Les réformes institutionnelles de l’UA révèlent des lacunes surprenantes dans la capacité de l’Union africaine à gérer les crises. En examinant ces défis, cet article propose des solutions innovantes pour renforcer l’intégration régionale en Afrique, essentielle pour l’avenir du continent.
DEUXIEME PARTIE : ARCHITECTURE
INSTITUTIONNELLE A AMELIORER
Destinée à remédier à certaines insuffisances de l’OUA, l’Union africaine a vu sa capacité à réagir efficacement aux crises, entravée par des problèmes institutionnels qui existaient bien avant sa création en 2002 pour remplacer l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
De ce fait, l’UA est toujours handicapée par les mêmes faiblesses institutionnelles qui avaient entravée l’OUA. Dans un nombre croissant de cas, les membres ont également ouvertement sapé et défié les résolutions de l’UA.
L’impuissance de l’UA face aux situations en RDC, au Burundi et au Soudan du Sud entre autres crises, montre que les réformes institutionnelles destinées à remédier aux problèmes du passé n’ont pas encore produit leurs fruits.
D’où la nécessité de réexaminer les arguments en faveur d’un équilibrage institutionnel de l’UA parallèlement à la nécessité de renforcer la portée de ses normes communautaires.
CHAPITRE PREMIER : REEQUILIBRAGE DU DISPOSITIF INSTITUTIONNEL
La question de la réforme institutionnelle de l’UA ne se pose plus en termes de pertinence, mais plutôt sous l’angle de la meilleure manière d’adapter le fonctionnement des organes aux exigences d’efficacité tout en renforçant la participation citoyenne en vue de l’atteinte de l’objectif ultime.
Sous l’impulsion du président rwandais Paul Kagame, la dernière initiative de réforme de l’UA a été lancée en 2016. Son rapport final résumait le dilemme suprême :
« En ne suivant pas de manière systématique la mise en œuvre des décisions que nous avons prises, nous avons envoyé le message qu’elles n’avaient aucune importance. En conséquence, notre organisation est dysfonctionnelle, les États membres y accordent peu de valeur, les partenaires mondiaux y trouvent peu de crédibilité et nos citoyens n’ont pas confiance en elle. »37 Le rapport a fait quatre recommandations générales, à savoir : (1) réduire à quatre les priorités onéreuses de l’UA [paix et sécurité, affaires politiques, intégration économique et représentation internationale],
- réformer les institutions de l’organisation pour concrétiser ces priorités,
- prendre des mesures pour atteindre l’autosuffisance financière et gérer l’UA de manière efficace et efficiente.
Dans le cadre de la mise en œuvre de la deuxième et de la quatrième recommandation, il est nécessaire d’opérer une adaptation des institutions de l’UA aux enjeux actuels et de renforcer les organes de contrôle et ceux à vocation consultative.
37 Rapport intitulé The imperative to strengthen our union, Report on the proposed recommendations for the institutional reform of the African Union, H.E. Paul KAGAME, 29 janvier 2017 disponible sur le site :
https//au.int/fr/reforme-de-lua, page consultée le 20 octobre 2020
Section première : Nécessité d’adaptation des institutions
Adapter les organes de l’UA pour une gestion axée sur les résultats, suppose qu’il faille envisager l’amélioration de l’efficacité des organes politiques face à la nécessité de renforcer le rôle des organes techniques.
Paragraphe 1 : Les organes politiques de l’UA à reformer
Il s’agira pour l’UA de modeler ses organes de manière à approcher les degrés de légitimité dont jouissent les institutions de l’UE, par une poursuite de la délégation de certains pouvoirs de la Conférence aux organes sous sa subordination et une amélioration de l’élection et du pouvoir du parlement panafricain.
A- Délégation de pouvoirs de la Conférence
En toute évidence, l’agenda des dirigeants politiques (Chefs d’Etat et de Gouvernement) est éminemment chargé pour leur permettre de dégager suffisamment du temps et d’énergie pour mener avec efficacité et efficience le combat du développement aussi bien de leur propre pays que pour le compte des 55 Etats membres de l’Union africaine.
