Comment le réseautage autogéré révolutionne-t-il l’innovation en 2023 ?

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🏫 Université Haute Bretagne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2005-2006
🎓 Auteur·trice·s
Suzy Canivenc
Suzy Canivenc

Le réseautage autogéré et innovation révèle une dynamique surprenante : malgré l’obsolescence apparente de l’autogestion, ses principes fondamentaux demeurent cruciaux dans la redéfinition des organisations contemporaines. Cette recherche met en lumière l’importance de réintégrer ces concepts pour répondre aux défis actuels du modèle industriel.


Le « réseautage » :

Cette activité d’échange bien particulière consiste à « créer une communauté destinée à développer l’interconnaissance et la mise en réseau des structures autogérées »261.

Conformément au véritable cœur de métier de la Péniche, il ne s’agit pas de créer des réseaux professionnels ayant trait au monde de la rédaction et de la communication, mais de constituer des réseaux ayant vocation à rassembler les structures autogérées dans un but d’échanges d’expériences et de services en tout genre, « que ce soit pour tisser des liens économiques, des projets communs, attirer de nouveaux participants et surtout pour entretenir la flamme d’une conception de la production »262.

Conformément au principe organisationnel défendu et mis en œuvre par La Péniche, ces relations ne sont pas des relations de subordination mais de collaboration, transcendant la simple visée économique. Elles n’empêchent cependant pas la concurrence si plusieurs structures exercent la même activité. Ainsi, la présentation qu’Odile Castel fait de l’économie sociale est solidaire pourrait s’appliquer à la stratégie de réseautage de La Péniche où

« aucune entité ne travaille de manière isolée mais toujours à travers un partenariat (…) elles établissent [ainsi] une configuration multipolaire (aucune entité n’a une position centrale) dans un contexte de coopération qui n’empêche pas qu’il puisse exister une relation de

258 BARTOLI, Annie. Communication et organisation, pour une politique générale cohérente.

Les Editions d’Organisation, 1991

259 BOLTANSKI, Luc et CHIAPELLO, Eve. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, 1999

260 Cf. annexe 3 : La Péniche : 18. Les cartes de vœux (p 177)

261 Autogestion, mode d’emploi.

262 Autogestion, mode d’emploi.

compétition entre elles »263. De même cette stratégie de réseautage n’est pas sans rappeler la configuration particulière de Mondragon, fédération au sein de laquelle « les différentes coopératives prennent leurs décisions commerciales en toute autonomie mais profitent néanmoins de la solidarité qui règne au sein de groupe coopératif ». Selon Bélène Cartabarria264 « ne pas être isolé, pouvoir échanger informations, stratégie et expériences confère un sentiment de puissance »265.

Le réseaux dans lesquels s’inscrit La Péniche lui permettent ainsi d’être à la fois autonome et en interdépendance avec d’autres firmes porteuses de mêmes valeurs et au projet d’entreprise similaire : « l’interdépendance système-environnement et l’autonomie deviennent [ici] complémentaires »266.

La Péniche illustre encore une fois cette cité projet dont nous parlent Boltanski et Chiapello où « nœud de projets, l’entreprise est aussi acteur de projets plus vastes avec d’autres entreprises »267. Ainsi, « Le fonctionnement en réseau », qui caractérise tant les réseaux d’entreprises autogérées que la cité projet, « satisfait cette caractéristique bien humaine de vouloir être à la fois libre et engagé. Les engagements peuvent empiéter sur notre liberté d’agir de façon autonome, mais il donne en retour un sens à notre vie et à notre travail ».

La Péniche participe ainsi à toutes les rencontres qui peuvent avoir trait de près ou de loin à l’autogestion, comme par exemple les rencontres du LAP (Lycée Autogéré de Paris) organisées en juin 2005 visant à rapprocher les diverses structures autogérées et à les faire échanger sur ce mode particulier d’organisation ; ou encore une conférence organisée autour des SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif, nouvelle forme d’entreprise coopérative crée en 2002). Là encore l’objectif était de multiplier les contacts au sein des milieux autogérés et de bénéficier d’échanges d’expériences tout en réfléchissant à la structuration du mouvement autogestionnaire en France et en Europe.

