Quelles sont les stratégies d’implémentation en communication qui transforment les échanges interculturels au Congo ? Cette recherche révèle des mécanismes de défense socioculturelle essentiels, offrant un cadre théorique novateur pour comprendre les dynamiques psychologiques en jeu.
- Spécification du modèle théorique
L’objectif du « modèle théorique » (figure n°02), que nous avons conçu, est de permettre de valider notre hypothèse de recherche. Il faut toutefois préciser qu’il est limité puisqu’il est encore « théorique », car les paramètres ne sont pas opérationnellement définis. Il nécessite donc une « spécification ». Pour Patrice Roussel et ses collaborateurs411, la spécification d’un modèle peut être comprise en se rapportant de nouveau au modèle théorique pour étudier sur le plan aussi bien théorique qu’empirique les relations linéaires entre les variables latentes et leurs mesures.
Elle aboutit à formuler des hypothèses sur les relations entre variables latentes explicatives et à aller expliquées et à concevoir un système de mesure basé sur des relations linéaires hypothétiques entre des variables latentes et des variables manifestes (modèle de mesure).
Pour y parvenir, nous allons commencer d’abord par l’opérationnalisation des variables (facteurs), ensuite par la représentation du schéma des relations linéaires et de mesure du modèle global « Path diagram », enfin par la vérification de l’identification de ce dernier par rapport au modèle théorique.
- Opérationnalisation des variables et définition de modèle de mesure global (Path diagram)
Il s’agit ici de définir les variables qui déterminent la nature de la communication interculturelle en termes de paramètres ou d’indicateurs avec les relations fonctionnelles linéaires qui les lient. Le schéma expérimental en psychologie ou en sciences exactes (mathématique, physique, etc.) identifie principalement trois catégories de variables lorsque l’on veut mesurer ces liens : la variable indépendante, la variable intermédiaire et la variable dépendante.
- Variable indépendante ()
A propos de la « variable indépendante () » : c’est l’environnement multiculturel (aire culturelle) dans lequel se passe la communication. Il s’agit pour nous de la « province d’origine ». Cet environnement est défini par onze indicateurs, à savoir Bandundu (), Bas- Congo (), Equateur (), Kasaï Occidental (), Kasaï Oriental (), Katanga (), Kinshasa (), Maniema (), Nord Kivu ( ), Province Orientale () et Sud Kivu (). Il sied de noter que la « nationalité » constitue également une variable indépendante, mais elle ne sera pas examinée puisqu’il s’agit d’une étude qui se réalise dans un contexte national. Elle ne vise donc pas à comparer des nations, plutôt les peuples d’une même nation.
411ROUSSEL, P. et alii, op.cit, pp. 300-302.
- Variable intermédiaire ( )
Pour ce qui est de la « variable intermédiaire ( ) », c’est « l’acteur social » qui produit les mécanismes de défense à travers les communications généralisées et contextuelles. Son identité culturelle est déterminée par sa province d’origine (variable intermédiaire). Cette identité est caractérisée par ses propriétés internes qui sont de deux ordres, à savoir la variable modératrice () et la variable intermédiaire ().
La « variable modératrice » (), quant à elle, est « une variable qui agit essentiellement sur la relation entre deux autres variables. Elle modifie systématiquement la grandeur, l’intensité, le sens et/ou la forme de l’effet de la variable indépendante sur la variable dépendante. Elle spécifie quand et sous quelles conditions une relation entre deux variables a lieu »412. C’est « une variable qualitative ou quantitative qui influe sur la direction et/ou la force de la relation entre la variable indépendante et la variable dépendante »413. Il s’agit, pour nous, de l’âge (, du sexe (, des fonctions psychiques () et de la personnalité ().
– l’âge ( a cinq indicateurs : la génération des babyboomers (), la génération des papyboomers (), la génération X (), la génération Y () et la génération Z ().
– le sexe ( a deux indicateurs : masculin () et féminin ().
– les fonctions psychologiques () ont quatre indicateurs : intuition (), sensation (), pensée () et sentiment ().
– la personnalité () a deux indicateurs : introverti () et extraverti ().