L’intégration africaine est avant tout un projet politique. Toutes les grandes avancées réalisées jusqu’ici ont été le fruit de l’engagement de leaders africains qui ont exposé clairement leur vision et sont parvenus à convaincre et rassembler. Comme tout projet de ce type, l’intégration africaine a besoin de solides fondements politiques et de moteurs capables de mener ce processus.
Les États membres africains ont un rôle crucial à jouer ici, mais seuls certains pays disposent du poids, de l’influence et de la crédibilité nécessaires pour assumer facilement un tel leadership.
Depuis le milieu des années 90, sous le leadership du président Nelson Mandela puis du président Thabo Mbeki, l’Afrique du Sud a été à l’avant-garde de l’intégration africaine. Elle semble désormais plus préoccupée par l’intégration au niveau de l’Afrique australe, en particulier dans le cadre de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC).
De manière similaire, le Nigeria a joué un rôle important pendant un certain temps, grâce à l’engagement du président Obasanjo. Confronté à l’heure actuelle à de graves problèmes internes, ce pays ne semble plus très désireux de jouer un rôle de premier plan dans l’intégration africaine.
La Libye a également cherché à assumer ce leadership, mais le départ du guide libyen Mouammar Kadhafi, a plongé le pays dans un chaos à nul autre pareil.
L’absence d’un leadership politique solide et crédible, et de ‘’pays locomotives’’ du processus, ralentit le rythme auquel l’intégration avance et se traduit parfois par une certaine confusion.
C’est sans doute ce qui explique pourquoi à intervalles réguliers, les chefs d’État africains reviennent à ce que certains ont appelé le régionalisme « renforçateur de régime », avec l’adoption de grandes déclarations officielles qui a priori semblent assez impressionnantes mais sont rarement traduites dans la pratique.
Convenir d’importants pas en avant est une excellente chose, encore faut-il que ces avancées soient accompagnées d’un leadership fort, clair et continu, veillant à la véritable mise en œuvre de ces intentions dans la pratique.
Par ailleurs, pour lancer véritablement la machine de l’intégration africaine, il conviendrait, à l’exemple de l’expérience de l’Union européenne, que la Conférence se hisse au-dessus de la mêlée et se concentre sur son rôle d’impulsion et d’orientation en cédant certains pouvoirs de décision aux organes techniques que sont le Conseil exécutif et la Commission/Autorité de l’Union.
D’ailleurs, une telle perspective n’est pas étrangère aux procédures de l’UA en raison de ce que l’Acte constitutif a prévu ce scénario de transfert de pouvoir de la Conférence à un autre organe. L’article 9, alinéa 2 dispose expressément que : « La Conférence peut déléguer certains de ses pouvoirs et attributions à l’un ou l’autre des organes de l’Union ».38
Cette disposition « constitutionnelle » vient d’être expérimentée à l’occasion de sa session annuelle de janvier 2018 où la Conférence a décidé de la délégation de ses pouvoirs et fonctions d’adoption du budget au Conseil exécutif, dans le cadre des réformes institutionnelles mises en route à partir de juillet 2016.
De même, pour les questions de paix et de sécurité, la Conférence a délégué sa compétence au Conseil de paix et de sécurité (CPS) lorsque celui-ci est devenu opérationnel en 2004. Créé en 2003, le CPS est l’organe permanent pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits (Protocole sur les amendements à l’Acte constitutif, article 9).
En juillet 2016, la Conférence de l’UA a jugé qu’une réforme institutionnelle de l’Union était nécessaire et a confié l’étude à cet effet au président du Rwanda, Paul Kagame (Assembly/AU/Dec.606(XXVII)). Le 29 janvier 2017, la Conférence a adopté le rapport du président Kagame, intitulé « L’impératif de renforcer notre Union: propositions de recommandations relatives à la réforme institutionnelle de l’Union africaine
» et convenu d’accélérer les mesures de réforme (Assembly/AU/Dec.635(XXVIII)). Le sommet de la Conférence qui s’est tenu en juillet 2017 a pris note du rapport d’avancement du président Kagame et préconisé la mise en œuvre de la décision de réforme conformément au calendrier et aux étapes stipulés dans le rapport (Assembly/AU/Dec.650(XXIX)). Cette décision réitère également que le processus de mise en œuvre devra incorporer les propositions et suggestions formulées et acceptées par les États membres.