Plus encore, La Péniche a participé à la création d’un réseau national nommé Repas268 (réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires), un réseau informel d’entreprises désireuses d’échanger sur leurs expérimentations. Comme nous l’explique Michel Lulek d’Ambiance Bois, ce réseau à pour vocation de relier entre elles de multiples « initiatives économiques qui se reconnaissent cousines d’une démarche coopérative, alternative, solidaire

263 CASTEL, Odile. La dynamique institutionnelle de l’économie populaire solidaire dans les pays du sud. En ligne sur : http://www.uqo.ca/ries2001/Economie/Populaire/cahierspdf/ CI4.pdf , 2001

264 Directrice générale de Fagor électroménager, l’une des 80 coopératives de Fagor.

265 La coopérative Mondragon, une idée d’avenir ? Film de Wiltrud Kremer.

266 PROBST, Gilbert. Organiser par l’auto-organisation, Gilbert Probst. Les Editions d’organisation. 1993

267 BOLTANSKI, Luc et CHIAPELLO, Eve. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, 1999

268 http://www.reseaurepas.free.fr

ou sociale…Peu importe le label, l’important est dans les pratiques. C’est pourquoi le réseau s’appelle réseau d’échanges et de pratiques alternatives et solidaires »269.

Chaque année est ainsi organisée une rencontre autour d’une thématique particulière sur le site d’une des 30 entreprises du réseau270. Ces rencontres sont ainsi « l’occasion de visiter des entreprises, de rencontrer d’autres « chercheurs explorateurs »271. Elles se composent d’atelier de réflexion sur les pratiques autogestionnaires et de séances plénières mutualisant ces réflexions, mais également de moments conviviaux autour de repas et de spectacles. Comme nous l’explique Béatrice Barras, l’une des fondatrices de ce réseau, « le mot « Repas » est un clin d’œil à la convivialité qui nous est chère »272.

Par ses initiatives, La Péniche souhaite bénéficier d’un réseau dense d’aide, de soutien, de formation réciproque…participant au développement de l’entreprise. L’entreprise souhaite également qu’en s’unissant, les entreprises autogérées bénéficient de plus de visibilité en France ; cette démarche participe donc d’une stratégie de publicisation, mais qui dépasse leur seule entreprise, leurs efforts étant en effet tournés vers le mouvement autogestionnaire dans son ensemble.

Cette activité de « réseautage » à donc une importance primordiale, l’entreprise est très attachée à cette relation particulière à son environnement et la considère comme fondamentale pour sa pérennité et son développement, mais également pour l’expansion de son modèle d’organisation. Ainsi, « l’extension et l’approfondissement du champ des complicités sont le secret de la réussite et doivent être le souci premier des entreprises alternatives »273.

Les entreprises autogérées sont donc à la fois ouvertes sur leur environnement extérieur mais fonctionnent pourtant en vase clos dans le sens où elles ne fréquentent que des structures similaires. Mais ce réseau semble s’élargir de jour en jour, notamment grâce aux thématiques de l’ « Economie Sociale et Solidaire » qui semblent pénétrer en profondeur le tissu social. Ce réseau offre donc désormais une multitude de contacts, qui ont l’avantage de se dérouler sur le mode de la « proximité », chacun ayant l’impression d’appartenir « au même monde ». Là encore la clôture de ce réseau est bien plus symbolique et psychologique que matérielle et structurelle.

269 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement, Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogéré. Editions REAPS, 2003.

270 Cf. annexe 3 : La Péniche : 19. Rencontre du REPAS le 26 et 27 novembre 2005 (p 179).

271 BARRAS, Béatrice. Moutons rebelles. Ardelaine, la fibre du développement local. Editions REPAS, 2003

272 BARRAS, Béatrice. Op. Cit. (2003).

273 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement, Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogéré. Editions REAPS, 2003.

