L’innovation technologique en OHADA transforme les dynamiques d’attractivité des investissements directs étrangers. Ce mémoire met en lumière les défis juridiques et les stratégies adoptées par les États parties, soulignant l’importance cruciale de l’IDE pour la croissance économique régionale.
CHAPITRE II : LE CARACTERE PERFECTIBLE DE L’ESPACE JUDICIAIRE OHADA
L’espace judiciaire OHADA se présente comme une pyramide. Les juges de fond des juridictions nationales sont juges de droit commun du droit communautaire OHADA. Une juridiction est qualifiée de droit commun lorsqu’elle « a vocation à connaitre de toutes les affaires à moins qu’elles n’aient été attribuées par la loi à une autre juridiction ».
En d’autres termes, les juridictions de droit commun sont celles qui ont « une compétence de principe pour connaitre de tous les litiges sans qu’il soit besoin d’une loi spéciale pour les investir du pouvoir de juger de telle ou telle affaire ». Tandis que, la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, constitue au sommet de la pyramide la Cour de cassation supranationale comme conséquence de cela, les décisions de la CCJA bénéficient d’une force exécutoire communautaire.
Si sur le plan juridique l’espace OHADA est plus ou moins élaboré grâce à l’uniformité des règles juridiques applicables à l’ensemble des pays membres84, l’on peut douter cependant de l’existence réelle d’un espace judiciaire OHADA. En effet, l’absence d’harmonisation de la carte judiciaire et de coopération entre les juges de l’espace OHADA, contribuent à obstruer l’instauration d’un véritable espace judiciaire OHADA (Section I). Aussi, l’absence d’une circulation de la totalité des titres exécutoires constitue une autre lacune de l’espace judiciaire OHADA (Section II).
Section I : Le cloisonnement des systèmes judiciaires des Etats-parties à l’OHADA
Le cloisonnement se manifeste par l’absence d’harmonisation de la carte judiciaire des Etats membres (paragraphe I), et par l’absence de coopération entre les juges (paragraphe II).
Paragraphe I : L’absence d’harmonisation de la carte judiciaire et des procédures judiciaires OHADA
L’absence d’harmonisation de la carte judiciaire85 s’explique par plusieurs raisons.
La première raison provient du fait qu’une bonne partie de la doctrine mais aussi la CCJA estiment que l’OHADA « doit s’abstenir de toucher à l’organisation judiciaire des Etats-parties ou à l’organisation administrative des Etats-parties »86. En effet, pour la doctrine, l’OHADA n’a pas pour ambition de modifier l’organisation judiciaire interne des Etats-membres mais d’uniformiser le droit des affaires.
La CCJA quant à elle, estime qu’il faut reconnaître la compétence des Etats-membres de l’OHADA vis-à-vis de leur organisation judiciaire telle qu’organisée par chaque Etat-membre de l’OHADA. « Ainsi, en matière de voies d’exécution, la CCJA affirme dans l’un de ses arrêts que le critère d’identification de la juridiction compétente en matière de saisies conservatoires et des difficultés d’exécution est la juridiction des urgences telle que déterminée par l’organisation judiciaire interne de chaque Etat-membre de l’OHADA »87.
L’autre raison que l’on peut soulever « est la détermination de ce qu’il faudra harmoniser. Faudra-t-il harmoniser l’organisation des juridictions ainsi que leur fonctionnement ? « Il est évident qu’on ne pourrait harmoniser toute l’organisation judiciaire interne des Etats-parties. Il faudra sélectionner les juridictions à harmoniser. La même difficulté se posera sur le plan fonctionnel, va-t-il falloir les règles de compétence des juridictions et les procédures ? dans ce cas, il faudrait examiner tous les codes de procédure civiles et commerciales des Etats-parties afin de déterminer l’ensemble des ordres de juridictions présents des Etats-parties ainsi que leur organisation, leur compétence et leurs modalités de saisine, etc… Ce qui serait un travail très fastidieux »88.
La dernière raison justifiant cette absence d’harmonisation de la carte judiciaire, s’explique par le fait que l’organisation judiciaire est un domaine qui touche directement la souveraineté de l’Etat. L’Etat est en effet souverain dans la mission d’organisation de la justice89. Les règles de procédure relèveraient selon les arguments de nature politique de la seule compétence du souverain90. Dans ce cas, il serait difficile de convaincre les Etats-parties de procéder à une telle harmonisation.
