Comment l’innovation transforme l’autogestion en 2023 ?

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🏫 Université Haute Bretagne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2005-2006
🎓 Auteur·trice·s
Suzy Canivenc
Suzy Canivenc

L’innovation organisationnelle et autogestion est plus pertinente que jamais, malgré son déclin depuis les années 80. Cette recherche révèle comment les principes d’autogestion, tels que la participation et la responsabilisation, peuvent transformer les modèles organisationnels contemporains, offrant des solutions face aux défis du modèle industriel traditionnel.


      1. Une entreprise ayant socialisé ses moyens de production :

Cette première partie sera consacrée à mettre en évidence l’application de ce que nous avons précédemment présenté comme étant l’un des premiers grands principes organisationnels de l’idéal type autogestionnaire : la socialisation des moyens de production, et plus particulièrement de la propriété de l’entreprise.

Ce terme de « socialisation » doit avoir une double résonance : il renvoie tout d’abord à une réappropriation des moyens de production par les travailleurs, et, conjointement, à un partage égalitaire de ces moyens de production entre ces travailleurs.

La socialisation de la propriété juridique de l’entreprise :

SARL à ses débuts, la Péniche est devenue une SCOP (société coopérative ouvrière de production) en juillet 2004195.

194 Voir annexe 1 : « généalogie des théories organisationnelles et communicationnelles » : « la notion de projet » ( p 48)

195 Un statut juridique particulier que nous avons déjà évoqué lors de la généalogie de l’idée autogestionnaire.

Ce statut juridique particulier repose sur trois principes organisationnels censés garantir un fonctionnement collectif et démocratique de l’entreprise :

– égalité des droits des salariés selon le principe de fonctionnement « un homme = une voix »

– propriété de l’entreprise à ceux qui y travaillent

– reconnaissance d’un pouvoir qui ne soit pas seulement lié au capital détenu

Mais ces principes juridiques n’ont jamais guère influencé la possibilité pour les membres de la Péniche d’expérimenter « une autre manière de travailler » et de vivre l’entreprise privée. Le statut de Scop n’a effectivement fait qu’officialiser une certaine politique entrepreneuriale et une certaine idéologie qui était déjà effective dès la création de la Péniche.

Ainsi, pour les membres de La Péniche, « le statut juridique ne fait pas l’autogestion. Celle-ci correspond d’abord à une pratique (…) C’est d’abord la pratique qui viendra garantir l’autogestion : tous les statuts juridiques sont corruptibles »196. De même, pour Sainsaulieu, Tixier et Marty, « un fonctionnement collectif de travail ne peut être la conséquence automatique d’une structure formelle idéale.

Mettre en place un collectif de travail implique en réalité que tous ses membres individuels trouvent la possibilité de devenir acteur dans le jeu des rapports sociaux qui en constituent le système vivant »197.

Ainsi, comme le remarque Michel Lulek, « le statut ne fait pas tout le fonctionnement d’une entreprise. Ne connaît-on pas des SCOP qui fonctionnent comme les pires des entreprises classiques où le gérant est un vrai petit chef et où toutes les relations entre les salariés sont des plus inégalitaires ?

N’y a-t-il pas des petites entreprises au statut de SARL où les rapports sont humains, où chacun peut prendre part aux décisions de l’organisation et où le projet est partagé et porté à peu près par tous ? »198. En effet, « la démocratie telle qu’elle est comprise et appliquée dans les Scop est diverse, parfois contradictoire avec certains principes supposés de l’autogestion.

La raison en est que leur raison d’être se fonde sur d’autres valeurs que celles de la stricte application de la démocratie »199.

Par conséquent, les principes, pratiques et dispositifs de La Péniche sont quelque peu différents de ceux prônés par les SCOP puisque la Péniche ne tolère aucun poste statutaire qui différencierait les membres les uns des autres (ce qui n’est pas le cas dans la plupart des SCOP où règne une certaine hiérarchie des postes et des compétences).

196 Autogestion, mode d’emploi.

197 SAINSAULIEU, TIXIER et MARTY. La démocratie en organisation. Librairie des Méridiens. 1983

198 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement ? Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogérée. Editions REPAS, 2003.

