L’instance juridictionnelle commission est analysée dans le cadre de la commission d’indemnisation des victimes d’erreurs judiciaires, mettant en lumière ses critères formels et matériels. Cette étude conclut que la commission opère en tant que juridiction civile spécialisée, renforçant son rôle dans le système judiciaire.
§2. Le déroulement de l’instance devant la commission
- Pour que la commission soit une juridiction, toute activité devant celle-ci ne peut être que le fait d’un processus tout aussi juridictionnel. Un tel processus prend la
dénomination plus technique d’instance juridictionnelle. L’instance devant la commission est alors juridictionnelle non seulement parce que c’est l’instance devant la chambre judiciaire de la cour suprême qui est la même à suivre devant elle, mais aussi parce que c’est le législateur lui-même qui l’a voulue. Dès lors, aussi bien au niveau du déroulement de l’instance devant la commission (A) que son prolongement
par des voies de recours (B), l’instance devant cette institution est typiquement
juridictionnelle.
Les différentes phases de l’instance devant la commission
- L’instance devant la commission se déroule principalement en deux étapes : la
mise en état des dossiers (1) et le jugement (2). Ces deux techniques pourraient
rappeler le caractère juridictionnel de la commission.
La technique de la mise en état des dossiers devant la commission
- Avant de se pencher sur la mise en état des dossiers devant la commission, il faut rappeler au préalable que lorsque la demande a été formée, elle doit être reçue par le secrétariat de la commission. Or, au regard de l’organisation administrative de cette institution, il n’est pas fait référence à cet organe très essentiel au fonctionnement des juridictions. Cette imprécision peut-elle remettre en cause la nature juridictionnelle de la commission ? Nous pensons que non parce que les différents membres prévus, sous la houlette de leur président, peuvent s’organiser pour pallier cette carence. Bien plus, et c’est la raison la plus importante, le greffe de la chambre judiciaire peut aussi servir en même temps de secrétariat à la commission puisque c’est la même procédure qui est suivie devant elle.
- La mise en état des dossiers devant la commission est réglementée par les articles 49 à 64 de la loi de 2006 portant organisation et fonctionnement de la cour suprême et se déroule exactement comme devant toute juridiction c’est-à-dire qu’elle
commence par l’enregistrement des dossiers reçus qui doivent immédiatement
multipliés en quatre exemplaires1. Ces exemplaires sont communiqués au président
de la commission qui les distribue aux membres de la collégialité et au ministère
public2. Les autres exemplaires sont mis à la disposition des parties et de leurs
conseils. Ensuite, comme devant toute juridiction, les parties sont invitées à présenter un mémoire ampliatif3 dans un délai de 30 jours au secrétariat de la commission, par
une lettre de dépôt du dossier qui leur est signifié par voie d’huissier. Le mémoire
ampliatif, dûment timbré par feuillet doit articuler et développer les moyens de droit invoqués à l’appui de la requête, et si le mémoire n’est pas timbré, le secrétaire de la commission invite le conseil du demandeur, par lettre signifiée par voie d’huissier, à le
régulariser dans un délai de quinze (15) jours, à peine d’irrecevabilité de la demande4.
Étant une exigence devant toute juridiction, le mémoire ampliatif doit être déposé en
autant d’exemplaire qu’il y a des parties plus cinq (5)5. Le secrétaire de la
commission dresse sur le champ un procès-verbal de dépôt et en délivre expédition sans frais au déposant, et conformément à l’alinéa 2 de l’article 54, le délai de dépôt du mémoire est prescrit à peine de déchéance sans préjudice, le cas échéant, de l’action en responsabilité pour faute professionnelle contre l’avocat défaillant. Dès la réception du mémoire ampliatif, le secrétaire de la commission doit le signifier par voie d’huissier au défendeur qui doit répondre par un mémoire en réponse dans un délai de trente (30) jours6. Le demandeur pourra à son tour répondre au défendeur par un mémoire en réplique qui pourra également y répondre par un autre mémoire7.
- Au-delà des difficultés de transposition8 de la procédure de la chambre
judiciaire de la cour suprême à la commission et de la question de l’assistance
obligatoire9 d’un avocat, cette gymnastique qui permet de mettre en état le dossier
devant la commission pourrait faire d’elle une véritable juridiction. Après la phase
d’instruction devant la commission, une autre phase non moins importante est
également prévue par la loi : c’est la phase du jugement.