Cependant, en dépit des difficultés que pose l’harmonisation de la carte judiciaire elle est tout de même nécessaire. L’une des faiblesses du droit OHADA réside dans la disparité des formes de juridictions et des procédures. En effet, en parcourant l’organisation judiciaire des Etats-parties, on constate qu’il y a des divergences au niveau de l’ordre judiciaire. Comme on le sait, le contentieux relatif à l’application des Actes uniformes est réglé en première instance et en appel par les Etats-parties,91 chaque Etat organisant l’ordre judiciaire à sa guise.
En ce qui concerne les litiges relevant des Actes uniformes OHADA, on constate qu’il y a trois différentes organisations des tribunaux chargés de régler les litiges commerciaux dans l’espace OHADA. Le Tchad92 par exemple a créé des juridictions commerciales. Dans la majeure partie des cas, la compétence de ces juridictions recouvre l’ensemble des litiges pouvant naître de l’application des actes uniformes, mais dans certains cas, l’énumération législative est limitée, comme dans la République Islamique des Comores.
Le Niger93 et le Sénégal94, eux, n’ont pas créé des juridictions commerciales, mais plutôt des chambres commerciales au sein des tribunaux de première instance. Ces chambres commerciales connaissent des litiges rattachés aux actes uniformes OHADA. Au Togo95, il existe une chambre commerciale, mais elle est rattachée à la chambre civile de sorte qu’il existe une confusion entre elles.
Le Cameroun96, lui n’a ni créé des juridictions commerciales, encore moins instauré des chambres commerciales au sein des tribunaux. Les tribunaux de premier degré sont compétents pour connaître de toutes les matières civiles, sociales et commerciales. Dans ces Etats, il n’y a pas de spécialisation des juges en matière de litiges commerciaux englobant l’application des Actes uniformes.
Ces divergences au sein des organisations judiciaires ne sont pas attractives pour les investisseurs et ne garantissent pas la sécurité judiciaire. Il serait souhaitable qu’on puisse avoir une lisibilité dans tous les Etats parties des tribunaux chargés de connaître de ces litiges au premier degré.
A notre avis, la solution la plus avantageuse serait d’amener les Etats qui n’ont pas de chambre commerciale au sein des juridictions de droit commun à en créer. Cela conduirait à une spécialisation du personnel et permettrait d’avoir une lisibilité des juridictions de fond chargées de trancher les litiges. Ces chambres commerciales devront aussi exister au sein des cours d’appel, comme déjà dans la majorité des Etats-parties.
Il serait opportun aussi de dégager des principes directeurs communs de procédures applicables devant toutes les juridictions appelées à appliquer le droit uniforme. Le régime pourrait porter sur l’accès au juge, sur la durée du procès raisonnable, sur le régime d’administration judiciaire de la preuve, sur le mode d’introduction d’instance, sur les notifications.
Cette harmonisation des principes directeurs du procès dans l’espace OHADA permettrait aux services juridiques et aux conseils juridiques habituels des investisseurs d’avoir une visibilité procédurale97. Cependant, les juges des Etats-parties, en ne coopérant pas entre eux ne favorisent pas l’instauration d’un véritable espace judiciaire OHADA.
Paragraphe II : L’absence de coopération entre les juges de l’espace OHADA
Le terme « coopération » appelle quelques précisions. Il ne s’agit pas de la coopération verticale existant entre la CCJA et les cours de cassation nationales. Le législateur OHADA ayant opté pour des rapports de supériorité ou de supranationalité en privilégiant la méthode du recours en cassation plutôt que celle du renvoi préjudiciel, la coopération entre ces juridictions est assez faible. Ce n’est pas de cette coopération dont nous parlerons ici, mais plutôt de la coopération horizontale entre les juges nationaux de l’espace OHADA.
Au sein de l’OHADA, il n’existe pas d’instrument juridique pouvant favoriser la coopération entre les juges nationaux des Etats-parties. Il n’existe notamment pas de convention d’entraide judiciaire98. Celle qui est actuellement appliquée dans certains Etats a été signée à Tananarive en 1961 entre les pays de l’ex-OCAM. Elle regroupe une bonne partie des Etats-Parties à l’OHADA99.
Certains Etats signataires de la convention générale de coopération en matière de justice ne sont pas membres de l’OHADA, et certains Etats membres de l’OHADA n’y sont pas partie. Cela a pour conséquence que les juges nationaux des Etats parties à l’OHADA évoluent en vase clos. « Il n’y a donc pas véritablement d’espace judiciaire OHADA.
Les juges n’échangent aucune information entre eux. Aussi, il n’est pas organisé des rencontres pour que les juges puissent échanger leurs expériences dans l’application du droit OHADA et les difficultés auxquelles ils sont confrontés. Les seules rencontres juridictionnelles qui sont organisées ne concernent que les cours communautaires des différentes organisations juridictionnelles.