En intégrant ces réseaux, La Péniche est donc à la fois ouverte sur son environnement, ce qui lui permet de se régénérer continuellement grâce à un apport d’informations toujours renouvelées, mais également « fermée », « close symboliquement » puisqu’elle ne s’ouvre que sur des structures portant le même projet qu’elle (expérimenter et publiciser l’autogestion et les pratiques alternatives), ce qui lui permet de bénéficier d’une forte identité.

La place que la Péniche occupe au sein du réseau REPAS (ainsi que les autres structures qui composent ce réseau) nous offre donc une illustration parfaite de ce processus paradoxal que nous décrit Jean-Pierre Dupuy274 selon lequel l’environnement du système participe à la clôture organisationnelle, cognitive et informationnelle de ce système.

La Péniche nous montre ainsi l’exemple d’un système à la fois fermé sur lui même et ouvert sur le monde.

Le réseau REPAS est également une illustration concrète de la métaphore holographique. Il se veut en effet un tout en lui-même, dont le projet spécifique (qu’il prenne le nom d’autogestion, d’économie social et solidaire, d’alternative…) est contenu dans chacune de ses parties (les différentes structures qui la compose).

Cette pratique du « réseautage » n’est pas sans rappeler la thématique fédéraliste propre à l’anarchisme autogestionnaire du XIX° siècle, et dont le réseau Repas pourrait être une illustration. Ainsi, plutôt que la révolution prolétarienne, Proudhon prônait davantage l’association des ouvriers et la découverte, l’invention de nouveaux modes de relations sociales et de nouvelles formes de structures économiques. A cette forme particulière d’association il donnera le nom de fédéralisme et l’objectif de lier différents groupements humains tout en les laissant libres et indépendants. Nous avons en effet défini l’idéal type autogestionnaire comme renvoyant à de « petites communautés autonomes respectueuses du pluralisme des éléments qui la constituent, mais fédérées entre elles par des relations d’entraide et de réciprocité ».

Le respect de la pluralité des éléments qui composent le réseau REAPS est perceptible au travers de l’extrême diversité des formes organisationnelles que prennent les entreprises qui composent ce réseau et qui, pourtant, portent toutes le même projet organisationnel : travailler autrement en expérimentant les principes autogestionnaires. Au travers de cette diversité on retrouve également le caractère hautement expérimental des entreprises autogestionnaires, où l’application des principes idéal typiques autogestionnaires peut prendre de multiples formes. Cette multiplicité de formes organisationnelles est le reflet même de la liberté laissée à chacun de ces collectifs qui décident par eux mêmes de la finalité de leur regroupement et des modalités pour y parvenir.

274 DUPUY, Jean-Pierre. Ordres et désordres, enquête sur un nouveau paradigme. Editions du Seuil, 198

Ainsi, Sainsaulieu, Tixier et Marty remarquent que « le paysage des organisations ayant adopté une dimension collective est très diversifié »275, de même, Emeric Bréhier constate l’ « impossibilité de percevoir l’autogestion comme uniforme »276. Et pour Jacques Grand’Maison, l’objectif de ces réseaux doit être de « permettre une variété des formules mais toujours autour d’un objectif : libérer la capacité de créativité, d’imagination et de concertation »277.

Le fédéralisme entre structures autogérées tente ainsi de concilier diversité et cohésion, autonomie et interdépendance, comme l’explique Henri Arvon : « Ces fédérations suivent des contrats synallagmatiques et commutatifs qui lient ceux qui y souscrivent mais chacun est libre de le résilier »278.

L’entreprise autogérée et les réseaux d’aide, de soutien et d’échanges dont elle s’entoure illustre ainsi parfaitement ce « monde connexionniste » en émergence, caractéristique des nouvelles formes organisationnelles. Comme en témoigne Béatrice Barras, fondatrice d’Ardelaine et du réseau Repas, « nos méthodes ont souvent fait appel au relationnel (…) La capacité à nouer des relations, à échanger des données, à créer des réseaux de confiance et de communauté d’intérêt est des plus performante, opérationnelle et satisfaisante »279.

