Comment la méthodologie révèle les inégalités éducatives en Haïti ?

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🏫 Université d'État d'Haïti - Faculté des Sciences Humaines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de licence
🎓 Auteur·trice·s
Chéry, Jeanne-Elsa
Chéry, Jeanne-Elsa

La méthodologie de recherche éducative révèle un constat alarmant : les filles en Haïti subissent une inégalité marquée dans l’accès à l’éducation. Cette étude met en lumière comment les stéréotypes de genre façonnent les dynamiques scolaires, avec des implications cruciales pour l’avenir éducatif des adolescentes.


5.2- Éducation en Haïti : un terrain propice à l’inégalité entre les sexes

5.2.1- Sexisme et déperdition scolaire

Les femmes ne bénéficient pas d’un accès égal aux hommes à l’éducation. Elles sont moins alphabétisées et ont moins de chance de boucler leur cycles d’études que les hommes et ce, en dépit des avancées significatives dans le secteur : « Si, sur le plan de l’alphabétisation, on constate des progrès en termes absolus durant les quinze (15) dernières années (48, 3 d’hommes alphabétisés et 43,4 de femmes en 1995-1997 (PNUD,1999) contre 37,3 d’hommes et 32,5 de femmes en 1982 (Anglade, 1996), l’écart entre les

deux sexes demeure et semblerait même se creuser dans certaines régions et à certains niveaux. (F. Houtard et A. Remy, 2000 :22). Notons qu’en ce domaine, Haïti est en retard par rapport aux autres régions de la Caraïbe. Haïti affiche un taux d’alphabétisation de 48,3 % d’hommes et 43, 4 % de femmes alors que la Jamaïque, la République dominicaine et Cuba affichent presque le double de ce pourcentage a fait remarquer Myrtha Gilbert (Gilbert, 2001 :19).

Par rapport à la déperdition scolaire des filles, il convient de prendre en compte plusieurs facteurs. Evelyne Trouillot Ménard (Ménard, 2013 : 37) reconnait que les lieux de résidence, les conditions économiques et la mentalité par rapport au sexe affectent de manière significative la scolarité des filles. Dans les milieux ruraux, l’accès aux structures scolaires est

plus difficile pour les filles qu’en ville et que la situation économique affecte la parité. Au niveau supérieur, si les établissements accusent un taux de 26% de fréquentation des filles dans les établissements publics, elle est plus élevée dans les établissements privés où la situation économique des familles permet aux filles de poursuivre des études plus avancées.

De manière générale, le cantonnement des filles dans des activités domestiques les empêche de se projeter comme actrices autonomes de leur avenir. Il y a aussi cette tendance et non des moindres à considérer que les femmes disposent d’échappatoires à l’école comme le mariage, ce qui fait voir l’excellence scolaire comme une moindre priorité pour elles.

La grossesse prématurée est à prendre en compte, de même que le fait que les parents encadrent davantage leurs fils dans leur parcours scolaire sans compter le harcèlement et le système de cuissage pour les notes qui les affectent particulièrement. Les risques d’abandon scolaire sont énormes pour les filles des couches défavorisées, affectant la parité encore précaire dans l’enseignement.

Les mentalités persistent, de manière à creuser des écarts déjà existants à tous les niveaux entre les sexes. A ce titre, Sabine Lamour souligne : « Donc, outre le fait de lutter contre l’inégalité face au maintien, et l’abandon des filles du système scolaire, il faut lutter aussi contre les stéréotypes sexistes qui maintiennent les filles dans des rôles les empêchant de se projeter comme actrices à part entière dans la société.

Donc le maintien des filles dans le système scolaire doit-être la prise en compte de manière simultanée de plusieurs facteurs enchevêtrés » (Lamour, 2015 :26).

5.2.2- Héritage sexiste et éducation différentielle

Jean Price Mars a effleuré cette réalité en soulevant l’orientation même de l’éducation des jeunes filles haïtiennes qui n’a d’autre finalité que la préparation à leur rôle d’épouse, ce qui dans une certaine mesure postule leur infériorisation et la consécration à la vie domestique. Le mariage par exemple est considéré comme l’aboutissement ultime de la vie des femmes, ce à quoi elles doivent aspirer.

Ceci soulève un problème fondamental puisque l’accent est mis sur la propension de ces dernières à prioriser une vie au sein d’une famille et dont le corollaire est de prendre soin des enfants, alors que d’autres préoccupations par exemple le choix d’une carrière professionnelle réussie peut être laissé sur la sellette.