La « variable médiatrice » () spécifie « comment et selon quel mécanisme une variable indépendante influence une variable dépendante. Un effet médiateur élémentaire représente une séquence « causale » hypothétique dans laquelle une première variable indépendante influe sur une seconde variable intermédiaire qui influe à son tour sur une variable dépendante »414. Pour Baron et Kenny415, une variable agit en tant que médiatrice dans la mesure où elle rend compte de la relation entre une variable indépendante et une variable dépendante. Cette variable est composée, en ce qui nous concerne, de deux facteurs, à savoir l’ethnie () et le statut (et rôle) ().
412ROUSSEL, P. et alii, « Analyse des effets linéaires par modèles d’équations structurelles », in ROUSSEL, P. et WACHEUX, F. (dir.), op.cit, pp. 326-327.
413BARON, R.M. et KENNY, D.A, « The Moderator-Mediator variable distinction in social psychological research: conceptual, strategic, and statistical considerations », in Journal of Personality and Social Psychology, vol. 51, 1986, p. 1174.
414ROUSSEL, P. et alii, op.cit, p. 327.
415BARON, R.M. et KENNY, D.A., op.cit, pp. 1173-1176.
– l’ethnie () comprend cinq indicateurs : le Bantou (), le Chamite (), le Nilotique (), le Pygmée () et le Soudanique ().
– le statut et rôle peuvent être définis de plusieurs manières, notamment la place dans la famille (), le niveau d’études () et la catégorie socioprofessionnelle (). Du point de vue de la place dans la famille (), on peut avoir deux indicateurs : enfant () et parent (). Du point de vue du niveau d’études (), on peut distinguer quatre indicateurs : niveau primaire (breveté) (), niveau secondaire (diplômé d’Etat) (), niveau supérieur (gradué) () et niveau universitaire (licencié, DEA et doctorat à thèse) (). Du point de vue de la catégorie socioprofessionnelle (), on peut distinguer deux indicateurs : agent () et cadre ().
- Variable dépendance ( )
En ce qui concerne la « variable dépendante ( ) », c’est la variable qui est la résultante de l’influence de l’environnement que subit le sujet. Il s’agit donc ici des « mécanismes de défense » à travers lesquels, sur le plan du vécu (manifeste), sont véhiculés des éléments issus de la communication généralisée ou des éléments de la contextualité situationnelle. On distingue quatre facteurs de cette variable dont chacun est exprimé en cinq indicateurs, tel que voici :
– Le premier facteur « mécanisme psychique de base () » a cinq indicateurs à savoir « la projection par assimilation de la pensée » (), le « déplacement » (), l’« interprétation subjective ou rationalisation » (), la « perception et la mémoire sélectives » () et la « formation réactionnelle » () ;
– Le deuxième facteur « mécanisme situationnel » () incarne cinq indicateurs : l’« altérité » (), la « dissymétrie » (), le « jugement potentiel » (), le
« conformisme » () et la « déviance » () ;
– Le troisième facteur « mécanisme discriminatoire » () est défini par cinq indicateurs : l’« agentisation » (), la « déroutinisation » (), la « discrimination liée à l’appartenance communautaire » (), la « remise en cause de l’autorité » () et la « scotomisation » () ;
– Le quatrième facteur « mécanisme ethnique » () présente lui aussi cinq indicateurs : l’« alibi culturel » (), la « construction idéologique » (), l’« identification et protection ethniques » (), la « perversion démocratique » () et la « résistance au changement » ( ).
Ces variables (indépendante, intermédiaire et dépendante), avec leurs propriétés (facteurs, indicateurs et modalités) ont des liens entre elles, et mathématiquement ces liens peuvent être calculés. Les indices ainsi obtenus peuvent permettre de déterminer la contribution de chaque variable explicative latente (indépendante et modératrice/médiatrice) sur l’apparition des phénomènes (mécanismes de défense à travers les éléments de la communication généralisée et contextuelle : variable indépendante « » dite variable expliquée). Ceci permet donc de construire un « modèle global de mesure », modèle inspiré d’une étude intitulée : « La Psychologie du consommateur des TIC et produits médiatiques : Essai de modélisation d’un cadre théorique »416. La figure n°04 présente ce modèle (voir la page suivante).
416PATA KIANTWADI, D. et KANGA KALEMBA-VITA, J., « La Psychologie du consommateur des TIC et produits médiatiques : Essai de modélisation d’un cadre théorique », in CECOM-Cahiers congolais de communication, vol. 9, n°2, Avril 2010, pp. 289-324.