Le réseau REPAS nous permet ainsi d’illustrer les similitudes que l’on retrouve entre certains éléments de la pensée autogestionnaire et les nouvelles théories organisationnelles. Toutes deux tournent en effet autour des problématiques interactionnelles de la dialectique et de la systémique cherchant à concilier l’individu et le collectif, autonomie et interdépendance, diversité et cohésion…et toutes deux militent pour l’expérimentation de nouvelles formes organisationnelles, basée sur l’invention de nouvelles relations qui ne doivent pas n’être qu’un moyen au service d’un finalité purement économique, mais doivent aussi être considérées comme la condition même de la constitution de la société et du développement de l’intelligence.

275 SAINSAULIEU, TIXIER et MARTY. La démocratie en organisation. Librairie des Méridiens. 1983

276 BREHIER, Emeric. Le CERES et l’autogestion au travers de ses revus. In L’autogestion, la dernière utopie ? Sous la direction de Frank Georgi, publication de la Sorbonne, 2003.

277 GRAND’MAISON, Jacques. Une tentative d’autogestion. Les Presses de l’Université de Montréal, 1975

278 ARVON, Henri. L’autogestion. PUF. Que sais-je ?, A980.

279 BARRAS, Béatrice. Moutons rebelles. Ardelaine, la fibre du développement local. Editions REPAS, 2003

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261 Autogestion, mode d’emploi.

262 Autogestion, mode d’emploi.

263 CASTEL, Odile. La dynamique institutionnelle de l’économie populaire solidaire dans les pays du sud. En ligne sur : http://www.uqo.ca/ries2001/Economie/Populaire/cahierspdf/ CI4.pdf , 2001

264 Directrice générale de Fagor électroménager, l’une des 80 coopératives de Fagor.

265 La coopérative Mondragon, une idée d’avenir ? Film de Wiltrud Kremer.

266 PROBST, Gilbert. Organiser par l’auto-organisation, Gilbert Probst. Les Editions d’organisation. 1993

267 BOLTANSKI, Luc et CHIAPELLO, Eve. Le nouvel esprit du capitalisme. Gallimard, 1999

268 http://www.reseaurepas.free.fr

269 BARRAS, Béatrice. Moutons rebelles. Ardelaine, la fibre du développement local. Editions REPAS, 2003

270 Cf. annexe 3 : La Péniche : 19. Rencontre du REPAS le 26 et 27 novembre 2005 (p 179).

271 BARRAS, Béatrice. Moutons rebelles. Ardelaine, la fibre du développement local. Editions REPAS, 2003

272 BARRAS, Béatrice. Op. Cit. (2003).

273 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement, Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogéré. Editions REAPS, 2003.

274 DUPUY, Jean-Pierre. Ordres et désordres, enquête sur un nouveau paradigme. Editions du Seuil, 198

275 SAINSAULIEU, TIXIER et MARTY. La démocratie en organisation. Librairie des Méridiens. 1983

276 BREHIER, Emeric. Le CERES et l’autogestion au travers de ses revus. In L’autogestion, la dernière utopie ? Sous la direction de Frank Georgi, publication de la Sorbonne, 2003.

277 GRAND’MAISON, Jacques. Une tentative d’autogestion. Les Presses de l’Université de Montréal, 1975

278 ARVON, Henri. L’autogestion. PUF. Que sais-je ?, A980.

279 BARRAS, Béatrice. Moutons rebelles. Ardelaine, la fibre du développement local. Editions REPAS, 2003


Questions Fréquemment Posées

Comment le réseautage autogéré contribue-t-il à l’innovation ?

Le réseautage autogéré permet de créer une communauté destinée à développer l’interconnaissance et la mise en réseau des structures autogérées, favorisant ainsi des échanges d’expériences et de services.

Quels sont les principes du réseautage autogéré selon La Péniche ?

Les relations dans le réseautage autogéré ne sont pas de subordination mais de collaboration, transcendant la simple visée économique tout en permettant une certaine concurrence.

Quelle est l’importance de l’interdépendance dans le réseautage autogéré ?

L’interdépendance et l’autonomie deviennent complémentaires, permettant aux structures de bénéficier d’un sentiment de puissance en échangeant informations, stratégies et expériences.

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