Les stratégies d’implémentation des IDE dans l’espace OHADA révèlent des défis juridiques inattendus qui entravent l’attractivité économique. Cet article met en lumière des solutions innovantes pour renforcer la sécurité judiciaire, essentielles pour stimuler la croissance dans les États parties.
Section II : Les manifestations de la sécurité judiciaire dans l’espace OHADA
Aujourd’hui, ce qui est frappant, lorsque l’on s’intéresse à l’attractivité économique de l’espace OHADA sous l’angle judiciaire, c’est l’illisibilité du régime de la réalisation judiciaire des droits substantiels que définissent les Actes uniformes. L’articulation entre le droit communautaire et les droits nationaux n’est pas toujours simple. Toutefois l’on peut percevoir les prémices de la sécurité judiciaire tant en amont (paragraphe I) qu’en aval de l’acte juridictionnel (paragraphe II).
Paragraphe I : En amont de l’acte juridictionnel
Le législateur communautaire est resté muet quant au régime juridique de l’accès au juge de droit commun de l’OHADA, renvoyant la question aux droits processuels des États Parties. Les manifestations de la sécurité judiciaire en amont de l’acte juridictionnel ne sont donc pas assez perceptibles dans les dispositions de l’arsenal juridique de l’OHADA.
Toutefois, sa manifestation peut être perçue dans l’application de l’article 336 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution qui dispose que : « Le présent Acte uniforme abroge toutes les dispositions relatives aux matières qu’il concerne dans les États Parties ». L’intérêt pratique de ce texte est qu’il tranche les conflits de lois de procédure en faveur du droit uniforme sur les voies d’exécution.
Toutes les dispositions de droit interne, contraires à l’esprit ou à la lettre des Actes uniformes contenant une disposition de procédure sont inapplicables au litige[78]. Ce texte met les justiciables à l’abri des instrumentalisations, à des fins dilatoires, des lois de procédure nationales. Il sécurise aussi les investissements contre les risques d’instrumentalisation des législations nationales favorisant la saisie des biens des investisseurs[79].
Une autre manifestation de la sécurité judiciaire en droit de l’OHADA réside dans les procédures simplifiées de recouvrement de créances. Les procédures d’injonction de payer, de délivrer ou de restituer un bien meuble sont autant d’outils mis à la disposition des investisseurs pour d’une part, sécuriser leur patrimoine contre la résistance des débiteurs récalcitrants et d’autre part, faire face aux lenteurs judiciaires et à l’usure du temps[80]. Ainsi, les créances d’origine contractuelle[81] ou celles résultant de l’émission ou de l’acceptation de tout effet de commerce ou d’un chèque sans provision[82] peuvent être recouvrées au terme d’une procédure rapide et simplifiée.
Il convient aussi de voir dans l’organisation et le fonctionnement de la CCJA ainsi que dans le statut des juges de cette juridiction, un gage de sécurité judiciaire. Les attributions consultatives de la haute juridiction offrent un cadre de dialogue aux différents acteurs chargés d’appliquer le droit uniforme au premier degré et en cause d’appel.
La procédure d’avis consultatif prévue par l’article 13 du Traité permet ainsi aux juridictions nationales de dialoguer avec la haute Cour en amont de l’acte juridictionnel contentieux en vue d’optimiser l’interprétation du droit uniforme. Cet instrument processuel a pour objet d’éviter une dispersion de l’interprétation du droit. Par ailleurs, la compétence exclusive de la CCJA (article 14 du Traité) concernant les pourvois en cassation dans toutes les matières énumérées à l’article 2 du Traité est également un gage de sécurité judiciaire.
Cette compétence exclusive est de nature à renforcer la confiance des investisseurs dans le système judiciaire OHADA.
