Les perspectives d’avenir pour l’autogestion révèlent un paradoxe fascinant : bien que ce concept ait été éclipsé depuis les années 80, ses principes de participation et de responsabilisation sont plus pertinents que jamais. Cette recherche promet de redéfinir l’autogestion comme un modèle organisationnel essentiel dans le contexte actuel.
Les bouleversements organisationnels concomitants à cette
« socialisation » :
- La fin de la division du travail et la socialisation de la formation :
- une prise de décision collégiale et à un travail collaboratif, base de l’ « intelligence collective » :
La multiplicité des points de vues qui s’expriment à chaque négociation (lors des réunions ou en situation de travail) permet ainsi de procéder à une évaluation plus complète de chacun des problèmes, certains étant plus sensibles aux aspects économiques, d’autres aux aspects logistiques, d’autres au bien être et à la joie que doivent procurer ces activités…
La prise en considération de l’ensemble des points de vue des membres d’une entreprise est également un principe organisationnel défendu par les nouvelles théories organisationnelles, comme nous l’avons évoqué précédemment, notamment au travers des travaux d’Arlette Bouzon208.
Serge Amabile plaide ainsi pour le développement d’une « organisation attentive », dont l’une des difficultés sera de « de penser et d’imaginer de nouveaux processus d’incitation et de mobilisation afin d’utiliser l’ensemble des moyens de perception et d’interprétation de l’entreprise ».
Les pratiques et dispositifs organisationnels que développe La Péniche pour déployer l’intelligence collective et pratique de ses membres peuvent nous donner à voir un exemple concret de cette « organisation attentive ».
Non seulement la Péniche s’appuie sur une prise de décision collective, mais elle tient également à ce que l’activité productive soit tout aussi collégiale. Elle lutte ainsi contre une
208 BOUZON, Arlette. Les représentations sociales dans l’entreprise. In Communications organisationnelles, objets, pratiques, dispositifs (textes réunis par Pierre Delcambre). Presse universitaire de Rennes, 2000.
division du travail entre conceptualisation et exécution, mais également contre une division de la production en tâches et postes individualisés.
Ainsi, personne ne travaille jamais seul sur un dossier. Non seulement chacun apporte son aide et son avis, mais la Péniche pratique également l’écriture collective.
Les méthodes d’écriture suivent ainsi des principes collectifs impliquant plusieurs salariés mais également les clients. En effet, ceux-ci définissent le support de communication, les cibles auxquelles ils s’adressent, et éventuellement les sujets et la manière dont ils seront traités. Ils fournissent également les documentations utiles à la rédaction des articles. La Péniche est également libre de proposer des sujets. Ce sont généralement les rédacteurs qui choissent les angles des sujets en en discutant collectivement au cours des réunions hebdomadaires.
Si certains articles ne font pas l’objet d’une écriture collective, ils sont néanmoins réalisés par plusieurs salariés puisque chacun apporte les informations ou les éléments nécessaires à la rédaction des sujets. De plus, les articles font toujours l’objet d’une relecture par un ou plusieurs autres rédacteurs. Certaines relectures sont également confiées à des spécialistes (par exemple à un avocat lorsqu’il s’agit d’un article juridique commentant la création ou la modification d’une loi). La Péniche expose ensuite le travail réalisé au client qui effectue une dernière relecture et fait part de ses corrections.
Ces méthodes d’écriture collective participent à multiplier les échanges et les occasions de formations réciproques.
En outre, la prise en charge partagée des dossiers évite les éventuelles absurdités liées à la personnalisation des dossiers, et notamment les perversités de l’ « effet de gel » (notion de psychosociologie mettant en lumière les difficultés à remettre en cause ses décisions initiales), chacun participe ici aux décloisonnement cognitif des autres.
Ces pratiques permettent également un partage des risques : ainsi les problèmes clientèles ou les échecs ne se vivent pas seuls mais collectivement.
- Un travail polyvalent et « complet »:
La gestion collective du travail et de l’entreprise et la conciliation entre prise de décision et exécution du travail passent également par une non spécialisation des postes de travail. Qu’il s’agisse de rédactionnel, de démarchage, de suivi des clients, de gestion ou d’administration, tout le monde est censé s’essayer à tout.
« Sans tomber dans l’excès, [les membres de La Péniche souhaitent] développer une prise en charge collective des différentes tâches à effectuer. Ce qui implique que chacun s’intéresse à tout et se forme à toutes les tâches nécessaires au fonctionnement de l’entreprise. Il faut essayer de diffuser par la formation et le travail à plusieurs la maîtrise des enjeux de chaque tâche [pour] éviter que ne se dessine une hiérarchie insidieuse derrière la hiérarchie des compétences »209.
Cette polyvalence est obtenue par la formation à toutes les fonctions que recèle l’entreprise et grâce à un principe de « postes tournants ». On retrouve ici le principe de « redondance », au fondement de l’organisation holographique publicisé par les nouvelles théories organisationnelles, où le tout est inscrit dans chacune des parties.
Le partage des compétences et la non spécialisation du travail poursuivent plusieurs objectifs :
-« Toucher à tout » permet d’avoir une vision globale de l’entreprise (la spécialisation entraînant un cloisonnement de l’activité et de la compréhension que chaque salarié en a : chacun dispose ainsi des informations essentielles pour participer à l’organisation et à la gestion de l’entreprise, et pour s’y impliquer pleinement.
209 Autogestion, mode d’emploi.
-Le partage des compétences permet ainsi de rendre effective la participation au travers du partage du pouvoir et des décisions.
-De même, chacun est censé pouvoir faire face au moindre problème qu’il rencontre, quel que soit le domaine de l’entreprise ou de l’activité concerné.
