La prévention des conflits électoraux est cruciale en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire. Cet article analyse les délais d’attente des résultats électoraux et propose des stratégies pour optimiser le processus de la Commission Électorale Indépendante (CEI), réduisant ainsi les tensions post-électorales.
PROBLEMATIQUE
- PROBLÈME DE RECHERCHE
Les élections constituent le critère principal caractérisant la démocratie représentative. Elles permettent au peuple de régulièrement choisir ses dirigeants et leurs programmes politiques.
Le début des années 1990 a été marqué en Afrique par une vague de démocratisation et par l’universalisation du discours démocratique, entraînant la réintroduction du multipartisme et des élections concurrentielles dans la plupart des pays du continent africain au sud du Sahara (Vincent Darracq, Victor Magnani, 2011)1. Les élections sont alors devenues un élément central de la participation populaire au processus de gouvernance démocratique.
En même temps, les élections ont engendré des conflits et de la violence, allant même parfois jusqu’à menacer l’ordre social, le développement économique et les efforts visant à consolider l’intégration régionale (Rapport du groupe des sages de l’UA, 2012)2.
Beaucoup d’analystes s’accordent à souligner que les causes lointaines de la violence électorale sont souvent à rechercher dans les situations de crises peu, mal ou non gérées. Elle est plus fréquente dans les pays qui sortent d’une instabilité politique, d’une guerre civile ou d’un coup d’Etat. Les élections dans de tels contextes viennent raidir les positions des acteurs précédemment en conflit qui trouvent en la violence le seul outil pour s’exprimer. Il faut aussi noter que ces violences électorales s’expriment davantage dans un contexte :
- de transition démocratique ou de désarmement et de démobilisation suite à une guerre civile ;
- de manipulation réelle ou perçue des élections ;
- d’enjeux importants qui met en présence des ethnies, des clans, des puissances économiques en plus des acteurs politiques ;
- d’un écart non important entre les candidats ;
- d’un cadre juridique peu clair ou contesté ;
- des organes de gestion partisans ;
- du manque de transparence, y compris à propos des données électorales, de preuve ou perception de fraude lors du processus électoral ;
- d’un système uninominal majoritaire à un tour, d’exclusion de communautés spécifiques pendant le processus électoral3.
Diabacte, T. Ali (1997)4 dans sa publication dénommée « Les conflits électoraux, origines, types et manifestations » présente les caractéristiques des causes des conflits électoraux comme étant le legs de l’ordre ancien du parti unique et la gestation d’un ordre nouveau. Ainsi, le climat électoral est-il d’une part entaché de suspicion généralisée, d’ambitions personnelles, de mobilisations tribales ou régionales, de confrontations idéologiques ou partisanes, de haine et d’esprit de vengeance, et d’autre part, on est en présence de forces politiques profondément antagonistes.
Procédant à une typologie des conflits électoraux, l’auteur distingue, dans la période préélectorale des conflits idéologiques (ethniques, religieux, économiques), juridiques et institutionnels. Le jour du scrutin, les sources de conflits sont l’irrégularité et la fraude. La période post-électorale se caractérise souvent par les phénomènes du contentieux électoral et du contentieux politique. La géopolitique, la lutte d’intérêts des grandes puissances, est également une source non négligeable de conflits électoraux en Afrique.
Le Ghana présenté jusqu’ici comme un modèle de démocratie a connu à l’élection du président de la république en 2020 des violences électorales suite à l’auto-proclamation des candidats en tête des scores, malgré le fait que les deux candidats aient été liés par un pacte de paix signé quelques jours avant le scrutin, la police ghanéenne a annoncé, dans un communiqué publié sur son compte twitter que cinq personnes ont été tuées par balles et dix-sept autres blessées dans des violences liées aux élections générales du lundi 07 décembre 2020. L’ex-président John Mahamat a affirmé trois fois de suite avant la publication officielle des résultats qu’il avait gagné ce scrutin dès le premier tour et averti que toute tentative de la Commission électorale de « transformer leur victoire éventuelle en défaite entraînerait de graves conséquences ». De son côté le président sortant Nana Addo Dankwa Akufo-Addo qui réclamait aussi cette victoire avant l’annonce officielle de sa réélection avait appelé ses militants au calme5.
En Guinée en 2020, selon le site du journal Le Monde6, le président guinéen sortant, Alpha Condé, a gagné la présidentielle avec 59,49 % des voix alors que son principal opposant, Cellou Dalein Diallo, qui s’était proclamé vainqueur de l’élection présidentielle avant la publication des résultats, a obtenu 33,5 % des suffrages, selon la commission électorale. Nous pouvons lire sur le site de la radio France internationale7, que Cellou Dalein Diallo se fondant sur les données remontées par ses partisans envoyés dans les bureaux de vote pour ne pas s’en remettre à la commission électorale et à la Cour constitutionnelle, inféodées au pouvoir selon lui, a revendiqué 53 % des suffrages.
S’agissant de la Côte d’Ivoire, à l’élection du président de la république en 2010, le président de la CEI, monsieur Yousouf BAKAYOKO proclame les résultats provisoires, hors du délai règlementaire donné par la loi électorale et donne vainqueur monsieur Alassane OUATTARA. De son côté, le Conseil constitutionnel, s’étant saisi du dossier puisque la CEI était hors délai proclame Laurent Gbagbo vainqueur de l’élection8. Quant à Monsieur Choi Young-jin (2015), représentant du Secrétaire Général des Nations Unies à Abidjan, certifie ses propres résultats et déclare Alassane Ouattara vainqueur9. En mars 2021, lors de l’élection législative, le temps mis par la Commission Electorale Indépendante (CEI) pour proclamer les résultats de certaines circonscriptions comme Abobo, Yopougon et Agboville a créé une suspicion de fraude au niveau des partisans des candidats de l’opposition, alors que la durée réglementaire de cinq (5) jours10 n’avait pas encore été épuisée.