Il préconise par rapport à cet état de fait l’instruction, car pour lui, la femme de demain sera une femme instruite qui pourra définir elle-même ses choix, fruit de son indépendance. Nous nous demandons si cet aspect de l’éducation des filles au niveau des familles ne se poursuit pas

dans la conception des professeur.e.s et des élèves. Ces deux choses ne sont surement pas incompatibles, mais mettre l’accent sur l’un représente parfois une minimalisation de l’autre.

« Comme d’autre part, et très malheureusement, toute l’éducation qu’elles ont reçue ne les a formées qu’en vue d’une seule chose : le mariage ; cette préparation spéciale ayant failli à son objet essentiel, nos jeunes filles se sont vues brusquement inaptes à se garantir contre les risques et les multiples inconvénients de la vie hors mariage. » (Price Mars, 2013 :52).

A juste titre, l’écrivaine féministe nigériane très connue, Chimamanda Ngozie Adichie expose dans son texte « Nous sommes tous des féministes » comment dans la société nigériane, que les femmes sont formatées à être dociles, appréciées, à se trouver un mari, alors que les hommes sont particulièrement éduqués à être forts, à être des meneurs et très affirmatifs.

Relatant ses expériences personnelles du machisme ambiant, elle pointe avec humour les démarches opérées par des marieuses pour qu’elle trouve un mari. Ces femmes, des grandes tantes considèrent le fait d’avoir un mari comme de la valeur sociale ajoutée. Sans grande considération pour les projets personnels de la femme elle-même pour laquelle on ne se soucie pas.

Puis, faisant une critique de cette culture patriarcale dans laquelle elle a été élevée, elle postule « Nous apprenons aux garçons à redouter la peur, la faiblesse, la vulnérabilité. Nous leur apprenons à dissimuler leur vrai moi, car ils sont obligés d’être dans le parler nigérian, des hommes durs » (Adichie, 2018 : 32).

Il ne fait aujourd’hui aucun doute que filles et garçons sont socialisés de manière différente. La société a des attentes différentes de chacun d’eux et il n’y a pas que les institutions qui participent à cette éducation sexiste, différentielle dont les séquelles sont visibles aussi à l’école. Depuis la naissance et jusqu’à l’adolescence, certains comportements sont valorisés chez les garçons tandis qu’on les reprouve chez les filles.

La violence par exemple est plus encouragée chez les garçons que chez les filles à l’école alors qu’elle comporte des risques pour les deux sexes. Quitte à tomber dans une sorte de précaution stérile, on fait comme s’il y avait une frontière à ne pas franchir ; des limites entre les deux sexes à ne pas pousser.

Chacune des institutions de représentation de l’enfance dans l’éducation met sa part de sexisme dans la balance jusqu’à rendre impossible l’affranchissement des normes de genre imposées. Et quand cela arrive que des garçons ont des comportements considérés comme féminins ; l’inquiétude des parents ou des proches atteint son paroxysme. Ces comportements viennent des préjugés orchestrés par l’éducation reçue par les adultes eux-mêmes et qui ont la vie dure.

Un schéma bicatégoriel s’infiltre dans

les différences de traitement qui impose une représentation très rigide de ce qu’est le masculin/le féminin. On peut conclure que filles et garçons ne sont pas éduqués de manière similaire. Et cette non-similarité est source d’inégalité entre les deux. Les représentations transmises au fil des générations, les aspirations culturellement dévolues à l’un ou l’autre sexe influent sur leur identité de genre et les modèle à avoir des attitudes, des attentes qui conduisent à des parcours différents.

La domination de genre accuse une disproportion de pouvoir, de savoir, d’asymétrie en tout. C’est ce que Françoise Héritier (1996) dénonce à travers le concept de « Valence différentielle des sexes » qui est une politique de deux poids deux mesures, de hiérarchisation sexuelle et de domination masculine.

5.2.3-La mixité scolaire, enjeu pour l’égalité

Le genre est cette orchestration sociale qui assigne des rôles sexuels différents, inégalitaires, de moindre importance sur l’échiquier social, à laquelle participe activement l’éducation. Elle commence dans la famille pour se poursuivre dans d’autres institutions de prise en charge des nouvelles générations. Les trajectoires scolaires légitiment des stéréotypes de genre de toutes sortes qui été intériorisés par les apprenant.e.s.

