Les stratégies d’implémentation en communication révèlent des mécanismes de défense socioculturelle souvent méconnus dans le contexte congolais. Cette recherche innovante offre des perspectives cruciales sur la communication interculturelle, transformant notre compréhension des dynamiques ethniques et discriminatoires.
Chapitre VI : ANALYSE DES MECANISMES DISCRIMINATOIRES ET ETHNIQUES A TRAVERS LES COMMUNICATIONS GENERALISEES ET CONTEXTUELLES
Après avoir analysé précédemment les éléments communicatifs des mécanismes psychiques de base et situationnels, il nous reste à présent d’examiner les mécanismes discriminatoires et ethniques.
Notons que chaque analyse se fait par trois étapes : la description de cas en fonction des réactions des enquêtés par rapport à la thématique développée, l’identification des éléments communicationnels pertinents (généralisés et contextuels) à l’aide du tableau panoramique et la conclusion partielle en termes de constats.
Section 1 :
Analyse qualitative des éléments communicationnels des mécanismes discriminatoires
Notre premier paragraphe traite de cinq mécanismes discriminatoires ci-après : l’agentisation (discrimination liée à la position sociale), la déroutinisation, l’appartenance communautaire, la remise en cause de l’autorité et la scotomisation.
I. Communications généralisées et contextualités situationnelles de l’« agentisation »
A. Description de cas
Pour comprendre comment les acteurs sociaux congolais produisent : l’« agentisation » dans un contexte multiculturel, les sujets enquêtés ont été appelés à tour de rôle à discuter autour du thème ci-après : « Votre province dispose plus de personnes compétentes que d’autres dans les domaines variés (économique, politique, éducatif, …) ».
Les données recueillies de ces échanges peuvent être résumées comme suit454 :
- Bandundu : Souvent le Bandundu est toujours considéré comme la province la moins civilisée. Suite à cette situation, ses ressortissants sont devenus de plus en plus conscients et veulent prendre leur destin en main en assurant une scolarisation massive et en participant dans des institutions politiques du pays. Aujourd’hui, la province compte des professeurs d’université et quelques autorités politiques. Malheureusement, ces derniers ne pensent plus à leur province.
- Bas-Congo : Très souvent les Bakongo estiment qu’ils occupent une position stratégique dans ce pays ; la preuve est que le premier président de ce pays fut un des leurs. Devant des étrangers, les Bakongo n’ont pas besoin de connaître leurs origines, ils les accueillent sans problème.
- Equateur : Jamais les originaires n’estiment qu’ils disposent de beaucoup d’hommes compétents par rapport à d’autres provinces. Plutôt, ils se considèrent comme tout le monde. Ils ne sont pas trop prétentieux. Lorsque l’on se compare aux autres, on se rend compte que les Bakongo sont plus intelligents que nous puisque la majorité d’eux a étudié, ce qui n’est pas le cas chez nous. La seule ethnie qui compte beaucoup d’intellectuels est celle des Mongo.
- Kasaï Occidental : Très souvent il nous arrive de croire que nous comptons parmi les provinces qui regorgent de beaucoup de personnes compétentes. Dans le gouvernement ou dans les autres institutions politiques, les Kasaïens sont présents, c’est le cas de nombreux hommes politiques (Etienne Tshisekedi Wa Mulumba, Boshap et beaucoup de députés). Nous sommes contents de les voir, car ils font notre fierté. En revanche, les Kinois sont des négligents et des moqueurs, la preuve est qu’on ne les trouve pas dans la vie politique de notre pays ; même dans les auditoires, ils passent leur temps à se moquer des autres.
- Kasaï Oriental : Jamais nous ne nous considérons plus compétents que tous les autres. Nous sommes malheureusement connus comme des orgueilleux, ce qui nous met en conflit avec les autres.
- Katanga : Souvent il nous arrive de cohabiter facilement avec les Kivussiens (du Nord et du Sud) et les Kasaïens parce qu’ils nous ressemblent. Ils sont très polis, gentils, ils ont le savoir- vivre et du respect pour les autres. Tandis que les Kinois sont toujours difficiles à supporter. Ils veulent toujours donner l’impression de tout savoir, même s’ils sont ignorants.
- Kinshasa : il nous arrive souvent de croire que dans toutes les provinces, nous avons des gens compétents bien qu’il se pose généralement un problème lié à la qualité de l’enseignement. Nous avons déjà vu des ressortissants d’autres provinces se distinguer dans différents domaines (études, profession, culture). En témoigne le prix Vodacom du meilleur musicien avait été remporté par un jeune talent de l’Est du pays, spécifiquement du Nord- Kivu.
