Les stratégies de mise en œuvre des prospectus d’information révèlent des défis inattendus pour les commissaires aux comptes. En examinant 30 cas tunisiens, cette recherche met en lumière des pratiques critiques et propose des solutions innovantes, essentielles pour garantir la fiabilité des informations financières.
Les comptes et informations prévisionnelles
Les informations prévisionnelles figurent traditionnellement dans le chapitre 4 « renseignements concernant l’activité de la société et son évolution » et le chapitre 7 « renseignements concernant l’évolution récente et les perspectives d’avenir » des prospectus d’information.
Comme annoncé dans la première partie de ce mémoire54, les informations et comptes prévisionnels présentés dans le prospectus peuvent prendre plusieurs formes : des comptes prévisionnels, des données extraites des comptes prévisionnels, des données prévisionnelles sous forme d’états prévisionnels portant sur une période postérieure à celle couverte par les comptes prévisionnels, d’autres données prévisionnelles isolées issues d’un système vérifiable et d’autres données prévisionnelles isolées n’étant pas issues d’un système vérifiable.
Etats financiers prévisionnels
- Etats financiers prévisionnels audités par le commissaire aux comptes
S’agissant d’états financiers prévisionnels, ayant déjà fait l’objet d’un rapport du commissaire aux comptes actuel, dans le cadre d’une intervention définie par convention, celui-ci vérifie la correcte retranscription de ces états dans le prospectus, par pointage avec les états ayant fait l’objet de son rapport.
Etats financiers prévisionnels audités par un deuxième auditeur
L’article 8 du règlement du C.M.F. relatif à l’APE prévoit que le projet de prospectus doit être accompagné d’un état comportant des informations prévisionnelles et de l’avis de la personne habilitée à examiner les informations prévisionnelles, sans fournir des précisions sur la qualité de cette personne.
Le recours à un deuxième vérificateur, auditeur contractuel, pour fournir une assurance sur les comptes prévisionnels n’implique pas l’exclusion de ce type d’information du champ de responsabilité du commissaire aux comptes.
Ce dernier doit mettre en œuvre les diligences nécessaires par référence à la norme internationale d’audit de l’IFAC- ISA 600 « Utilisation des travaux d’un autre auditeur ».
De la même façon, le commissaire aux comptes vérifie la correcte retranscription des états financiers prévisionnels dans le prospectus, par pointage avec les états ayant fait l’objet de rapport d’un autre auditeur.
Etats financiers prévisionnels non-audités
Lorsque les états financiers prévisionnels présentés dans le prospectus n’ont pas fait l’objet de vérification, le commissaire aux comptes applique les diligences prévues par la norme internationale d’audit de l’IFAC – ISA 810 « Examen d’informations financières prévisionnelles » notamment celles applicables aux « prévisions », basées sur des hypothèses et des estimations les plus plausibles (cf. paragraphe 5 de la même section ci dessous)
Données prévisionnelles présentées sous forme d’états
Ces données correspondent à des projections sur un horizon lointain, généralement de 5 à 10 ans, présentées sous la forme d’états financiers prévisionnels et associées aux prévisions financières de l’année en cours et de l’année suivante.
Dans ce cas, le commissaire aux comptes applique les diligences prévues par la norme internationale d’audit de l’IFAC – ISA 810 « Examen d’informations financières prévisionnelles » notamment celles applicables aux projections basées sur des hypothèses théoriques (cf. paragraphe 5 de la même section ci dessous).
Autres données prévisionnelles isolées
Ce type d’informations concerne généralement des projections sur l’activité de l’émetteur (par exemple, la production, les approvisionnements, etc.) et la politique générale de l’entreprise, qui ne sont pas issues de comptes prévisionnels.
Dans ce cas, le commissaire aux comptes vérifie si ces données résultent d’un processus d’élaboration structuré, si les hypothèses retenues sont décrites dans le prospectus et si les calculs traduisent correctement ces hypothèses.
Toutefois, la norme internationale d’audit de l’IFAC – ISA 810 « Examen d’informations financières prévisionnelles » exclut explicitement ce type d’informations de son champ d’application, bien que de nombreuses diligences prévues par cette norme lui soient applicables.
Les informations pro forma prévisionnelles
Le commissaire aux comptes est amené à mettre en œuvre les diligences prévues par les normes professionnelles relatives à l’examen des comptes pro forma et celles relatives à l’examen des informations prévisionnelles. L’arbitrage entre les procédures à appliquer est sujet de jugement professionnel.
Approche de vérification des informations prévisionnelles
Lorsque le commissaire aux comptes est sollicité pour émettre un avis sur les états financiers prévisionnels, dans le cadre de sa mission spéciale de contrôle du prospectus d’information, il doit mettre en œuvre les diligences nécessaires.