Le pouvoir d’évocation qui est reconnu à la CCJA est un instrument efficace pour la réalisation de la sécurité judiciaire et participe à la lutte contre les lenteurs judiciaires devenues la marque de fabrique de certaines juridictions africaines[83]. Ce pouvoir d’évocation qui se transforme dans d’autres circonstances en « devoir d’évocation », est fondé sur les nécessités d’une bonne administration de la justice. Le fait de casser sans renvoi lui permet de juger de plus en plus vite en se substituant aux juridictions nationales de fond.
Paragraphe II : En aval de l’acte juridictionnel
La sécurité judiciaire en aval des décisions de justice est le point ayant le plus préoccupé la doctrine de droit OHADA. Quoi de plus normal que de se préoccuper de la satisfaction équitable du justiciable en l’aidant à faire exécuter la décision de justice consacrant son droit substantiel. La clé de voûte du système de protection des droits substantiels, civils et commerciaux, n’est-elle pas à rechercher dans les voies d’exécution ?
En effet, le contentieux de l’exécution forcée est l’une des préoccupations constantes des praticiens et de la doctrine de l’espace OHADA. On le sait, la sécurité judiciaire après une décision de justice se décline sous deux formats : la fin du procès, et l’exécution (forcée) de la décision de justice.
Dans l’espace OHADA, la sécurité judiciaire se manifeste à travers la réglementation des effets des décisions de justice. Afin d’éviter toute instrumentalisation négative des règles de procédure nationale, le législateur communautaire a soigneusement encadré les effets attachés aux décisions de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage et aux sentences arbitrales rendues sous son égide.
Pour éviter que les procès ne s’éternisent et « couper court à des tentatives détournées de rouvrir un débat clos », le Traité OHADA dispose en son article 20 que : « les arrêts de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ont l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire.
Ils reçoivent sur le territoire de chacun des États Parties une exécution forcée dans les mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales. Dans une même affaire, aucune décision contraire à un arrêt de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ne peut faire l’objet d’une exécution forcée sur le territoire d’un État Partie ».
Attacher aux décisions de la haute juridiction l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire a pour effet utile d’empêcher toute remise en cause de l’efficacité des décisions de la CCJA devant une juridiction nationale.
Le législateur a accordé une importance particulière à l’exécution des décisions de justice dans l’espace OHADA. En règle générale, les décisions de justice doivent être exécutées spontanément dès qu’elles sont exécutoires, c’est-à-dire passées en force de chose jugée. Il ne peut en être autrement que si le débiteur bénéficie d’un délai de grâce ou le créancier de l’exécution provisoire. Pour vaincre l’inertie, voire la rébellion des parties succombantes, le législateur communautaire a organisé le régime de l’exécution forcée des décisions de justice par un important Acte uniforme.
Les sentences arbitrales rendues sous l’égide de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA ont, à ce titre, une force supérieure à celle des jugements étatiques et des autres sentences arbitrales car elles ne sont soumises qu’à l’exigence de l’exequatur communautaire dans le pays de l’exécution. Ce qui constitue une avancée majeure.
En règle générale, les décisions rendues par les juges du fond acquièrent autorité de chose jugée, dès leur prononcé, dans le système OHADA. Toutefois, les voies d’exécution ne peuvent être mises en œuvre qu’à partir du moment où elles sont passées en force de chose jugée, c’est-à-dire insusceptibles d’une voie de recours suspensive d’exécution.
On voit donc que la condition nécessaire et indispensable pour poursuivre l’exécution forcée d’une décision de justice est la force de chose jugée et non la seule autorité de chose jugée. Cette remarque est particulièrement valable pour les décisions rendues par les juridictions de première instance. Celles que rendent les Cours d’appel nationales ont, dès leur prononcé, autorité de la chose jugée et force de chose jugée car elles ne peuvent, sauf exception, faire l’objet d’un recours suspensif d’exécution.
Certaines points positifs ont déjà été marqués sur le terrain du contentieux de l’exécution dans l’espace juridique OHADA. L’harmonisation du cadre juridique des notifications des décisions de justice (notifications des décisions de justice, certificats de non appel ou de non opposition, mentions obligatoires), l’encadrement du caractère exécutoire des décisions de justice, le rôle du juge dans le contentieux de l’exécution sont autant d’avancés sur le chemin de la restauration de la confiance des investisseurs dans le système judiciaire OHADA.