Au cours d’une pré-enquête auprès de certains agents de terrains dans le cadre de ce « projet » notamment des agents des bureaux de vote, des membres des Commissions Electorales Locales, des Agents Techniques d’Appui et des Chefs d’Antenne Régionale ont permis de mettre en évidence certains problèmes soulignés qui reviennent régulièrement d’une élection à l’autre et qui peuvent être regroupés en quatre séries de problèmes :
- les facteurs externes et les risques identifiés ne sont pas pris en compte;
- le long temps que mettent les agents des bureaux de vote pour arriver dans les Commissions Electorales Sous-Préfectorales ou les Commissions Electorales Communales (CESP/CEC) a une influence négative sur les délais dans la proclamation des résultats ;
- l’organisation des Commissions Electorales Sous-Préfectorales ou Communales (CESP/CEC) est un facteur principal de la production des résultats et lorsqu’elle n’est pas maitrisée la production des résultats est allongée ;
- la défaillance de la coordination des Commissions Electorales Départementales influence aussi négativement la durée de proclamation des résultats.
Si l’on attribue les causses des conflits aux phénomènes sociaux, il est donné d’observer que dans certains pays où les résultats sont « serrés » la période d’attente des résultats a été une aubaine pour des candidats de s’auto-proclamés vainqueurs. Ainsi, le problème de recherche qui découle de cette situation décrite concerne les longs délais d’attente des résultats des élections à travers le cas de la CEI en Côte d’Ivoire
En définitive, les élections n’en sont pas moins des processus compétitifs pouvant provoquer des conflits qui, s’ils ne sont pas gérés de manière constructive, peuvent potentiellement déstabiliser les États et les sociétés.
- QUESTIONS DE RECHERCHE
Question principale :
- Que faire pour prévenir les conflits électoraux ?
La question principale se décline en trois questions secondaires formulées comme suit :
- Quels sont les facteurs à prendre en compte dans la production à temps des résultats électoraux par la CEI en Côte d’Ivoire ?
- Quels sont les moyens (humains, matériels, logistiques et financiers) efficients à la production des résultats ?
- Quelle est l’organisation adaptée à la production efficace des résultats ?
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1 Vincent Darracq et Victor Magnani « Les élections en Afrique : un mirage démocratique ? » Politique étrangère, 2011/4 Hiver, Pages 839 à 850. ↑
2 International Peace Institute, Les conflits et la violence politique résultant des élections, Consolider le rôle de l’Union africaine dans la prévention, la gestion et le règlement des conflits, rapport du groupe des sages de l’UA, New York, International Peace Institute, 2012, 120 p. ↑
3 Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, « Comprendre la violence électorale pour mieux la prévenir », 2017, unowas.unmissions.org, disponible sur https://unowas.unmissions.org/fr/comprendre-la-violence-%C3%A9lectorale-pour-mieux-la- pr%C3%A9venir. ↑
4 Diabacte, T. Ali « Les conflits électoraux, origines, types et manifestations », Démocraties africaines, 1997, n0 12, p 55-60. ↑
5 Fatma Bendhaou, « Un bilan consécutif à des affrontements entre civils et forces de sécurité », Agence Anadolu, 2020, vendredi 2 février 2024, disponible sur https://www.aa.com.tr/fr/afrique/ghana-cinq-morts-et-17-bless%C3%A9s-dans-des-violences-li%C3%A9es- aux-%C3%A9lections/2071571. ↑
6 Le Monde, « Alpha Condé proclamé vainqueur de l’élection présidentielle en Guinée », Le Monde. Afrique, 2020, vendredi 2 février 2024, disponible surhttps://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/24/alpha-conde-proclame-vainqueur-de-l-election-presidentielle-en- guinee_6057256_3212.html. ↑
7 Antoine FENAUX, «Présidentielle en Guinée : Alpha Condé réélu avec 59,5 % des voix » France 24 Afrique, 2020, vendredi 2 février 2024, disponible sur https://www.france24.com/fr/afrique/20201024-pr%C3%A9sidentielle-en-guin%C3%A9e-alpha-cond%C3%A9- r%C3%A9%C3%A9lu-avec-59-5-des-voix. ↑
8 Laurent Bigot, « Côte d’Ivoire : mais qui a gagné la présidentielle de 2010 ? », Le Monde. Afrique, 2016, mercredi 6 mars 2014, disponible sur https://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/27/cote-d-ivoire-mais-qui-a-gagne-la-presidentielle-de- 2010_4927642_3212.html. ↑
9 Young Jin Choi : Au cœur de la crise ivoirienne, Nouveau Monde Eds, février 2012. ↑
10 Code électoral ARTICLE 59 nouveau LOI N° 2000-514 DU 1ER AOUT 2000 portant code électoral telle que modifiée par les lois n°2012-1130 du 13 décembre 2012, n°2012-1193 du 27 décembre 2012 et n°2015-216 du 02 avril 2015. Disponible sur https://www.gouv.ci/doc/accords/1445602507Code_electoral_nouveau_du_15_avril_2015.pdf. ↑