- Maniema : Souvent nous avons l’impression que nous sommes plus studieux et sérieux dans la vie que les gens d’autres provinces. Nous aimons étudier pour lutter contre la guerre qui nous est imposée. A Kinshasa, par exemple, les gens ne se soucient pas de leurs études et les
intellectuels sont indifférents face à ce qui se passe chez nous (les guerres injustement imposées).
- Nord-Kivu : Très souvent les gens de chez nous sont plus compétents que ceux d’autres provinces par leur dévouement. Nous sommes très actifs dans le commerce et l’agriculture. Ce n’est que maintenant que nous commençons à nous intéresser à la politique.
- Province Orientale : Rarement il nous arrive de croire que notre province dispose de plus de personnes compétentes que d’autres provinces, car un bon nombre d’autochtones n’a pas étudié. Ce qui nous amène à être ouverts aux étrangers en leur souhaitant la bienvenue (karibu en Swahili »). Mais aussi chez nous, l’être humain a fondamentalement une valeur extraordinaire envers. Aussi faudrait-il lui manifester du respect qui se traduit en Swahili
« guetuku guwe ».
- Sud-Kivu : Souvent, il nous arrive de croire que nous comptons plus de personnes compétentes que d’autres provinces, du fait que parmi nous vivent des trafiquants d’or et d’autres matières précieuses, des agriculteurs, des hommes politiques à l’échelle nationale. De ce fait, nous sommes donc plus avancés que d’autres.
Toutes ces données sont analysées en termes d’éléments communicationnels (généralisés et contextuels) dans le paragraphe qui suit en fonction de « tableau panoramique de dépouillement » (voir le tableau n°08) et de la « grille d’analyse » (voir tableau n°09).
B. Analyse des éléments communicationnels (généralisés et contextuels)
Il s’agit ici de dégager les éléments de la communication généralisée et de la contextualité situationnelle à partir des discours (réactions) des sujets enquêtés décrits ci-haut. Le tableau panoramique n°27 résume les éléments de cette analyse.
Tableau n°27 : Tableau panoramique d’agentisation ou discrimination liée à la position sociale
Tableau panoramique d’agentisation ou discrimination liée à la position sociale | |
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Province | Position sociale perçue |
Bandundu | Considérée comme moins civilisée, mais développement récent de compétences |
Bas-Congo | Position stratégique, premier président, accueil facile des étrangers |
Equateur | Ne se considèrent pas plus compétents, modestie |
Kasaï Occidental | Beaucoup de personnes compétentes, présence politique forte |
Kasaï Oriental | Ne se considèrent pas plus compétents, réputation d’orgueilleux |
Katanga | Cohabitation facile avec certaines provinces, difficulté avec Kinois |
Kinshasa | Compétences dans toutes les provinces, problèmes d’enseignement |
Maniema | Plus studieux et sérieux, lutte contre la guerre |
Nord-Kivu | Plus compétents par dévouement, commerce et agriculture |
Province Orientale | Ouverture aux étrangers, respect fondamental de l’être humain |
Sud-Kivu | Plus de personnes compétentes, trafiquants, agriculteurs, politiques |
Il ressort du tableau n°27 les constats ci-après :
- six provinces pratiquent l’« agentisation » (soit 55 %), la « discrimination liée à la position sociale » ; il s’agit de : Bas-Congo, Kasaï Occidental, Katanga, Maniema, Nord-Kivu et Sud- Kivu. Ces provinces développent des valeurs négatives face aux autres culturels, notamment, le sentiment de rejet des autres, la méfiance et la tendance égocentrique. Outre ces attributs, les ressortissants de la province du Katanga se sont distingués par une forte tendance tribale vis-à-vis des personnes parlant la langue « Swahili » ;
- cinq provinces ne pratiquent pas ce mécanisme (soit 45 %), il s’agit de Bandundu, Equateur, Kasaï Oriental, Kinshasa et Province Orientale. D’après les discours analysés, ces provinces véhiculent des valeurs positives face aux autres culturels, comme l’acceptation, la confiance et l’altruisme.
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454 Données recueillies lors des entretiens avec les étudiants des premières années de graduat (A et B) de l’IFASIC », du 09 au 30 avril 2013. ↑
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les mécanismes discriminatoires identifiés dans la communication interculturelle au Congo?
Cinq mécanismes discriminatoires ont été identifiés : l’agentisation, la déroutinisation, l’appartenance communautaire, la remise en cause de l’autorité et la scotomisation.
Comment les acteurs sociaux congolais perçoivent-ils l’agentisation dans un contexte multiculturel?
Les acteurs sociaux congolais discutent de l’agentisation en fonction de leur province, soulignant des perceptions variées sur la compétence et la position sociale.
Quelle est l’importance de l’analyse qualitative dans l’étude des communications généralisées au Congo?
L’analyse qualitative permet de décrire des cas en fonction des réactions des enquêtés et d’identifier les éléments communicationnels pertinents à l’aide d’un tableau panoramique.