199 ZAIDMAN, Sylvie. Des associations ouvrières au Scop de mai. In L’autogestion, la dernière utopie ?, Sous la direction de Frank Georgi, publication de la Sorbonne, 2003

La socialisation de la propriété financière de l’entreprise : le partage du capital :

Dans une logique de réappropriation de l’outil de travail par les travailleurs, le capital de cette entreprise est exclusivement détenu, à parts égales, par ses salariés.

A l’origine, le statut de Sarl contraignit l’entreprise à un capital fixe. La part de chaque membre était alors de 5000 francs. A chaque recrutement s’effectuait une nouvelle répartition du capital, les salariés revendant alors un certain nombre de leurs parts à l’arrivant afin que la quotité soit respectée.

Le capital devint variable lors du passage au statut de Scop. Il est actuellement de 11 700 euros (9 X 1300 euros). La Péniche comptait 9 salariés-actionnaires, mais, suite à une embauche en avril 2005, en compte désormais 10. A chaque recrutement s’effectue un nouvel apport en capital d’un montant égal à celui détenu par chacun des salariés. Les nouveaux entrants apportent généralement leur capital sous forme de crédit sur leurs salaires à venir.

La socialisation des profits sous forme de salaires :

L’objectif de l’entreprise n’est pas l’accumulation des profits, mais bien plutôt l’équilibre financier permettant à chacun de vivre correctement de son travail. La grande majorité des profits dégagés par l’entreprise sont donc voués au paiement des salaires, une répartition qui se veut égalitaire. En ce sens, La Péniche appartient bien aux mondes des entreprises autogérées, qu’Odile Castel définit comme un « ensemble d’entreprises productives d’initiatives collectives (…) qui rémunère le travail de façon privilégiée par rapport au capital »200.

Ainsi, à La Péniche, tous les salariés sont en CDI et il n’y a aucune hiérarchisation des salaires : chacun touche le même salaire horaire et est rémunéré selon le volume d’heures qu’il a effectué. Le salaire horaire a été collectivement fixé à un peu plus de 13 euros net de

200 CASTEL, Odile. La dynamique institutionnelle de l’économie populaire solidaire dans les pays du sud. En ligne sur : http://www.uqo.ca/ries2001/Economie/Populaire/cahierspdf/ CI4.pdf , 2001

l’heure. L’ensemble des salariés de l’entreprise a en effet décidé de geler l’augmentation salariale à partir du moment où le salaire horaire a dépassé de 10% le salaire français moyen. Les excédents sont utilisés pour des activités non directement rentables mais qui participent à promouvoir les valeurs de l’entreprise et à faire vivre son « projet » (comme des projets de livres tel « autogestion mode d’emploi », des sites Internet tel « lieux communs » ou

« autogestion.coop », ou encore la participation à des collectifs d’entreprises autogérées). Comme l’activité croît régulièrement, les excédants favorisent également la création de nouveaux emplois, là encore l’entreprise choisit de privilégier le travail en non le capital.

La socialisation du temps de travail :

Chacun travaille le nombre d’heures qu’il souhaite en s’engageant sur une quantité d’heures et sur une durée. Cependant, la Péniche souhaite éviter, autant que possible, des volumes horaires trop élevés et ne délivrent pas de contrat au-dessus de 30 heures. La moyenne de travail effectué est de 26 heures par semaine (chacun fait entre 20 et 30 heures par semaine). L’ensemble de l’équipe réalise ainsi l’équivalent de 8 temps plein à 35 heures en salariant une dizaine de personnes.

Les membres de La Péniche travaillent donc moins que la plupart des salariés car ils souhaitent travailler « dans des conditions moins stressantes, sans se laisser prendre ni dans l’engrenage de l’accumulation illimitée, ni dans le cercle infernal des besoins et du revenu »201.

Le choix d’un temps de travail moins élevé que la moyenne poursuit un triple objectif :

– Travailler moins pour travailler moins (permettant à chacun de se réaliser dans d’autres activités, considérées comme toutes aussi importantes à l’épanouissement humain que le travail),

– Travailler moins pour travailler mieux,

201 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement, Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogéré. Editions REAPS, 2003

– Travailler moins pour libérer des emplois (L’ensemble des heures de travail effectuées représente ainsi 8 temps plein mais permet en réalité à 10 personnes de travailler et de toucher un salaire leur garantissant un niveau de vie raisonnable).

Les salariés de la Péniche bénéficient également d’un temps de vacances plus étendu que dans les entreprises classiques : Le temps de travail étant annualisé par les salariés eux-mêmes et la plupart d’entre eux souhaitant avoir une dizaine de semaines de vacances par an, ils organisent leur temps de travail en fonction.

