Les conflits électoraux en Côte d’Ivoire sont souvent exacerbés par des délais prolongés dans la proclamation des résultats. Cet article propose des stratégies pour la Commission Électorale Indépendante (CEI) afin d’accélérer ce processus et ainsi prévenir les tensions électorales.
LES DÉCLENCHEURS ET LA MANIFESTATION DES CONFLITS ÉLECTORAUX1
Selon une étude menée par le bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (Comprendre la violence électorale pour mieux la prévenir, 2017), la violence électorale est déclenchée pendant la période électorale quand des parties en position de force ou de faiblesse constatent que l’autre partie établit de manière unilatérale les règles du jeu électoral qui la favorisent.
Les sujets sur lesquels ce déclenchement est plus rapide restent : la mise en place du fichier électoral, la mise en place de l’administration électorale et les résultats électoraux. La violence électorale se manifeste par des actes tels que : la violation du cadre juridique ; les paroles blessantes ou indécentes ; les assassinats ; les coups et blessures entre supporters rivaux ; l’intimidation des adversaires, des électeurs ou des agents électoraux ; le bourrage des urnes ; l’exclusion de communautés.
Les actes de violence peuvent donc être ciblés contre : des personnes, qu’il s’agisse d’individus, de communautés ou même de candidats ; des matériels en l’occurrence, le matériel de campagne, les véhicules, les bureaux, les bureaux de vote, … Il existe donc entre autres : la violence électorale verbale et symbolique, la violence électorale psychologique, la violence électorale physique et la violence électorale structurelle ou institutionnelle.
Dans l’un ou l’autre des cas, les électeurs peuvent être empêchés de participer au vote, contraints de choisir un candidat contre leur gré. Le résultat est que les élections seront soit perturbées soit annulées d’emblée.
Dans l’ensemble, toute forme de violence qui, à n’importe quelle étape du cycle électoral, résulte de différences de points de vue, d’opinions et de pratiques peut se percevoir comme violence électorale.
APPROCHE POUR LA PRÉVENTION LA VIOLENCE ÉLECTORALE
Le rapport des sages de l’Union Africaine (les conflits et la violence politique résultants des élections, 2012) souligne que depuis la fin des années 1990, la dynamique en faveur des réformes constitutionnelles et électorales trouve sa source dans la volonté répandue des populations pour la mise en place de structures pour assurer l’équilibre de toute compétition politique, pour lutter contre les divisions ethniques et régionalistes et pour améliorer la transparence, la prévisibilité et l’impartialité de la gouvernance et de l’administration des élections.
Certaines réformes constitutionnelles prévoient des changements dans les systèmes électoraux pour atténuer les systèmes selon lesquels le vainqueur rafle toute la mise, privant ainsi certains partis de représentativité électorale. D’autres réformes ont permis de renforcer l’indépendance et l’efficacité des Organismes de Gestion des Elections (OGE), les dotant ainsi de capacités et d’autonomie pour en faire des acteurs impartiaux.
La priorité accordée à la gestion impartiale et efficace des élections découle essentiellement du fait que les populations déçues par les résultats des élections sont toujours susceptibles de contester les résultats électoraux par des moyens violents. Par ailleurs, pour apaiser la violence électorale et accroître la confiance mutuelle, certaines réformes clés en Afrique ont prévu l’élaboration de codes de bonne conduite pour régir la compétition entre les partis.
Lorsque des partis politiques ont eu recours à la violence et à des manœuvres d’intimidation à des fins partisanes, les codes de bonne conduite les obligent à respecter un ensemble de principes fondamentaux et de normes civiques.
Au-delà des changements visant à améliorer la qualité de la gestion des élections afin de réduire la violence et les conflits, les pays africains ont entrepris des changements constitutionnels fondamentaux pour créer des conditions offrant des chances égales à tous. Entre autres, il s’agit : de lever les interdictions relatives à la formation de partis politiques ; d’assurer un financement équitable des partis politiques ; de mener des réformes pour réduire la mainmise du parti au pouvoir sur l’information et de permettre un accès égal des partis aux principaux organes de presse ; de permettre à la société civile et à d’autres parties prenantes de donner leur point de vue sur les questions politiques ; et de renforcer les capacités du pouvoir judiciaire à statuer sur les différends électoraux.2
La prévention de la violence électorale peut être considérée comme une stratégie à la fois à court et à moyen terme. Sur le long terme, cette stratégie devrait se concentrer sur la réduction des inégalités réelles ou perçues au sein de la population, le renforcement de l’état de droit, notamment en contribuant à garantir le fonctionnement d’institutions démocratiques indépendantes, un système efficace de contre-pouvoirs (par le renforcement du rôle et des capacités des pouvoirs législatif et judiciaire par exemple), une saine gestion des finances publiques, la transparence dans la prise de décisions, la lutte contre le clientélisme et la corruption, etc. Il s’agit d’un travail classique de développement des institutions qui ne peut être efficace que s’il est mené selon une stratégie claire, bénéficiant d’un soutien aux niveaux national et international.