Les recommandations relatives aux réformes proposées, comme indiqué dans la décision 635 de la Conférence de janvier 2017, concernent les cinq domaines suivants:
- concentration des efforts sur les principales priorités affectant l’ensemble du continent ;
- réalignement des institutions de l’UA en vue de réaliser ses priorités ;
- connexion de l’UA à ses citoyens ;
- gestion efficace des affaires de l’UA sur les plans politique et opérationnel ;
- financement durable de l’UA avec pleine maîtrise par les États membres.39 Par ailleurs, la Conférence a pris des décisions visant à faire progresser :
- la représentation égale des femmes et des hommes ;
- l’augmentation de la représentation des jeunes et le financement des programmes d’autonomisation de la jeunesse ;
- la délégation des pouvoirs et fonctions d’adoption du budget au Conseil exécutif ;
- le financement de l’Union.
39 Par un prélèvement de 0,2% sur les importations hors d’Afrique
En juillet 2018, la Conférence de l’UA a salué le rapport d’avancement sur les réformes et les progrès réalisés pour renforcer le processus de consultation et mettre en œuvre les réformes budgétaires et financières (Assembly/AU/Dec.690(XXXI)).
La Conférence a demandé à la CUA de finaliser ses propositions et recommandations en fonction des conclusions préliminaires sur le Parlement panafricain, le Conseil de paix et de sécurité, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs et le Conseil consultatif sur la corruption.
La Conférence a également demandé à la CUA de mettre en œuvre la réforme de la CUA en vue d’améliorer l’efficacité administrative, opérationnelle et procédurale d’ensemble.
Plusieurs propositions spécifiques ont été présentées pour soutenir ces réformes. Au sommet de la liste se trouve la recommandation de restaurer l’indépendance de la CUA. Cela implique de permettre au président de la Commission de nommer les adjoints et les commissaires et de procéder à un examen approfondi du CPS, ainsi que des organes judiciaires et législatifs, en vue de les rendre plus autonomes.
Lors du Sommet de l’UA de novembre 2018, les dirigeants se sont montrés favorables à la réduction des priorités de l’UA et à la rationalisation de ses opérations. Cependant, ils ont rejeté les recommandations sur le renforcement de la Commission de l’UA.
L’absence de consensus sur les réformes révèle un fossé majeur entre les chefs d’État africains et les experts.
Nous pensons qu’il est impératif pour l’avancée de l’intégration que la Conférence fasse montre de volonté politique pour aller plus loin sur le sentier du transfert de certaines de ses compétences de décision aux organes techniques et exécutifs, pour garantir l’efficacité de l’Union africaine, notamment conférer, à un certain degré, un pouvoir législatif au parlement panafricain.
B- Parlement panafricain davantage technique
A l’heure actuelle, la situation du parlement panafricain (PAP) est loin de paraître reluisante. Il est une émanation des délégués des parlements nationaux.
Le Parlement panafricain se compose de cinq parlementaires désignés par État membre ayant ratifié le Protocole l’instituant, dont au moins une femme par État membre, reflétant la diversité des opinions politiques représentées dans leur propre assemblée délibérante nationale.
Conformément à l’article 7 alinéa 2 du règlement intérieur du PAP, le mandat d’un parlementaire commence lorsqu’il ou elle a prêté serment ou prononcé une déclaration solennelle en session plénière du PAP. Le mandat du parlementaire doit correspondre au mandat de son parlement national ou de toute autre assemblée délibérante qui l’a élu ou désigné.
Comparée aux fonctions générales d’un parlement, en l’occurrence celles du parlement européen, la situation du parlement panafricain révèle une série d’éléments susceptibles de constituer des obstacles à l’atteinte de ses objectifs.
Il y a en premier lieu de relever que l’attachement à la souveraineté représente la menace la plus importante et la plus sérieuse pour le parlement panafricain. Cela s’observe à travers la représentation équitable des Etats au sein de cette institution (nombre égal de représentants pour chaque Etat) indépendamment de la taille, de la population ou de la puissance économique et démographique de chaque pays.
Cela semble traduire, de la part de la majorité des Etats membres de l’UA, une certaine peur du risque d’hégémonie des grandes puissances sur les capacités et les ressources du continent africain.
