Les stratégies d’implémentation autogestionnaire révèlent un paradoxe fascinant : bien que le concept ait été éclipsé depuis les années 80, ses principes fondamentaux demeurent cruciaux pour repenser les formes organisationnelles contemporaines. Cette recherche promet de redéfinir notre compréhension de l’autogestion dans un monde en mutation.
- Les bouleversements organisationnels liés à la socialisation des moyens de production et du pouvoir :
Ce partage égalitaire des moyens de production et du pouvoir entraîne deux principaux bouleversements organisationnels :
La remise en cause des formes organisationnelles centralisées :
La socialisation des moyens de production et du pouvoir entraîne en effet conjointement une socialisation des structures d’organisation que Rosanvallon définit comme « le renversement
54 PROBST, Gilbert. Organiser par l’auto-organisation, Gilbert Probst. Les Editions d’organisation. 1993
55 BRAUD, Philippe et BURDEAU, François. Histoire des idées politiques depuis la révolution. Editions Montchrestien, 1992.
des conceptions pyramidales et élitistes pour une large circulation de l’information, par une décentralisation de sa production, par un travail permanent d’autoformation »56. De centralisé et individualisé, le pouvoir d’organiser et de décider doit devenir décentralisé et collectif.
La socialisation des pouvoirs organisationnels et décisionnels bouleverse ainsi l’agencement hiérarchique des organisations visant à maintenir le pouvoir de certains sur d’autres (la domination de l’homme sur l’homme diraient les anarchistes). En effet, « on ne peut s’approprier collectivement des moyens de pouvoir dont la structure a été conçue pour opprimer ou diviser (…) Il n’y a donc pas d’appropriation véritable des moyens de pouvoir indépendamment d’un changement de leur structure »57.
Aussi, « ce sont tous les fondements du système hiérarchique qui sont un obstacle au développement de l’autogestion »58 et qu’il faut chercher à modifier.
La remise en cause de la division du travail
Au premier rang de ces fondements du système hiérarchique, Pierre Rosanvallon place la division du travail et la hiérarchie des revenus qui sont « pour une large part le décalque de la hiérarchie des pouvoirs et des fonctions ».
L’autogestion cherche ainsi à modifier l’organisation hiérarchique en s’attaquant à ses fondements pour trouver de nouvelles modalités organisationnelles instituant une prise de décision collective et égalitairement partagée. Celle-ci ne peut s’obtenir qu’en distribuant au maximum les fonctions décisionnelles et organisationnelles à tous les niveaux de l’organisation. La « dissémination » de ces fonctions stratégiques s’obtient par :
- La rotation des tâches et la polyvalence
Les entreprises autogérées évoquent souvent le principe de rotation des tâches et des fonctions comme étant à la base de cette révolution organisationnelle dépassant les limites de la division du travail. Proudhon recommande ainsi de faire parcourir à l’ouvrier la série entière des opérations de l’industrie à laquelle il est attaché pour qu’il acquière ainsi une vue synthétique du processus du travail.
Cependant, ce principe ne peut suffire à lui seul puisque, certes, le pouvoir « tournerait », mais continuerait à chaque fois à être accaparé par une seule personne, ou du moins un petit
56 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976).
57 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976).
58 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976).
groupe d’individus, selon une logique privative et centralisatrice. Il semble donc nécessaire d’y adjoindre un autre principe qui est celui de la polyvalence et qui, à côté d’un pouvoir tournant, institue un pouvoir disséminé à tous les niveaux de l’organisation. Proudhon prône ainsi une éducation professionnelle « polytechnique ».
L’autogestion suppose donc « le difficile équilibre d’un système polyarchique de l’autorité en vertu duquel le pouvoir sera distribué de façon égale »59.
- La réconciliation entre pensée et action :
Cette rotation et cette dissémination des tâches permettent ainsi la réalisation d’un des principaux adages de la pensée anarchiste, à savoir la réconciliation entre intelligence et action, dont la séparation sous forme de « division scientifique du travail » semble être l’un des fondements des organisations hiérarchiques. Ainsi, l’autogestion « récuse catégoriquement la dissociation des tâches de préparation, conception, organisation, et de décision d’une part, et des tâches d’exécution pures et simples d’autre part »60, « elle est totalement incompatible avec une séparation de ces
deux catégories »61 : « dans un système auto organisé, il n’y a aucune séparation entre ce qui organise, façonne ou dirige et ce qui est organisé, modelé et dirigé. Les aptitudes et les fonctions de façonnement et la direction d’un système sont réparties dans le système. La hiérarchie devient ainsi caduque » et s’y substitue un « principe d’hétérohiérarchie [où] tous les mécanismes de modelage et de direction pourront faire l’objet d’une discussion »62.
59 Encyclopédie Universalis.
60 Encyclopédie Universalis.
61 CASTORIADIS, Cornélius. Autogestion et hiérarchie. Editions grain de sable. En ligne sur : http:// infokiosques.net/article.php3?id_article=247
62 PROBST, Gilbert. Organiser par l’auto-organisation, Gilbert Probst. Les Editions d’organisation. 1993
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54 PROBST, Gilbert. Organiser par l’auto-organisation, Gilbert Probst. Les Editions d’organisation. 1993 ↑
55 BRAUD, Philippe et BURDEAU, François. Histoire des idées politiques depuis la révolution. Editions Montchrestien, 1992. ↑
56 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976). ↑
57 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976). ↑
58 ROSANVALLON, Pierre. Op. Cit. (1976). ↑
59 Encyclopédie Universalis. ↑
60 Encyclopédie Universalis. ↑
61 CASTORIADIS, Cornélius. Autogestion et hiérarchie. Editions grain de sable. En ligne sur : http:// infokiosques.net/article.php3?id_article=247 ↑
62 PROBST, Gilbert. Organiser par l’auto-organisation, Gilbert Probst. Les Editions d’organisation. 1993 ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les principales conséquences de la socialisation des moyens de production ?
La socialisation des moyens de production et du pouvoir entraîne une remise en cause des formes organisationnelles centralisées et de la division du travail.
Comment l’autogestion modifie-t-elle l’organisation hiérarchique ?
L’autogestion cherche à modifier l’organisation hiérarchique en s’attaquant à ses fondements pour instituer une prise de décision collective et égalitairement partagée.
Quels principes sont essentiels à l’autogestion ?
Les principes essentiels à l’autogestion incluent la rotation des tâches et la polyvalence, permettant une dissémination des fonctions décisionnelles à tous les niveaux de l’organisation.