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[43_strategies-implementation-pour-la-communication-interculturelle_2]
[43_strategies-implementation-pour-la-communication-interculturelle_3]
[43_strategies-implementation-pour-la-communication-interculturelle_4]
Figure n°04 : Modèle global de mesure ou Path diagram
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Schéma construit à partir du modèle théorique du schéma n°02
Ce schéma est la définition opérationnelle de notre « modèle théorique » (Figure n°02). Il nous permet d’étudier les degrés de relations entre les variables évoquées, lesquelles interviennent dans la communication interculturelle.
Au total, il en ressort :
- 9 variables latentes explicatives, dites prédicteurs, dont 1 V.Ind (province d’origine) et 8 V.Int (4 variables modératrices dont l’âge, la fonction psychologique, la personnalité et le sexe, 4 autres variables dites médiatrices, à savoir le groupe ethnique, la responsabilité familiale, le niveau d’études et la catégorie socioprofessionnelle) ;
- 1 variable latente expliquée, dite VD avec 20 indicateurs regroupés autour 4 facteurs417 ;
- Au total 206 coefficients de corrélation à enregistrer, dont 160 coefficients de corrélation entre les variables explicatives (indépendante « X » et intermédiaire Z) et la variable expliquée (dépendante : Y), c’est-à-dire 1 V.Ind x 8 V.Int x 20 VD ; 40 coefficients de corrélation entre les cinq indicateurs418 pris deux à deux par facture et 6 coefficients de corrélation entre les quatre facteurs de l’étude.
Le coefficient de corrélation qui convient ici c’est le « r de Bravais Pearson » puisque les données à mesurer sont tirées d’une échelle d’intervalle à 5 degrés. Il est donné par la formule ci-après419 : [43_strategies-implementation-pour-la-communication-interculturelle_5] (Formule n°01) où « r » : Coefficient de corrélation, « » : la somme des produits des écarts par rapport aux moyennes des variables X (le prédicteur) et Y (variable dépendante), « » : écart-type des valeurs X, « » : écart-type des valeurs Y et « n » : nombre d’observations. Ainsi pour déterminer le poids de chaque facteur dans l’instrument de recherche, les « r » ont été transformés en « b » par la formule ci-après : (Formule n°02) : poids beta pour le prédicteur i correspondant à « r »).
– La nature de relation fonctionnelle entre les trois variables (indépendante, intermédiaire et dépendante) peut être définie fondamentalement par la formule suivante420 : (Formule n°03) où ; (Formule n°04) où : moyenne de la variable dépendante, : moyenne des prédicteurs associés X (indépendante) et Z (intermédiaire médiatrice ou modératrice) et : poids beta.
417Le concept « Facteur » désigne ici les dimensions de l’instrument de recherche, dite catégorie des mécanismes. Il y en a quatre : mécanisme psychique de base, mécanisme situationnel, mécanisme discriminatoire et mécanisme ethnique.
418 Ici l’ « indicateur » désigne le mécanisme de défense contenant dans chaque facteur traduit en termes de communication généralisée et de contextualité situationnelle.
419NZOKANTU, B. D., Statistique descriptive, Kinshasa, Cedesurk, 2009, p. 145.
pour le prédicteur « i » correspondant à « r »), XZ : note quantitative aux variables associées indépendante et intermédiaire (modératrice ou médiatrice).
Dans l’ensemble, notre « plan expérimental » enregistre 5.720 cases expérimentales, c’est-à-dire 11 x 26 x 20. Chaque « case expérimentale » est l’expression de la somme des modalités de la variable dépendante exprimée en quantité binaire (0 à 1) s’il s’agit des valeurs significatives des éléments contextuels et de 0 à 4 pour leurs fréquences d’apparition dans le milieu enquêté. Ce plan nous permet de faire le choix des outils d’analyse statistique appropriés pour mesurer les qualités métrologiques de notre instrument de recherche (validité et fiabilité), les relations fonctionnelles entre les quatre composantes de notre instrument de mesure (psychique de base, situationnelle, discriminatoire et ethnique) et les onze provinces (test statistique de signification).
En ce qui nous concerne pour cette présente étude exploratoire, nous allons d’abord nous limiter à un plan de 220 cases expérimentales, soit 11 provinces x 20 indicateurs de mesure (mécanismes). Les 5.500 autres cases seront examinées au cours de notre recherche confirmatoire.