Selon toute logique, le parlement panafricain devrait être « représentatif des peuples africains d’une manière proportionnelle »40, notamment lorsque ledit Parlement sera doté d’un pouvoir législatif. Ce point de vue a rencontré l’approbation des pays de grandes étendues tels que Nigéria, l’Afrique du Sud et Madagascar, mais il a été combattu par les pays de petite ou moyenne taille tels que le Burkina Faso, l’Ouganda, la Zambie, le Mali, le Mozambique, le Sénégal et la Gambie. Il a donc été décidé de renvoyer la question à la conférence de l’Union qui devra trancher.
Ensuite, dans l’état actuel des choses, le talon d’Achille le plus marquant du parlement panafricain, c’est qu’il ne légifère pas encore, ni ne contrôle l’action des autres organes de l’Union, comme c’est le cas dans l’Union européenne. Jusque-là, il n’a qu’un rôle purement consultatif, une situation qui devra évoluer une fois la période de transition passée.
Se référant aux pouvoirs et aux compétences attribués à la Conférence de l’Union, nous remarquons que cette instance est la seule dotée du pouvoir législatif. Or, après la période de transition, le parlement panafricain devrait lui aussi jouir de ce pouvoir de législation. A ce moment, il se posera la question de la clarification et de la répartition des pouvoirs et compétences de chacune des deux institutions, sinon celle de l’interférence ou du chevauchement de compétences entre les deux organes.
Ce problème pourrait trouver une solution par un amendement du protocole instituant le PAP, ce qui relève encore de la responsabilité de la Conférence.
Un autre grief qu’on est fondé de faire vis-à-vis du PAP, c’est que les textes de l’UA passent sous silence le mode de sélection, au niveau de chaque Etat, de ses cinq parlementaires. Etant donné qu’aussi bien la Conférence que le Conseil exécutif sont composés de représentants désignés, il serait fort souhaitable que les textes du PAP précisent que les députés panafricains doivent être élus par les citoyens à l’occasion des élections législatives nationales.
Enfin, en vue de rendre le PAP techniquement actif, il serait bien, en termes d’attributions et de compétences, que ce dernier puisse contrôler et évaluer l’exécution des tâches confiées aux comités techniques spécialisés et aux autres organes secondaires.
De plus, il conviendrait de lui octroyer le pouvoir de demander des informations ou des études spécialisées jugées nécessaires à ces comités et à ces organes. Enfin, pour assurer une cohabitation institutionnelle apaisée, le PAP devrait recouvrer son droit de demander des avis consultatifs à la Cour Africaine de Justice sur toute question relative à ses compétences.
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37 Rapport intitulé The imperative to strengthen our union, Report on the proposed recommendations for the institutional reform of the African Union, H.E. Paul KAGAME, 29 janvier 2017 disponible sur le site :
https//au.int/fr/reforme-de-lua, page consultée le 20 octobre 2020 ↑
38 L’article 9 de l’Acte constitutif de l’Union africaine ↑
40 ELABIDI (Abdalla), L’évaluation de l’Union africaine par rapport à l’Union européenne (comme un modèle de régulation juridique internationale d’excellence) : étude comparative, thèse de doctorat, Université d’Auvergne- Clermont Ferrand I, 2015, p.598 ↑
39 Par un prélèvement de 0,2% sur les importations hors d’Afrique ↑
Questions Fréquemment Posées
Quelles sont les principales recommandations pour réformer l’Union africaine ?
Le rapport final de l’initiative de réforme de l’UA a fait quatre recommandations générales : réduire à quatre les priorités onéreuses de l’UA, réformer les institutions de l’organisation pour concrétiser ces priorités, prendre des mesures pour atteindre l’autosuffisance financière et gérer l’UA de manière efficace et efficiente.
Pourquoi l’Union africaine a-t-elle besoin de réformes institutionnelles ?
L’UA est toujours handicapée par les mêmes faiblesses institutionnelles qui avaient entravé l’OUA, et son incapacité à réagir efficacement aux crises montre que les réformes destinées à remédier aux problèmes du passé n’ont pas encore produit leurs fruits.
Comment l’Union africaine peut-elle améliorer son efficacité ?
Pour améliorer son efficacité, l’UA doit envisager l’amélioration de l’efficacité des organes politiques et renforcer le rôle des organes techniques, tout en déléguant certains pouvoirs de la Conférence aux organes sous sa subordination.