frayeur : sa femme. Sans la mer, sans les femmes, nous serions restés définitivement des orphelins ; elles nous couvrirent du sel de leur langue et cela, heureusement, préservera maints d’entre nous ! Il faudra le proclamer un jour publiquement.10

Chez Dib, il n’y pas de différence entre la femme, la terre et la mer, les trois constituent des moyens de production, une source de fécondation nourricière et vénérée. La même idée est exprimée par l’auteur encore dans son recueil poétique O Vive lorsqu’il écrit :

0 vive, Eau, vie et rose du même nom, l’aimée. La femme faite eau. L’eau faite femme vive. Parole, eau, femme qui fait le vide autour d’elle plus vide encore pour mieux nous atteindre, mieux nous aimer et combler notre soif.11

Dib introduit le thème de l’amour dans le but de dévoiler le rapport entre l’homme et la femme ; il écrit : « un homme qui opprime une femme n’est pas plus libre qu’un pays qui en opprime un autre. »12. Partant de cette idée, Dib voit que la libération de l’homme ne peut pas s’accomplir sans tenir compte de la liberté de la femme en tant qu’épouse. En effet l’existence de l’homme ne prend de sens qu’avec la femme, celle qui justifie et accompagne son existence.

D’ailleurs, Mohamed DIB s’intéresse au statut de la femme algérienne tout au long de ses mutations, de la gardienne de la maison à la combattante aux rangs des hommes dans la guerre libératrice. Ainsi dans son œuvre La Danse du roi, l’auteur nous brosse l’image de la femme héroïne traduite par le personnage Arfia, la combattante de la guerre de libération qui affronte les obstacles de l’après guerre en fonction de son passé de maquisarde.

Arfia est l’image de la femme dirigeante et commandante ; elle est le chef d’un groupe composé de quatre hommes qu’elle doit diriger dans une traversée aventureuse d’une montagne en direction d’une cache de résistants. Une expédition meurtrière dont Arfia est la seule survivante. Arfia est encore l’image de la mère patrie, cette image quasi-présente dans toutes les œuvres dibiennes.

Arfia est la mère patrie brave envers un peuple souffrant incarné par Babanage : « je suis seul ! Seul au monde ! Je suis un orphelin ! Ne me bats pas marâtre […] pars-pas, t’es ma mère ! Ma vilaine mère».13

Toute l’écriture de Mohamed Dib se donne comme un plaidoyer pour la femme algérienne. D’un livre à l’autre et d’un genre à l’autre se concrétise l’âme de l’écrivain amoureux de cette femme, dont chaque portrait qu’il en brosse se dresse comme une histoire réelle. Elle est encore l’aimée recherchée dans Cours sur la rive sauvage et l’image de « la déesse » 14 dans Le Sommeil d’Ève. Jacqueline Arnaud, en se soumettant à l’analyse du recueil Omnéros écrit :

Pour Mohamed DIB […] la seule évidence est la femme ; elle est le lieu de la totalité et de la partie, du cosmique et de l’humain, du dicible et de l’indicible, matière de désir, objet de rêve, en qui et par qui l’homme est rêvé. Dans le rêve l’homme apprivoise son destin.15

Ainsi dans cette perspective, nous avons délimité le champ de notre recherche sur l’étude de l’image de la femme et de ses représentations chez Mohamed Dib dans ses deux œuvres La Grande maison et Un Été africain, afin d’éclairer l’image de la femme que se fait l’écrivain en fonction de son vécu durant la période de la colonisation française, et pour voir si l’écrivain a réussi à refléter le réel et la réalité de la femme à l’époque.

C’est pourquoi on privilégiera les deux œuvres pour cerner s’il existe des ressemblances entre les images présentées de la femme et pour voir si les deux œuvres éditées reflètent la même réalité de la femme. Ainsi il est nécessaire de voir si l’écrivain a marqué un processus de changement dans le statut de la femme ou non.

De même les œuvres reflètent-elles un imaginaire algérien ou non ? Il sera nécessaire d’analyser le rôle attribué aux femmes dans le corpus. D’ailleurs, une étude approfondie s’avère nécessaire pour confirmer ou infirmer ces interrogations et pour comprendre comment l’auteur perçoit et présente la femme algérienne dans ces œuvres.

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1 Assia DIB, cité par Farida BELKHIRI, La Voix du sens irréversible, in : http://www.algerie-livres.com/default.asp?page=textes%20auteurs&numt=91.

2 Mohamed DIB, cité par Mohamed ZAUOI, Algérie, Des voix dans la tourmente, in : http://www.fondation-dib.com/site.php?VARID=27

3 Naget KHADDA, Représentation de la féminité dans le roman algérien de langue française, Alger, OPU, 1991, p.132.

4 Mohamed DIB, L’Incendie, Paris, Seuil, 1954, p.27.

5 Ibid., p.64.

6 Ibid., p.97.

7 Mohamed DIB, Ombre Gardienne, Paris, Gallimard, 1961.

8 Rachid RAISSI, Op.Cit.

9 Mohamed DIB, Qui se souvient de la mer, Paris, Seuil, 1962, p.119.

10 Ibid., p. 20/21.

11 Mohamed DIB, O Vive, Paris, Seuil, 1987, cité in : http://209.85.229.132/search?q=cache:nyAefvnMKS8J:www.fondation-dib.com/site.php%3FVARID%3D24+o+vive+la+parole+qui+fait+merveille+dib&cd=1&hl=fr&ct=clnk &gl=fr.

12 Mohamed DIB, cité par Jean DEJEUX, Op.Cit. p.155.

13 Mohamed DIB, La Danse du roi, Paris, Seuil, 1968, p.180/181.

14 Rachid RAISSI, Op.Cit.

15 Jacqueline ARNAUD, cité par Amar NAIT MESSAOUD, La Dépêche de Kabylie in : http://www.algerie-dz.com/forums/archive/index.php/t-127489.html

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