La valeur du capital intellectuel est cruciale dans l’économie numérique actuelle, où les nouvelles technologies redéfinissent les métiers de l’expert-comptable. Cette recherche met en lumière comment ces transformations créent des opportunités inédites et soulignent l’importance d’une adaptation proactive pour rester compétitif.
Sous-Section 2 :
Développement de critères de gestion et de mesure du capital intellectuel et des autres actifs immatériels
Dans cette sous-section, nous discuterons respectivement du contexte et de la problématique de ces critères (§1), de la position des normes comptables en vigueur (§2) et des opportunités de services professionnels offertes par ces critères (§3).
§1. Contexte et problématique
Le capital intellectuel est tout aussi essentiel pour la nouvelle économie axée sur le savoir que ne l’étaient les ressources financières et les biens corporels pour l’économie « traditionnelle » axée sur la fabrication. Au niveau de l’entreprise, l’innovation a pris la place de la production massive en tant que première source d’avantage concurrentiel.
Face à l’insoutenable concurrence mondiale induite par la déréglementation et le développement des technologies de l’information et de la communication, l’entreprise du 21ème siècle doit innover pour survivre. Mais le développement de l’innovation au sein de l’entreprise requiert un investissement considérable dans l’immatériel : recherche et développement, stratégies de communication, formation, etc.
Or, à l’inverse des ressources matérielles, les biens incorporels ne sont généralement pas pris en compte dans le bilan. On leur attribue la différence entre les valeurs boursière et comptable de l’entreprise. Par son manque de précision, cette approche favorise la volatilité des cours boursiers.
Mais, peut-on être sûr que la valeur obtenue par capitalisation des biens incorporels sera plus précise que les mesures actuelles de la valeur de l’entreprise ? La réponse est loin d’être évidente surtout que la difficulté inhérente à la mesure des éléments incorporels est parmi les causes principales de leur non prise en compte à l’actif du bilan.
Doit-on capitaliser les éléments incorporels créés au sein de l’entreprise ? Au delà du problème purement comptable, comment informer le marché sur le patrimoine intellectuel et la capacité d’innovation de la firme ? Quels sont les meilleurs indicateurs de ce patrimoine et de cette capacité ? Comment mesurer et rendre compte de ces indicateurs ?…Autant de questions auxquelles une littérature abondante essaie aujourd’hui d’apporter des réponses.
§2. La position des normes comptables en vigueur
L’importance accrue des biens incorporels est l’une des principales caractéristiques de la nouvelle économie. Pourtant, et à quelques exceptions près, les normes comptables en vigueur s’accordent pour ne prendre en compte les immobilisations incorporelles que lorsqu’elles sont acquises auprès de tiers.
La norme comptable tunisienne relative aux immobilisations incorporelles NCT 06 prévoit concernant les éléments développés en interne la prise en compte à l’actif du bilan uniquement pour les logiciels et les dépenses de recherche et développement aboutissant au dépôt d’un brevet, d’une marque ou d’un droit similaire protégé par la réglementation en vigueur.
Le rapport publié par le FASB en avril 2001 intitulé « Business and Financial Reporting, Challenges from the New Economy » consacre son 4ème chapitre à l’étude des obstacles d’ordre conceptuel et pratique à la mesure et la prise en compte des immobilisations incorporelles créées au sein de l’entreprise.
Ce chapitre focalise sur trois normes traitant les immobilisations incorporelles : la FASB 2 traitant les dépenses de recherche et développement, la FASB 86 traitant les dépenses de développement de software et l’IAS 38 Immobilisations incorporelles.
Procédant à une analyse critique de ces normes par rapport aux cadres conceptuels du FASB et de l’IASB (ex IASC), les auteurs du rapport tirent les principales conclusions ci-après :
- Aucun fondement conceptuel dans la définition d’un actif ne justifie l’application de règles de prise en compte différentes aux biens incorporels acquis à l’extérieur de l’entreprise et aux mêmes biens créés au sein de l’entreprise (à condition que ces derniers obéissent au critère de la mesure fiable).