Certaines recherches ont analysé les manuels scolaires, par exemple le mémoire de Kénise Phanord cité au tout début de ce travail, qui présente des représentations différenciées et fortement genrées et les représentations sociales qu’ils véhiculent, en participant à une minoration des rôles de la femme. Elles se basent sur une vision archaïque et traditionnelle, de même que sur un renforcement des conceptions sexuelles normées.

De grandes avancées quant aux rôles et aux métiers jadis considérés comme masculins dans lesquels les femmes s’exercent, ne sont nullement pris en compte dans les représentations. Ne faudrait-il pas se demander pourquoi le sexisme persiste autant à l’école ?

Isabelle Collet14 apporte quelques éléments de réponse à la perpétuation des stéréotypes liés au genre dans le système scolaire. D’après elle, la mixité ne concorde pas avec une vision égalitaire entre les sexes, une école mixte poursuit aujourd’hui d’autres objectifs tels que casser les prix et rendre l’école plus accessible, ce qui n’a pas toujours été le

14 Isabelle Collet, « A quoi sert la mixité, Filles/garçons à l’école ? », www.revue-projet.com, consulté le 23 janvier 2020.

cas, c’est pourquoi les disparités dans les choix de carrière demeurent tenaces, où l’on retrouve que des femmes et dans d’autres, que des hommes or, pour arriver à l’égalité, conclut-elle, il faut la mixité des carrières et des filières. Ce qui va au-delà du simple fait d’avoir filles et des garçons qui fréquentent le même établissement scolaire.

Claude Zaidman abonde dans le même sens ; elle s’interroge de son côté sur la coprésence des sexes dans l’espace public comme fait social en se basant sur des périodes historiques successives. Elle révèle que la mixité est à la base de motivations autres que l’égalité. Par exemple, l’Église de l’Ancien Régime poursuivait surtout la ségrégation entre les sexes qu’une exclusion des femmes et des filles dans l’éducation.

Alors quand survient une nouvelle politique de parité et de mode de gestion des populations dans le domaine du politique, elle a eu effet direct bénéfique pour les femmes qui ont contribué par l’augmentation de main d’œuvre à un nouveau type d’organisation scolaire où non seulement filles et garçons se côtoient mais aussi bénéficient du même type d’enseignement.

L’entre-deux guerres a favorisé cette nouvelle politique qui a abouti par souci de commodité que par une réelle volonté d’équité. Ce nouvel arrangement entre les sexes poursuivait des objectifs tels que la concurrence entre les États en même temps qu’il a pu aboutir suite à une demande croissante de femmes et de filles de faire carrière dans des filières supérieures.

« On peut dire que la mixité est instaurée « par commodité », c’est-à-dire dans une logique de gestion des flux scolaires et non dans un souci d’équité. À aucun moment il n’y a eu négociation d’un

« nouveau contrat de genre » au niveau de l’école »15.

Mixité et égalité ne sont pas automatiques. Et la mixité scolaire, considérée comme l’une des avancées pédagogiques qui remet en question une dualité et séparation des sexes n’empêche pas le sexisme. Nous avons vu que l’école mixte qui s’oppose aux écoles unisexes des siècles précédents ne débouche pas sur l’égalité. Des tares, des clichés sexistes persistent, fixant des rôles très concluants.

15 Claude Zaidman, « La mixité, un mode d’agencement des relations de sexe », https://journals.openedition.org/cedref, consulté le 2 février 2020.

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2 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001.

3 Auchan Les 4 Temps, La Défense.

14 Isabelle Collet, « A quoi sert la mixité, Filles/garçons à l’école ? », www.revue-projet.com, consulté le 23 janvier 2020.

15 Claude Zaidman, « La mixité, un mode d’agencement des relations de sexe », https://journals.openedition.org/cedref, consulté le 2 février 2020.


Questions Fréquemment Posées

Quelles sont les inégalités d’accès à l’éducation entre les sexes en Haïti?

Les femmes ne bénéficient pas d’un accès égal aux hommes à l’éducation, avec un taux d’alphabétisation de 48,3 % d’hommes contre 43,4 % de femmes.

Quels facteurs influencent la déperdition scolaire des filles en Haïti?

Les lieux de résidence, les conditions économiques et la mentalité par rapport au sexe affectent de manière significative la scolarité des filles.

Comment le sexisme impacte-t-il l’éducation des jeunes filles en Haïti?

Le sexisme en milieu scolaire et les stéréotypes de genre maintiennent les filles dans des rôles qui les empêchent de se projeter comme actrices autonomes de leur avenir.

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