Conclusion du Chapitre I :
Ce chapitre nous a permis de dresser une grille d’analyse et d’interprétation des aspects judiciaires du droit OHADA, non pas du point de vue de la théorie juridique ou de la pratique juridique, mais sous l’angle de ce qu’ils représentent sur le plan de l’attractivité économique des IDE. En effet, l’orientation de ce chapitre répond à l’impératif incontournable de la mondialisation et de la compétition entre les systèmes juridiques. Cette compétition conduit les investisseurs étrangers à évaluer les qualités et les défauts de l’offre de justice proposée par chaque système judiciaire : la célérité, le coût, la discrétion, la sécurité, l’indépendance, l’impartialité et bien d’autres critères.
Ainsi le législateur OHADA a érigé la mise en œuvre de procédures judiciaires appropriées au rang des objectifs primordiaux de l’OHADA. Et pour lui donner les moyens de ses objectifs, les pères fondateurs de l’OHADA ont choisi de créer une instance sui generis compétente pour unifier l’interprétation et l’application du droit uniforme ; cette instance n’est autre que la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage. Cette haute juridiction est présentée comme le gage de la fiabilisation du système judiciaire des États parties et des procédures arbitrales diligentées à l’intérieur des États qui sont sous sa juridiction.
Outre l’ouverture classique du droit OHADA à tout arbitrage ayant son siège dans l’un de ses États parties et aux personnes morales de droit public, l’offre d’arbitrage OHADA étend son champ d’application matériel à l’arbitrage d’investissement. Celui-ci est généralement défini comme le forum arbitral qui accueille des différends opposant un État ou une de ses entités, et une entité privée étrangère réalisant une opération d’investissement dans cet État. Cependant, en dépit de ces avancées, de nombreuses lacunes entravent la réalisation de l’espace judiciaire OHADA.
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78. CCJA, 29 juin 2006, arrêt n° 15 du, Affaire C.D c/ Société Ivoirienne d’Assurances Mutuelles dite SIDAM, Le Juris-Ohada, n° 4/2006, p. 22, Ohadata J-07-29. ↑
79. TPI de Bafoussam, 16 juin 2006, n° 84/Civ., Affaire Sagne Boubou Cylaine C/ First Trust Savings and Loan, Ohadata J-07-61. ↑
80. Article de l’APSRVE. ↑
81. Alex-François TJOUEN, Les rapports entre les juridictions suprêmes nationales et la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’Organisation pour Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), Thèse de doctorat en droit privé, Lille, 2006, 420p. ↑
82. Henri MOTULSKY, Pour une délimitation plus précise de l’autorité de la chose jugée en matière civile, Dalloz – Sirey, 1958, chron. 1, reprod. Ecrits. Etudes et notes de procédure civile, Paris, Dalloz, 2009, p.20 ↑
83. Référence à compléter. ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment la sécurité judiciaire est-elle manifestée dans l’espace OHADA?
La sécurité judiciaire dans l’espace OHADA se manifeste par l’application de l’article 336 de l’Acte uniforme sur les voies d’exécution, qui abroge les dispositions contraires des États Parties et sécurise les investissements contre les risques d’instrumentalisation des législations nationales.
Quelles sont les procédures simplifiées de recouvrement de créances en OHADA?
Les procédures d’injonction de payer, de délivrer ou de restituer un bien meuble sont des outils mis à la disposition des investisseurs pour sécuriser leur patrimoine et faire face aux lenteurs judiciaires.
Quel est le rôle de la CCJA dans la sécurité judiciaire en OHADA?
La CCJA joue un rôle crucial dans la sécurité judiciaire en offrant un cadre de dialogue pour l’interprétation du droit uniforme et en ayant une compétence exclusive concernant les pourvois en cassation, renforçant ainsi la confiance des investisseurs.