A ce titre, la norme internationale d’audit de l’IFAC – ISA 810 « Examen d’informations financières prévisionnelles », constitue une référence de base pour les professionnels tunisiens.
Les commentaires de la norme française CNCC 4-101 « examen des comptes prévisionnels » pourraient être également d’une grande utilité.
Qu’il s’agisse de prévisions ou de projections, c’est à dire quelle que soit la période couverte par les états financiers prévisionnels, le commissaire aux comptes doit réunir des éléments probants suffisants et adéquats lui permettant :
- d’apprécier le caractère raisonnable des hypothèses les plus plausibles retenues et la cohérence des hypothèses théoriques utilisées,
- de vérifier si les informations financières prévisionnelles sont préparées de manière satisfaisante sur la base des hypothèses retenues,
- de s’assurer de la bonne présentation desdites informations,
- d’apprécier la cohérence desdites informations avec les états financiers historiques.
D’une façon plus détaillée, les diligences à mettre en œuvre se présentent comme suit:
Connaissances générales préalables
En plus de la connaissance acquise dans le cadre de sa mission générale, le commissaire aux comptes doit posséder des connaissances spécifiques nécessaires pour la bonne conduite des diligences prévues et du programme de travail planifié.
Elles portent principalement sur:
- le secteur d’activité de l’émetteur : les perspectives du marché, la situation de la concurrence, l’environnement général de l’entreprise, sont des éléments nécessaires importants pour la validation des hypothèses retenues,
- l’activité interne opérationnelle de l’entreprise: la structure des charges et des coûts, les tendances structurelles, les forces et faiblesses, etc. sont également des éléments importants pour la validation des calculs et corrélations retenues,
- la période couverte par les informations: la période de temps couverte par les informations financières prévisionnelles doit être analysée par le commissaire aux comptes par rapport au cycle d’exploitation de l’entreprise, au degré de fiabilité des hypothèses et aux besoins des utilisateurs (retenir la durée de l’emprunt, lorsqu’il s’agit d’un prospectus d’émission d’emprunt obligataire).
Examen du processus prévisionnel
La nature des travaux que le commissaire aux comptes mène sur le processus de préparation des informations prévisionnelles s’apparente à celle du processus d’établissement des états financiers.
Il est ainsi appelé à :
- décrire les procédures portant sur le processus prévisionnel,
- identifier les contrôles mis en place par la société (validation des hypothèses, contrôle des calculs, etc.),
- procéder à des entretiens avec les différents services de l’entreprise,
- formaliser le processus prévisionnel sous la forme d’un schéma de circulation d’informations,
- procéder à des tests de conformité permettant de valider les procédures et les contrôles décrits.
Appréciation des hypothèses
Lorsqu’il s’agit de projections sur une période assez longue basées sur des hypothèses théoriques, le commissaire aux comptes s’assure que ces dernières sont cohérentes.
En pratique, l’appréciation de la cohérence se fait à plusieurs niveaux : dans le temps (par rapport aux tendances historiques), interne (hypothèses cohérentes entre elles), avec la stratégie de la direction de l’entreprise et avec l’environnement économique et financier (opportunités et menaces/risques).
A ce titre, les enquêtes et les entretiens ainsi que les contrôles analytiques se présentent comme les techniques d’audit les plus adaptées aux circonstances.
Traduction chiffrée des hypothèses
Une fois le commissaire aux comptes a achevé son examen des hypothèses retenues par la société, il s’assure que les informations prévisionnelles reflètent correctement les hypothèses retenues.
A ce stade, l’utilisation de l’outil informatique est recommandée notamment pour mener des tests analytiques.
Etablissement et présentation des états financiers prévisionnels
Dans ce cadre, le commissaire aux comptes s’assure que les méthodes comptables utilisées dans les comptes prévisionnels sont conformes à celles suivies pour l’établissement des derniers comptes annuels de l’entité.
Il évalue également la présentation des informations prévisionnelles et surtout les informations à donner en notes annexes (description des hypothèses retenues et des principes comptables utilisés, indication de la date de préparation desdites informations, etc.).
Avis sur les états financiers prévisionnels
Le rapport d’examen des états financiers prévisionnels précise le contexte (l’opération de placement), la date d’établissement et la période couverte.
Il rappelle également que l’établissement de ces états et des hypothèses sur lesquelles ils reposent demeure la responsabilité de la direction.
L’opinion émise sous la forme d’une assurance négative traduit clairement l’avis sur les hypothèses, la traduction chiffrée de celles-ci, la conformité des méthodes comptables et la présentation des états financiers prévisionnels.
Enfin, le rapport précise qu’aucune garantie n’est donnée sur la réalisation des prévisions.
La norme internationale d’examen des informations financières prévisionnelles, donne des exemples d’extraits de rapports sur des prévisions et sur des projections, que nous avons repris en annexes à ce mémoire (cf. annexe 7).