En Europe par exemple, de nombreux instruments visant à favoriser la coopération judiciaire civile existent. La convention de Bruxelles adoptée en 1968 fixait les règles en matière de compétence, de reconnaissance et d’exécution des jugements en matière civile et commerciale, l’exécution des jugements en matière matrimoniale (convention dite Bruxelles II) et une autre convention relative à la notification des actes.
Depuis le Traité d’Amsterdam, ces conventions ont été transformées en règlement. Plusieurs de ces instruments comportent un caractère novateur par rapport à l’entraide traditionnelle. C’est le cas de la coopération judiciaire dans l’obtention des preuves civiles. Depuis le règlement du 28 mai 2001 entrée en vigueur le 01 juillet 2004, dans les relations communautaires, lorsqu’un litige porté devant les tribunaux nécessite la collecte d’un élément de preuve sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union, le juge saisi peut s’adresser directement au juge du
lieu où se trouve l’élément recherché afin que celui-ci puisse effectuer la mesure d’instruction. Aussi, pour déterminer la compétence judiciaire, un nouveau mode de coopération a été créé. En effet, dans le règlement Bruxelles II bis, le juge peut décliner sa compétence et renvoyer à une juridiction mieux placée pour connaitre de l’affaire.
C’est la théorie du « forum non conveniens ». Par ailleurs l’obtention de titres immédiatement exécutoire pousse jusqu’au bout le principe de reconnaissance mutuelle au point de considérer que la décision prise par le juge d’origine est équivalente dans tous les autres Etats membres à une décision nationale100.
Il serait opportun d’instaurer des rencontres entre les acteurs judiciaires, les juges, les huissiers de justice, les notaires et les avocats de l’espace OHADA, et instituer un instrument qui permettrait de faciliter la circulation des titres exécutoires délivrés dans les Etats-parties. La confiance dans les juges et en la justice n’en ressortirait que renforcée, ce qui serait un pas vers la réalisation de la sécurité judiciaire.
L’absence de spécialisation des juges dans certains Etats-parties en matière du contentieux commercial peut être un handicap dans la bonne interprétation et application des dispositions du droit OHADA. Il faudrait donc qu’en plus des dispositions théoriques des mesures concrètes soient mises pour garantir l’effectivité du droit OHADA et son application uniforme dans tout l’espace. Cela ne peut se réaliser que si les juges nationaux coopèrent entre eux.
La libre circulation des décisions est la possibilité pour chaque titre de circuler ou de produire des effets dans les Etats requis sans procédures intermédiaires, ou en l’absence de reconnaissance ou d’exécution. Hormis à l’article 20 du traité OHADA précité, le législateur OHADA n’a pas organisé la circulation des décisions de justice rendues par les juridictions nationales des Etats parties à l’OHADA.
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84 La carte judiciaire définit la répartition des tribunaux sur l’espace OHADA. ↑
85 Joseph ISSA SAYEGH, Jacqueline LOHOUES-OBLE, OHADA, Harmonisation du droit des affaires, Bruxelles, Bruylant, 2002, p.55. ↑
88 Loïc CADIET, Jacques NORMAND et Soraya AMRANI-MEKKI, Théorie générale du procès, Paris, PUF, 2010, p.262. ↑
90 Article 13 du Traité OHADA. ↑
91 Jocelyn MADJENOUN, « organisation judiciaire du Tchad », p.12, en ligne : https://www.ohada.com , consulté le 25 janvier 2021 à 9h12. ↑
98 Convention d’entraide judiciaire signée à Tananarive en 1961. ↑
99 États signataires de la convention générale de coopération en matière de justice. ↑
100 Règlement Bruxelles II bis. ↑
Questions Fréquemment Posées
Qu’est-ce que l’espace judiciaire OHADA?
L’espace judiciaire OHADA se présente comme une pyramide où les juges de fond des juridictions nationales sont juges de droit commun du droit communautaire OHADA.
Pourquoi y a-t-il un cloisonnement des systèmes judiciaires dans les États-parties à l’OHADA?
Le cloisonnement se manifeste par l’absence d’harmonisation de la carte judiciaire des États membres et par l’absence de coopération entre les juges.
Quels sont les défis liés à l’harmonisation de la carte judiciaire OHADA?
L’absence d’harmonisation de la carte judiciaire s’explique par la souveraineté des États dans l’organisation de la justice et la difficulté de sélectionner les juridictions à harmoniser.