- Le contrôle par l’entreprise est une caractéristique primordiale de tout actif. Ce critère ne permet pas à certains éléments incorporels de satisfaire la définition d’un actif ; par exemple la satisfaction des clients. En revanche, il ne s’oppose pas à la prise en compte d’autres éléments tels que les listes des clients. De même, le critère de contrôle n’élimine pas l’effet que certains éléments non reconnus (la satisfaction des clients) peuvent avoir sur la valeur d’autres éléments respectant la définition d’un actif (portefeuille clients).
- Deux types de décalage freinent toutes les tentatives visant la prise en compte des biens incorporels créés dans les états financiers :
- Le décalage temporel: les dépenses et les efforts visant la création d’un actif incorporel interviennent souvent longtemps avant que sa capacité à générer des avantages économiques futurs ne soit démontrée.
- La non corrélation: plusieurs théoriciens soutiennent que la corrélation entre les coûts encourus et la valeur des avantages futurs qu’ils disent évidente pour les biens corporels n’existe pas pour les éléments incorporels.
Mais reconnaître cette non corrélation risque de nous mener à l’impasse. D’un coté, ce décalage rend impertinente toute mesure basée sur le coût. D’un autre coté, les mesures autres que celles se basant sur le coût sont peu fiables. Faut-il alors abandonner toute tentative de prise en compte des biens incorporels créés au sein de l’entreprise ?
§3. Les opportunités de services professionnels
Dans le cadre des efforts de la profession visant à « refaçonner la comptabilité en fonction de l’ère du savoir et du nouveau millénaire »1, chaque praticien pourra enrichir le reporting de ses clients par des indicateurs du capital savoir de l’entreprise, du potentiel de recherche et développement, de la capacité d’innovation, etc.
L’évaluation du capital intellectuel peut se faire à l’aide de divers indices :
- valeur ajoutée par employé,
- valeur ajoutée par rapport à la masse salariale,
- formation, certification et bilan de compétence,
- réputation des employés de l’entreprise auprès des chasseurs de têtes,
- nombre de brevets et coût de leur maintenance,
- chiffre d’affaires par rapport aux dépenses de recherche et de développement,..etc.
Les indicateurs listés ci-dessus ne sont que des exemples. Certaines entreprises qui ont élaboré une gestion du capital intellectuel classent les indicateurs en cinq catégories :
- la perspective financière (exemple : valeur ajoutée par employé) ;
- la perspective client (exemple : part de marché) ;
- la perspective processus (exemple : performance qualité) ;
- la perspective renouvellement et développement de la capacité d’innovation (exemple : dépenses de formation par employé) ;
- la perspective humaine (exemple : rotation du personnel).
Dans ce cadre, l’ICCA s’attache depuis quelques années à mettre sur pied un service intitulé « capital intellectuel » qui consisterait à évaluer le capital intellectuel d’une entité au regard de critères convenus ; et à fournir une assurance sur l’évaluation. Le développement des « critères convenus » est coordonné avec l’IMPC (initiative liée aux mesures de la performance au Canada).
Par ailleurs, l’intervention de l’expert-comptable peut porter sur la conception et la mise en place d’un processus de création et de capitalisation des connaissances ou sur la certification de l’efficacité d’un tel processus déjà en place.
Enfin, nous tenons à signaler que, plus que la présentation de nouveaux services professionnels, ce qui nous a intéressés dans cette section était l’explication des fondements des thèses nouvelles en matière d’expertise prônant un reporting élargi de l’entreprise. En effet, les quelques services recensés dans ce domaine étant en cours de développement, ils ne se démarquent que partiellement des travaux académiques.
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1 Beverley BRENNAN, ex Présidente du Conseil de l’ICCA, dans une allocution prononcée au forum de l’OCDE sur la stratégie et la politique. Amsterdam. Juin 1999. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelle est l’importance du capital intellectuel dans la nouvelle économie?
Le capital intellectuel est essentiel pour la nouvelle économie axée sur le savoir, tout comme les ressources financières l’étaient pour l’économie traditionnelle axée sur la fabrication.
Comment les normes comptables actuelles traitent-elles les immobilisations incorporelles?
Les normes comptables en vigueur ne prennent en compte les immobilisations incorporelles que lorsqu’elles sont acquises auprès de tiers, avec des exceptions pour certains éléments développés en interne.
Quels défis sont associés à la mesure des éléments incorporels?
La difficulté inhérente à la mesure des éléments incorporels est l’une des principales causes de leur non prise en compte à l’actif du bilan.