Les autres informations de nature comptable et financière
Parallèlement aux informations de nature comptable et financière habituellement fournies dans le prospectus, l’avis du commissaire aux comptes est parfois sollicité pour d’autres informations de même nature mais de formes différentes.
Les notes aux états financiers complémentaires demandées par le C.M.F.
Le C.M.F. peut être amené à demander des notes complémentaires aux notes sur les états financiers présentés dans le projet de prospectus, notamment lorsque celles-ci ne comprennent pas toutes les informations requises par les normes comptables en vigueur et que les notes manquantes sont considérées comme des éléments significatifs qui devraient être présentés dans le prospectus.
Elles sont nécessaires lorsque les états financiers ont déjà fait l’objet d’une approbation par l’assemblée générale et qu’ils ne peuvent donc plus être modifiés.
Aujourd’hui, les notes souvent demandées par le C.M.F. concernent particulièrement le tableau de mouvement des capitaux propres, le tableau des engagements hors bilan et parfois quelques notes explicatives des postes des états financiers.
Le commissaire aux comptes s’assure de la pertinence des compléments apportés en mettant en œuvre des diligences de la même nature que celles effectuées auparavant sur les notes aux états financiers concernés.
Les communiqués de presse de la société émettrice
L’édition financière représente un élément incontournable de la communication financière.
En effet, l’ensemble des supports écrits émis par l’entreprise vers son environnement externe a une importance déterminante.
Ces documents véhiculent l’image de la société et peuvent provoquer un intérêt potentiel pour la valeur par les investisseurs.
Le titre 3 du règlement du C.M.F. relatif à l’APE traite de la publicité relative aux valeurs mobilières, il considère comme publicité tout article comportant des indications encourageant une souscription.
Les dispositions prévues dans ce titre sont adressées principalement aux personnes intervenant dans la préparation des documents publicitaires et apportent des règles de conduite favorisant la transparence et l’égalité entre les actionnaires actuels et potentiels.
A priori, le commissaire aux comptes n’a pas de démarche active sur ces documents, il peut toutefois sensibiliser les dirigeants et leurs conseillers sur les incidences de tels communiqués et leur demander de prendre contact avec les services du C.M.F. afin de définir si un avis du commissaire aux comptes sera demandé sur les informations communiquées ou si l’inscription de mentions permettant d’avertir le lecteur qu’il s’agit d’informations non-vérifiées par le commissaire aux comptes serait acceptée par le C.M.F.
Par ailleurs, si dans le cadre de sa communication financière, la société décide de présenter des comptes résumés issus d’états financiers audités au niveau de supports publicitaires autre que le prospectus, le commissaire aux comptes doit mettre en œuvre les diligences nécessaires (cf. b/, § 2.1.1 de ce chapitre).
Il apprécie notamment si les regroupements effectués et, le cas échéant, les extraits des notes aux états financiers, n’ont pas pour effet d’occulter certaines informations significatives de nature à avoir une incidence sur le jugement des investisseurs potentiels.
Les évènements postérieurs à la date de signature du dernier rapport
Le commissaire aux comptes doit être attentif à la possibilité que des évènements significatifs susceptibles d’affecter la sincérité de l’information de nature comptable et financière présentée soient survenus entre la date de son dernier rapport et la date à laquelle il émet son avis sur le prospectus.
Ce travail doit être fait lors de la finalisation de la mission (le plus proche possible de la signature de l’attestation sur le prospectus) à travers des entretiens avec la direction et le responsable chargé de l’information dans la société.
Les émetteurs, cherchent en général à conclure l’opération de façon rapide et ne sont pas prédisposés à modifier le prospectus dont la rédaction est longue et parfois fastidieuse.
Lorsque de tels évènements sont survenus et dans le cas où aucun changement n’a été opéré sur le prospectus, le commissaire aux comptes tire les conséquences dans son avis en formulant des observations.
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Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les diligences du commissaire aux comptes pour les états financiers prévisionnels audités?
Le commissaire aux comptes vérifie la correcte retranscription des états financiers prévisionnels dans le prospectus, par pointage avec les états ayant fait l’objet de son rapport.
Comment le commissaire aux comptes traite-t-il les états financiers prévisionnels non-audités?
Lorsque les états financiers prévisionnels présentés dans le prospectus n’ont pas fait l’objet de vérification, le commissaire aux comptes applique les diligences prévues par la norme internationale d’audit de l’IFAC – ISA 810 ‘Examen d’informations financières prévisionnelles’.
Quelles sont les informations prévisionnelles présentées dans un prospectus?
Les informations prévisionnelles peuvent prendre plusieurs formes, y compris des comptes prévisionnels, des données extraites des comptes prévisionnels, et d’autres données prévisionnelles isolées issues d’un système vérifiable.