La résistance aux antibiotiques en Algérie est analysée à travers l’étude de 35 souches bactériennes isolées dans les zones humides classées Ramsar d’Oran et de Bechar. L’article met en lumière les mécanismes de résistance et le contenu plasmidique associé à ces souches.
La résistance aux antibiotiques :
La résistance aux antibiotiques est un phénomène général observé pour toutes les espèces bactériennes rencontrées dans la nature et elle est liée à leur inéluctable évolution. Elle s’observe à divers degrés à l’égard de tous les membres d’une famille d’antibiotiques donnée. On assiste de surcroît à des multirésistances, c’est à dire au fait qu’une bactérie est résistante en même temps à plusieurs familles d’antibiotiques (Gauthier, 1993 ; Harold, 1992).
Quelques facteurs favorisants :
La prescription à grande échelle et parfois impropre d’antibiotiques fait que les bactéries évoluent constamment vers la résistance. Plusieurs études ont établi que l’apparition de la résistance est associée, d’une part, à la surconsommation d’antibiotiques et, d’autre part, à des traitements trop longs et insuffisamment dosés.
Le recours intensif à des antibiotiques dans l’élevage animal industriel (en particulier des volailles) contribue au phénomène de résistance. En milieu vétérinaire, les antibiotiques issus de la pharmacopée humaine sont utilisés sans règles strictes soit comme promoteur de la croissance, soit à des fins prophylactiques et thérapeutiques. Cette pratique très répandue de traitements antibiotiques sur une longue durée conduit inévitablement à la sélection de bactéries multirésistantes, en particulier des entérobactéries et des entérocoques.
Eliminées du tube digestif des animaux, les bactéries passent dans les effluents, l’eau et, selon la chaîne alimentaire, finissent par coloniser le tube digestif de l’homme (flore intestinale). Lors de l’abattage des animaux, une contamination de la viande est quasi inévitable. Un moyen de pallier ce problème serait d’utiliser des antibiotiques différents de ceux utilisés en médecine humaine, l’administration répétée d’antibiotiques chez l’homme ou l’animal élimine les bactéries sensibles et sélectionne les seules bactéries résistantes, lesquelles en profitent pour se développer et en donnant de
nouvelles générations résistantes. L’autre phénomène important est la dissémination des gènes de résistance vers des bactéries sensibles au sein d’une même espèce mais aussi au sein d’espèces éloignées (Harold, 1992 ; Courvalin, 1997 ; Monnet et al, 1999 ; Gaudichon et al, 2002).
Les types de résistance :
On connaît deux types de résistance :
Résistance naturelle :
elle est programmée sur le génome bactérien, donc fixe et constant à l’intérieur du taxon c’est-à-dire présent dans toutes les souches de l’espèce considérée. A ce titre, elle constitue un critère d’identification. Elle préexiste à l’usage des antibiotiques selon la littérature scientifiqe.
Résistance acquise :
consécutive à des modifications de l’équipement génétique chromosomique ou plasmidique,elle ne concerne que quelques souches d’une même espèce mais peut s’étendre : leur fréquence varie dans le temps mais aussi dans l’espace (région, ville, hôpital…). Elle constitue un marqueur épidémiologique (Anonyme, 2001 ; Yala et al, 2001).
Le support génétique de la résistance :
La résistance naturelle est programmée dans le génome bactérien. Les modifications génétiques responsables de résistance acquise sont chromosomiques, secondaires à une mutation portant sur le chromosome ou extra-chromosomiques par acquisition de gènes.
Les résistances mutationnelles :
elles sont :
- Spontanées : elles préexistent à l’utilisation de l’antibiotique,
- Stables : elles se transmettent verticalement dans le clone bactérien,
- Spécifiques : elles n’intéressent qu’un antibiotique ou qu’une famille d’antibiotiques à la fois.
- Rares : le taux de mutation se situe habituellement entre 10-7 et 10-8.
La résistance par mutation est peu répandue en clinique (moins de 20% des résistances acquises). L’usage de l’antibiotique sélectionne les souches résistantes et la parade consiste à associer les antibiotiques. Ce type de résistance est observé, entre autres, chez les mycobactéries (Yala et al 2001).
Les résistances extra-chromosomiques :
- Dont le support est un plasmide ou un transposon acquis par conjugaison ou plus rarement par transduction.
- Elles sont fréquentes (plus de 80% des résistances acquises).
- Elles sont contagieuses et se transmettent horizontalement entre bactéries cohabitant, même d’espèces différentes.