Pour le court et le moyen terme, les gouvernements nationaux ont mis en place, parfois avec l’appui de la communauté internationale, une large panoplie de stratégies visant généralement à promouvoir le dialogue et le règlement des conflits au niveau local, y compris des forums de prévention qui associeraient l’ensemble des acteurs, des représentants des partis politiques aux administrations et services de sécurité nationaux, ainsi que la société civile et les organisations religieuses. À un échelon plus haut encore, des groupes ad hoc de médiateurs de haut niveau ont également été mis en place par la communauté internationale, y compris les organisations régionales, en tant qu’instrument visant à combattre ou à prévenir les violences en général.
Pour prévenir la violence électorale, il faut procéder à un décloisonnement entre les parties prenantes et mettre en place une coopération étroite entre les différents acteurs, y compris les Organismes de Gestion Electorale et, entre autres, les entités nationales chargées de l’application des lois et de la sécurité au sens large.
Des processus électoraux crédibles sont essentiels à la légitimité des gouvernements nationaux et locaux. S’ils connaissent une issue heureuse, les processus électoraux offrent les moyens de canaliser les conflits sociaux au moyen d’un débat respectueux et constructif. Ils donnent aux citoyens l’occasion d’exprimer leurs préférences et d’élire leurs représentants. Les élections peuvent offrir une méthode sûre, prévisible et fondée sur des règles pour arbitrer les conflits politiques et sociaux au moyen de la sélection de représentants et avaliser ainsi, par la légitimité que procure le consentement populaire, les programmes et les politiques.3
Pour les Nations Unis, la prévention de la violence électorale invite sans doute à travailler sur les périodes de son expression, c’est-à-dire : avant, pendant et après les élections (Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, Comprendre la violence électorale pour mieux la prévenir, 2017)4.
Avant les élections, il s’agit d’instaurer la confiance entre toutes les parties prenantes, pour l’établissement des règles de la compétition, autrement du cadre juridique et légal, qui garantit l’intégrité du processus électoral. Les actions à mener pendant cette phase incluent aussi la mise en place consensuelle de l’organe qui sera chargée d’organiser le scrutin. L’administration électorale, comprenant peu ou pas d’acteurs politiques, doit offrir à toutes les parties engagées le gage d’une compétition saine, équitable et juste. La mise en place consensuelle de la liste électorale, la production en toute transparence et la distribution effective des cartes d’électeurs permettent aussi d’éteindre de potentielles sources de conflits.
Pendant la période électorale qui court depuis les campagnes électorales jusqu’à la proclamation des résultats, la transparence est requise pour toutes les opérations électorales qui sont menées. L’administration électorale a une grande responsabilité dans cette mission qui l’incombe d’ailleurs en premier. Elle devrait non seulement prendre ses décisions après concertations avec les parties, mais devrait aussi les publier en temps opportun.
Aussi, elle doit s’assurer que les résultats détaillés des élections soient rapidement affichés, publiés du niveau le plus bas de la chaine électorale (bureau de vote) jusqu’au niveau le plus élevé (la circonscription électorale qui peut être, selon la circonstance le quartier de ville, la commune, le département ou le pays entier).
De façon pratique, des mesures de protection contre la fraude le jour de l’élection qui aident à réduire le potentiel de violence comprennent le maintien du secret du vote, la numérotation des bulletins de vote et la manipulation sécurisée du matériel électoral.
Après la proclamation des résultats, vient la gestion de la période post-électorale. Elle est un peu plus délicate dans le cas de la contestation des résultats, par l’une ou l’autre des parties. Cette phase exige une impartialité du système judiciaire qui a la plus grande responsabilité. En effet, lorsque s’ouvre le contentieux électoral, l’institution chargée de trancher les différends ne doit prendre, ni donner l’impression de prendre, fait et cause pour l’une ou l’autre des parties.
Après l’inventaire de ses différentes actions qui sont propres à chaque phase du scrutin pour prévenir la violence électorale, il faut souligner qu’il y a d’autres dont l’accomplissement ne doit pas se limiter à une phase du processus. Leur intérêt est capital et elles demeurent transversales. Il est en effet question : d’évaluer la présence et la gravité des problèmes et griefs politiques et sociaux de longue date ; réfléchir et mettre en œuvre des politiques de résolution de ces différends ; d’améliorer le processus électoral pour plus de transparence ; de travailler pour créer et entretenir la confiance. Les partis politiques et les institutions de la République se doivent aussi d’éduquer les populations et surtout les potentiels électeurs aux bonnes pratiques électorales.
________________________
1 Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel « Comprendre la violence électorale pour mieux la prévenir », unowas magazine, Novembre 2017 n0 5 p 8-9. ↑
2 Groupe des Sages de l’Union africaine, « Les conflits et la violence politique résultant des élections. Consolider le rôle de l’Union africaine dans la prévention, la gestion et le règlement des conflits », La série de l’Union africaine, New York : International Peace Institute, décembre 2012, 120 p. ↑
3 Parlement Européen : Conférence de haut niveau sur l’avenir de l’observation électorale internationale, Brussels 10-11 octobre 2018, Note d’information organisation des élections, prévention des conflits / sécurité et transition pacifique, Parlement Européen, 2018, mercredi 6 mars 2014, disponible sur https://www.europarl.europa.eu/intcoop/deac/hlc/FINAL_FR_Background%20paper_conflict.pdf. ↑
4 Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, « Comprendre la violence électorale pour mieux la prévenir », 2017, unowas.unmissions.org, disponible sur https://unowas.unmissions.org/fr/comprendre-la-violence-%C3%A9lectorale-pour-mieux-la- pr%C3%A9venir. ↑