2. La procédure de jugement suivie devant la commission
- Après la mise en état du dossier devant la commission, il n’y a plus qu’une autre étape de type juridictionnel qui doit y succéder à savoir la phase de jugement. Cette phase devant la commission doit être menée conformément aux articles 65 à 71
de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation et fonctionnement de
la cour suprême. Devant la commission se tient une audience au cours de laquelle les parties et le ministère public développent leurs arguments à l’appui de leurs mémoires et conclusions10. Sous le contrôle vigilant du président, la collégialité des membres de la commission doit délibérer après les différentes interventions des protagonistes du
procès11. La phase de délibération poursuit en quelque sorte le débat au sein du
collège des juges12 c’est-à-dire les membres de la commission. Le délibéré reproduit en secret et en résumé le débat contradictoire qui a eu lieu en audience avec les parties
en litige. La collégialité apporte un surcroit de délibération dont le jugement peut
porter la trace s’il s’accompagne d’opinions dissidentes13. C’est après la phase des délibérés que le jugement est rendu par tous les juges.
- Toutefois, le renvoi peut être accordé si la collégialité des juges l’estime
utile14. Il est aussi possible lorsque tout membre de la collégialité qui, avant
l’audience n’a eu communication ni du rapport ni des conclusions du procureur
général et qui demande d’en prendre connaissance15. Les décisions de la commission sont rendues à la majorité simple des membres16 et, en cas de partage des voix, celle du président devrait être prépondérante comme nous l’avons suggéré plus haut17. Il faut néanmoins remarquer que la commission n’est soumise à aucun délai pour rendre sa décision. Le législateur devrait intervenir dans ce sens pour cantonner les pouvoirs de la commission à des délais afin d’éviter des abus regrettables18.
- Comme on peut le remarquer, les différentes phases de l’instance devant la commission sont celles d’une instance juridictionnelle. La nature juridictionnelle de
cette instance est encore plus visible lorsque les décisions de la commission, une fois rendues, peuvent faire l’objet de voies de recours tout aussi juridictionnels.
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1 Cf. l’art. 51 de la loi de 2006/016 : « (1) Dès réception de l’expédition du procès-verbal visée à l’article 47 ci-dessus, le Greffier en Chef ouvre un dossier. (2) Le dossier de procédure est enregistré dès réception par le Greffier en Chef. Il communique quatre exemplaires au Président de la Chambre qui les distribue aux membres de la collégialité et au Ministère Public. Les autres exemplaires sont mis par le Greffier en Chef à la disposition des parties ou de leurs conseils ». ↑
2 Il faut préciser ici que les quatre (4) exemplaires mentionnés par la loi ne sont qu’indicatifs puisque la collégialité de la commission n’est pas composée de trois (3) juges, mais plus. Les exemplaires seront alors neuf (9) ou onze (11) en fonction de la composition de la commission. ↑
3 Cf. art. 53 à 55 de la loi de 2006/016 ↑
4 Art. 53 al. 3 de la loi de 2006/016 ↑
5 Art. 54 al. 1 de la loi de 2006/016 ↑
6 Art. 56 de la loi de 2006/016 ↑
7 Art. 57 al. 2 de la loi de 2006/016 ↑
8 Il est compliqué voire impossible de pouvoir transposer les règles régissant un pourvoi pour les appliquer à une instance qui statue en premier ressort à l’exemple de la commission. ↑
9 La procédure applicable devant la commission est celle applicable devant la chambre judiciaire de la cour suprême. Or, devant cette chambre et devant la cour suprême en général, la constitution d’un avocat est obligatoire à peine d’irrecevabilité de la demande. Pourrait-on conclure alors que l’assistance d’un avocat est aussi obligatoire devant la commission ? Une réponse affirmative à cette question ne peut être compatible avec l’objectif recherché par l’institution de la commission que si la question de l’assistance judiciaire des victimes est résolue. À notre sens, cette assistance devrait être systématique au regard leur fragilité survenue du fait de l’incarcération indue. ↑
10 Art. 65 al. 1 de la loi de 2006/016 ↑
11 Art. 65 al. 2 a de la loi de 2006/016 ↑
12 SALAS (D.), « Procès » in ALLAND (D.) et RIALS (S.) (S/D), Dictionnaire de la culture juridique, op. cit., p. 1241 ↑
13 SALAS (D.), ibid., p. 1241. L’article 9 alinéa 3 de la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant organisation judiciaire du Cameroun prévoit que « les magistrats minoritaires peuvent exprimés, par écrit, leur opinion et la consigner au dossier de la procédure ». ↑
14 Cf. Art. 65 al. 2 de la loi de 2006/016 ↑
15 Cf. Art. 65 al. 2 (b) de la loi de 2006/016 ↑
16 Art. 66 de la loi de 2006/016 ↑
17 V. supra n° 28 ↑
18 Sur la question de l’importance du temps par rapport à la prise des décisions de justice, une excellente étude a été menée dans ce sens par un maître. V. dans ce sens NKOU MVONDO (P.), « Le juge et le temps dans le procès pénal » in C.J.P., revue FSJP, Université de Ngaoundéré, n° spécial : Le juge et le droit, 2014, pp. 145 et s. ↑