- Identification du modèle de mesure au modèle théorique
Le modèle de mesure que nous venons de construire s’identifie-t-il réellement au modèle théorique de départ ? Pour répondre à cette préoccupation, Roussel et ses collaborateurs ont proposé une technique d’analyse basée sur le calcul de degré de liberté () donnée par la formule ci-après421 :
(Formule n°05)
Où : – ddl : degré de liberté (df : degree of freedom) ;
– p : nombre d’indicateurs des variables latentes à expliquer ;
– q : nombre d’indicateurs des variables latentes explicatives ;
– t : nombre de coefficients estimés dans le modèle théorique.
L’influence du degré de liberté sur l’identification d’un modèle est de deux sortes. Premièrement, il est nécessaire que le nombre de degrés de liberté du modèle soit supérieur ou égal à zéro. Quand le degré de liberté est égal à zéro, le modèle est dit « exactement identifié » ; dans ce cas, l’ajustement du modèle théorique aux données devrait être parfait, mais, il ne présente probablement aucun intérêt théorique. Deuxièmement, si le degré de liberté est supérieur à zéro, le modèle est dit « sur-identifié ». Il décrit davantage d’informations dans la matrice de données de départ (modèle théorique) que dans la matrice de corrélations à estimer (modèle de mesure), c’est la situation souhaitable. Dans le cas inverse, le modèle est dit « sous- identifié », le nombre de paramètres à estimer est alors supérieur au nombre de paramètres disponibles.
Dans notre modèle, p = 20, q = 11 et t = 206, l’indice de degré de liberté peut être calculé de la manière suivante :
Comme le degré de liberté est égal à 290, donc supérieur à 0, notre modèle de mesure est dit « sur-identifié » ; il a su bien cerner les paramètres (facteurs ou variables) de la matrice de départ (modèle théorique). Ce modèle est donc valable puisqu’il s’identifie correctement au modèle théorique. De ce fait, il peut bien aider à analyser statistiquement les données empiriques.
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411 ROUSSEL, P. et alii, op.cit, pp. 300-302. ↑
412 ROUSSEL, P. et alii, « Analyse des effets linéaires par modèles d’équations structurelles », in ROUSSEL, P. et WACHEUX, F. (dir.), op.cit, pp. 326-327. ↑
413 BARON, R.M. et KENNY, D.A, « The Moderator-Mediator variable distinction in social psychological research: conceptual, strategic, and statistical considerations », in Journal of Personality and Social Psychology, vol. 51, 1986, p. 1174. ↑
414 ROUSSEL, P. et alii, op.cit, p. 327. ↑
415 BARON, R.M. et KENNY, D.A., op.cit, pp. 1173-1176. ↑
416 PATA KIANTWADI, D. et KANGA KALEMBA-VITA, J., « La Psychologie du consommateur des TIC et produits médiatiques : Essai de modélisation d’un cadre théorique », in CECOM-Cahiers congolais de communication, vol. 9, n°2, Avril 2010, pp. 289-324. ↑
417 Le concept « Facteur » désigne ici les dimensions de l’instrument de recherche, dite catégorie des mécanismes. Il y en a quatre : mécanisme psychique de base, mécanisme situationnel, mécanisme discriminatoire et mécanisme ethnique. ↑
418 Ici l’ « indicateur » désigne le mécanisme de défense contenant dans chaque facteur traduit en termes de communication généralisée et de contextualité situationnelle. ↑
419 NZOKANTU, B. D., Statistique descriptive, Kinshasa, Cedesurk, 2009, p. 145. ↑
420 La nature de relation fonctionnelle entre les trois variables (indépendante, intermédiaire et dépendante) peut être définie fondamentalement par la formule suivante. ↑
421 L’influence du degré de liberté sur l’identification d’un modèle est de deux sortes. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que le modèle théorique en communication interculturelle?
Le modèle théorique est conçu pour valider l’hypothèse de recherche et nécessite une spécification pour étudier les relations linéaires entre les variables latentes et leurs mesures.
Quels types de variables sont identifiés dans la communication interculturelle?
Trois catégories de variables sont identifiées : la variable indépendante, la variable intermédiaire et la variable dépendante.
Comment l’environnement multiculturel influence-t-il la communication?
L’environnement multiculturel, défini par la province d’origine, est considéré comme une variable indépendante qui détermine la nature de la communication interculturelle.