- Elles peuvent concerner plusieurs antibiotiques, voire plusieurs familles d’antibiotiques, entraînant une polyrésistance.
- La résistance plasmidique concerne la plupart des antibiotiques. Seuls y échappent les rifampicines, les polypeptides, les nitrofuranes, les quinolones et les glycopeptides. Toutes les espèces bactériennes y sont sujettes.
L’usage d’un seul antibiotique dont la résistance est codée par un gène de plasmide sélectionne les souches résistantes à toutes les molécules dont le gène de résistance se trouve sur le plasmide, ce qui entraîne la sélection rapide de souches polyrésistantes (Harold, 1992 ; Courvalin, 1997 ; Yala et al, 2001 ; Anonyme, 1993).
Mécanismes de résistance :
Pour être efficace, un antibiotique doit parvenir au contact de la bactérie, ce qui implique qu’on tienne compte, dans la prescription, des données pharmacologiques telles que la posologie, la voie d’introduction, la diffusion tissulaire et le métabolisme de la molécule. Il doit ensuite pénétrer dans la bactérie, n’y être ni détruit ni modifié, se fixer à une cible et perturber ainsi la physiologie bactérienne. Si l’une de ces conditions n’est pas remplie, l’antibiotique, même correctement administré, se révèle inefficace. Ce phénomène appelé résistance est lourd de conséquences et doit être, si possible, dépisté au laboratoire.
Les bactéries se défendent contre l’action des antibiotiques selon (Andremont, 2001):
- En se rendant imperméables à leur pénétration
- En produisant des enzymes capables de les inactiver
- En modifiant la structure de leurs cibles
Diminution de la perméabilité :
Elle concerne la membrane extérieure (pour les bactéries Gram négatif) ou la membrane cytoplasmique (pour toutes les bactéries) ; c’est le mécanisme le plus souvent responsable de la résistance naturelle il peut concerner :
- Les beta-lactamines
- les cyclines
- les phénicols
- les macrolides
On peut rencontrer ce mécanisme dans la résistance mutationnelle (beta-lactamines, quinolones, aminosides, phénicols) ou dans la résistance plasmidique (tétracycline) (Yala et al, 2001).
Inactivation enzymatique :
C’est le mécanisme le plus souvent responsable de la résistance plasmidique. Il concerne particulièrement :
Les beta-lactamines :
pénicillinases, céphalosporinases hydrolysant la molécule.
Les aminosides :
transférases qui phosphorylent, acétylent ou adénylent certains sites de la molécule.
Les phénicols :
transférase qui acétyle la molécule.
On peut rencontrer ce mécanisme dans la résistance mutationnelle : certaines bactéries synthétisent des faibles quantités de beta-lactamases (ce qui suggère une fonction physiologique de ces enzymes dans la vie de la cellule). Une mutation altère le gène de régulation et provoque une synthèse accrue (beta-lactamase « déréprimée ») (Yala et al, 2001).
Modification de la cible :
C’est le mécanisme le plus souvent responsable de la résistance mutationnelle. La cible est légèrement modifiée par la substitution d’un acide aminé dans la protéine (s’il s’agit d’une enzyme ou d’une protéine ribosomale) ou la substitution d’un nucléotide (s’il s’agit de l’ARN ribosomal) ; il peut concerner : les beta-lactamines, les aminosides, les macrolides et les quinolones.
On peut rencontrer ce mécanisme dans la résistance plasmidique : dans le cas des macrolides, une méthylase modifie deux nucléotides du ribosome qui perd son affinité pour l’antibiotique. Dans le cas des sulfamides ou du triméthoprime, le plasmide code pour des isoenzymes qui ne fixent pas ces molécules (Yala et al, 2001).
Diffusion épidémique de la résistance au sein du monde bactérien :
Le transfert à médiation plasmidique du matériel génétique peut se produire de plusieurs façons, ce qui provoque la propagation de la résistance à au moins un antibiotique parmi les bactéries de la même espèce et du même genre ou d’espèces et de genres variés. En outre, la résistance peut se transmettre entre les bactéries Gram positif et Gram négatif selon la revue (Pediatrics&Childhealth, 1996)
Pathologie et bactéries résistantes aux antibiotiques :
(Pediatrics&Childhealth, 1996)
De nombreuses enquêtes dans le monde ont dénoncé le mauvais usage qui a été fait des antibiotiques dans le monde médical, il en est résulté une large prise de conscience et la conviction que cette arme précieuse n’avait pas été exploitée au mieux de nos intérêts ; il est clair en effet que l’usage intensif des antibiotiques en sélectionnant les bactéries résistantes a favorisé leur capacité d’agression et les a rendues opportunistes, c’est-à-dire capables à la suite d’une défaillance des moyens de défense de l’hôte (humain), de provoquer une infection.