En outre, tout le monde ayant les mêmes compétences, personne n’est indispensable, ce qui évite les problèmes organisationnels liés à l’absence ou au départ d’une personne, ainsi que les éventuelles « prise de pouvoir ».
Cette « dissémination » des compétences permet ainsi à l’entreprise de jouir de plus de souplesse et de flexibilité tout en luttant contre les principes hiérarchiques.
Le partage de l’information au travers de la non spécialisation des postes permet également de créer un langage commun (chacun disposant des mêmes informations) qui favorise l’entente et le consensus lors des négociations.
Mais dans la réalité, on constate une certaine spécialisation des tâches. En effet, certaines activités, comme la gestion ou le démarchage client, ne sont assurées que par un seul ou par quelques employés. Cependant chacun des salariés a reçu une formation à la gestion (assurée par un de leur collègue) et chacun à également la possibilité de faire du démarchage et de la relation clientèle.
Ainsi, à son arrivée, chacun reçoit une formation interne aux domaines qu’il maîtrise le moins. Progressivement, son activité le portera vers les tâches qui lui conviennent le mieux et qui lui apportent le plus de plaisir. Ainsi, l’objectif est que « Chacun [fasse] plus ce qu’il aime et se contraint à faire un minimum de ce qu’il n’aime guère »210.
Ainsi, à La Péniche, ce n’est pas aux salariés de s’adapter à un poste prédéfini, contrairement aux entreprises hétérogérées où « les postes de travail sont installés en fonction de normes correspondant à un individu abstrait, à une moyenne statistique et ne tiennent en aucune façon compte des spécificités des uns et des autres »211. Les salariés parcourent l’ensemble de la
« chaîne de production », et choisissent l’activité qui leur convient le mieux quant à leur à leurs connaissances, mais également quant aux compétences qu’ils se découvrent en situation de travail, et peut être surtout quant à leurs aspirations.
Les formations se font donc essentiellement en interne et tentent d’apporter un maximum de savoir et de savoir faire nécessaires au bon déroulement du travail mais aussi au bon fonctionnement de l’entreprise : Ceux qui n’ont guère l’expérience de l’écriture d’articles (qui n’est pas la première compétence recherchée lors d’un recrutement) sont formés à la
210 Autogestion, mode d’emploi.
211 LINHART, Danièle. Le torticolis de l’autruche, l’éternelle modernisation des entreprises françaises. Seuil, 1991
rédaction. Chacun essaie également d’apporter aux autres un maximum de données sur le milieu associatif et le secteur de l’économie sociale et solidaire. Chacun est ainsi formé à un métier/une activité (la rédaction) et à un secteur de spécialisation (l’associatif et l’Economie Sociale et Solidaire). Chacun maîtrise ainsi la forme et le fond des articles qu’il est amené à rédiger au quotidien.
Est également enseigné un mode de travail particulier : l’écriture collective. Des formations à la comptabilité et à la gestion permettent ensuite à chacun d’être initié à la gestion d’entreprise. Certes, « tous, dans la structure, n’attei[gnent] pas un degré de compétence complet sur les outils de suivi de gestion. Ce serait idéal, mais c’est rarement le cas.
Pourtant l’un de ces outils doit être compris et intégré par tous pour un bon fonctionnement autogestionnaire. Il s’agit de l’exploitation212. C’est l’outil qui est le reflet le plus complet de l’activité économique de la structure et de sa viabilité fondamentale. Il est donc impératif que tout le monde le comprenne »213.
Enfin, on laisse progressivement les salariés gérer la relation clientèle des dossiers dont ils ont la charge. Chacun se forme alors de lui-même et en pratique à la gestion de l’environnement de l’entreprise.
Chacun est donc formé à toutes les activités qui prennent place au sein de l’entreprise et chacun possède l’ensemble des informations et des compétences nécessaires au fonctionnement global de la structure. On retrouve ici le principe de redondance des fonctions, à la base de l’organisation holographique.
L’extension et le renouvellement des compétences s’opèrent par l’arrivée régulière de nouveaux salariés (une embauche par an en moyenne), permettant à l’entreprise de bénéficier d’un nouveau vivier de savoirs et de savoir-faire.
L’entreprise apprend également beaucoup au contact de son environnement au travers de réseaux d’échanges d’expériences et de groupes de réflexion sur l’autogestion. Mais cette
212 Cf. annexe 3 : La Péniche : 13. Les fiches gestion (p 156).
213 Autogestion, mode d’emploi.
formation, si elle fait intervenir l’environnement de l’entreprise, peut toujours être qualifiée de « formation interne » car toutes ces entreprises appartiennent aux mêmes réseaux et surtout à un même monde : celui de l’autogestion.
Ces pratiques particulières de formation « interne » et réciproque marquent bien une socialisation des moyens de formation puisque chacun est à la fois simultanément formateur et formé.
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208 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
209 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
210 Autogestion, mode d’emploi. ↑
211 LINHART, Danièle. Le torticolis de l’autruche, l’éternelle modernisation des entreprises françaises. Seuil, 1991. ↑
212 Cf. annexe 3 : La Péniche : 13. Les fiches gestion (p 156). ↑
213 Autogestion, mode d’emploi. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que l’autogestion dans le contexte organisationnel actuel ?
L’autogestion se réfère à une prise de décision collégiale et à un travail collaboratif, qui sont des bases de l’intelligence collective.
Comment La Péniche met-elle en pratique l’intelligence collective ?
La Péniche s’appuie sur une prise de décision collective et pratique l’écriture collective, impliquant plusieurs salariés et clients dans le processus.
Pourquoi est-il important de considérer tous les points de vue dans une entreprise ?
Prendre en considération l’ensemble des points de vue permet une évaluation plus complète des problèmes, en tenant compte des aspects économiques, logistiques et du bien-être des membres.