Les périodes et temps de congés sont choisis selon le taux d’activité prévu, pour éviter tout problème lié à une pénurie de main d’œuvre. D’ailleurs, les membres de la Péniche ont parfaitement intégré cette contrainte pouvant être source de nombreux dysfonctionnements organisationnels. En effet, il ne viendrait à l’idée de personne de poser des congés ou de refuser de les décaler lorsque l’activité est trop élevée.

Par ailleurs, le temps de travail n’est pas du tout appréhendé de la même manière que dans une entreprise classique : les salariés étant physiquement présents à la Péniche ne sont pas forcément toujours payés, chacun n’est payé que pour les activités productives qu’il fait réellement et qu’il consigne précisément sur sa « fiche horaire ».

Ainsi, chacun s’auto contrôle en choisissant son temps de travail et en s’attribuant les horaires et les jours de congés qu’il souhaite. Cette liberté totale dans la gestion du temps de travail implique une forte intériorisation des contraintes internes et externes à l’organisation. Elle oblige chacun à une forte responsabilisation, leur permettant à la fois de jouir de plus de liberté (chacun étant son propre patron) mais d’être contraint à davantage de devoirs.

Par ailleurs, ces « fiches horaires » représentent un formidable outil de gestion. En effet, comme le remarquent les membres de La Péniche, « noter les détails de son temps de travail par types d’activités constitue un outil de gestion remarquable. Par journée, demi-journée ou au fur et à mesure des activités, chacun note sur une fiche le temps qu’il a consacré à telle ou telle activité. Cela permet :

– que chacun sache précisément le nombre d’heures qu’il a effectué et donc le salaire qu’il va percevoir.

– de savoir précisément, une fois les fiches regroupées et totalisées par type d’activités, le temps que prend chacun des travaux

– d’ajuster les tarifs et les devis en fonction des expériences précédentes »202.

Mais, comme nous l’avons vu lors de l’élaboration de l’idéal type de l’organisation autogéré, les principes autogestionnaires ne peuvent se résumer à une simple socialisation des moyens de production. Ils doivent également nécessairement renvoyer à une socialisation du pouvoir décisionnel et organisationnel.

202 Autogestion, mode d’emploi.

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194 Voir annexe 1 : « généalogie des théories organisationnelles et communicationnelles » : « la notion de projet » ( p 48)

195 Un statut juridique particulier que nous avons déjà évoqué lors de la généalogie de l’idée autogestionnaire.

196 Autogestion, mode d’emploi.

197 SAINSAULIEU, TIXIER et MARTY. La démocratie en organisation. Librairie des Méridiens. 1983

198 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement ? Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogérée. Editions REPAS, 2003.

199 ZAIDMAN, Sylvie. Des associations ouvrières au Scop de mai. In L’autogestion, la dernière utopie ?, Sous la direction de Frank Georgi, publication de la Sorbonne, 2003

200 CASTEL, Odile. La dynamique institutionnelle de l’économie populaire solidaire dans les pays du sud. En ligne sur : http://www.uqo.ca/ries2001/Economie/Populaire/cahierspdf/ CI4.pdf , 2001

201 LULEK, Michel. Scions…travaillait autrement, Ambiance bois, l’aventure d’un collectif autogéré. Editions REAPS, 2003

202 Autogestion, mode d’emploi.


Questions Fréquemment Posées

Qu’est-ce que la socialisation des moyens de production dans le contexte de l’autogestion ?

La socialisation des moyens de production renvoie à une réappropriation des moyens de production par les travailleurs et à un partage égalitaire de ces moyens entre ces travailleurs.

Quels sont les principes organisationnels d’une SCOP ?

Les principes organisationnels d’une SCOP reposent sur l’égalité des droits des salariés selon le principe ‘un homme = une voix’, la propriété de l’entreprise à ceux qui y travaillent, et la reconnaissance d’un pouvoir qui ne soit pas seulement lié au capital détenu.

Pourquoi le statut juridique ne garantit-il pas l’autogestion dans une entreprise ?

Le statut juridique ne fait pas l’autogestion, car celle-ci correspond d’abord à une pratique. Tous les statuts juridiques sont corruptibles et un fonctionnement collectif ne peut pas être la conséquence automatique d’une structure formelle idéale.

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