Ce phénomène de la résistance aux antibiotiques est analysé maintenant dans son contexte et ses conséquences écologiques, certaines études ont mis en évidence l’importance des bactéries résistantes (entérobactéries) isolées dans les eaux usées, les eaux de rivière, les eaux de baignade et même les eaux d’alimentation.
En bref, ces analyses tendraient à faire admettre l’existence d’une augmentation ou d’une accumulation de bactéries résistantes dans le milieu aquatique, ainsi, les taux des entérobactéries qui se situe aux environs de 0,1 à 1% dans les matières fécales humaines en l’absence de traitement antibiotique, serait de 10% dans les eaux usées, de 50% dans les eaux de surface, de plus de 80% dans les eaux d’alimentation, ces taux pourraient traduire l’existence d’une forte pression sélective dans l’environnement aquatique.
Un certain nombre d’hypothèses sont avancées pour l’expliquer : avantage sélectif des bactéries résistantes car multirésistantes aux antibiotiques et à certains métaux lourds ; possibilité de transfert des caractères de résistance d’une souche à l’autre : présence dans le milieu d’entérobactéries autochtones (indigènes) résistantes aux antibiotiques, ces hypothèses sont restées jusqu’à présent purement spéculatives.
On peut se demander si les aliments (l’eau en particulier) porteurs de bactéries résistantes aux antibiotiques sont dangereux pour le consommateur ; ces risques tiendraient à l’éventuelle capacité d’implantation des bacteries résistantes dans les flores naturelles de l’homme (tube digestif), à leur pouvoir de multiplication, enfin à leur pouvoir pathogène « opportuniste »,il apparaît à la lumière des travaux d’écologie microbienne que la capacité des bacteries résistantes à s’implanter dans le tube digestif n’est pas favorisée ou exaltée par leur résistance aux antibiotiques.
La résistance aux antibiotiques s’accompagne souvent d’une résistance aux métaux lourds, ce qui pourrait expliquer leur prédominance dans les rejets industriels (toxiques) ; ces bactéries résistantes sont capables d’opérer des transformations dangereuses (méthylation) à partir des métaux toxiques comme le mercure, le cadmium, le plomb, l’étain. La forme méthylée qui s’accumule dans les chaînes biologiques marines jusqu’aux poissons est 50 à 100 fois plus toxique que la forme inorganique initiale (Hg++) ; il serait d’un grand intérêt de connaître les conditions dans lesquelles cette transformation s’établit, au niveau de quel site : sédimentaire ou bien grâce à des hôtes biologiques comme le poisson, quels en sont les mécanismes génétiques.
La toxicité du milieu aquatique, pourront être mieux appréhendées par une meilleure connaissance de ces phénomènes microbiologiques (Leclerc et al, 1982).
Les antibiotiques en milieu Aquatique :
La persistance des antibiotiques dans les sédiments aquatiques dépend de :
- La nature de l’antibiotique
- La nature du sédiment
- Les conditions environnementales
Toutefois la présence des antibiotiques dans les sédiments entraîne trois conséquences :
- La diminution transitoire d’un facteur 2 à 3 du nombre total de bactéries
- L’augmentation transitoire du pourcentage de bactéries sédimentaires résistantes
- La perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du soufre
Les antibiotiques regroupent différentes familles : les pénicillines, les bêta-lactamines bactéricides parmi lesquelles l’amoxicilline, les céphalosporines (cefixime, ceftriaxone) inhibant la synthèse de la paroi bactérienne, les aminosides (gentamicine), bactéricides inhibant la synthèse protéique, les macrolides (érythromycine, clarithromycine), les bactériostatiques agissant au niveau des sous-unités ribosomales 50 S, les tétracyclines (doxycycline) à propriété bactériostatique, et les fluoroquinolones (ciprofloxacine, norfloxacine), bactéricides inhibiteurs de la synthèse l’ADN ; l’association de sulfamides (sulfaméthoxazole) et de benzylpyrimidine (triméthoprime) présente une action bactéricide par inhibition de la synthèse de l’acide folique
; ces antibiotiques sont retrouvés dans l’environnement aquatique (Ashton et al, 2004 ; Paffoni et al, 2006). La pression de sélection entraîne des phénomènes d’antibiorésistance plus ou moins généralisés dans les populations bactériennes à l’échelle du globe selon la littérature scientifique.