Comment l’exclusion des filles façonne-t-elle l’éducation en Haïti ?

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🏫 Université d'État d'Haïti - Faculté des Sciences Humaines
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de licence
🎓 Auteur·trice·s
Chéry, Jeanne-Elsa
Chéry, Jeanne-Elsa

L’exclusion des filles à l’école est un phénomène alarmant, avec des implications profondes sur leur éducation. Cette recherche révèle comment les stéréotypes de genre façonnent les interactions scolaires, mettant en lumière des inégalités persistantes dans les établissements mixtes de Port-au-Prince.


6.2.2- Institutionnalisation de l’exclusion dans les tâches valorisantes

Si les adolescent.e.s dans le cadre des activités scolaires s’attribuent des rôles spécifiques qui ne sont pas interchangeables aux filles, c’est que de façon générale, la prépondérance des hommes dans l’organisation sociale et les postes stratégiques est bien connue et acceptée.

Et, c’est un phénomène qui traverse toutes les catégories sociales jusqu’à trouver un écho favorable dans les rapports sociaux des adolescent-e-s scolarisé-e-s. Ceci dit, le positionnement des filles est orchestré d’une manière qu’elles entérinent leur propre exclusion qu’elles considèrent normale, sans chercher à gagner des places « plus valorisantes » car trop habituées à se mettre à l’écart et à s’investir dans les activités de services.

Soulignons qu’on ne peut pas parler d’un manque d’implication des filles tout bonnement puisqu’il y a un désavantage historique qui joue en leur défaveur.

Le relai des femmes dans les activités traditionnelles a été vivement critiquée par Andrée Michel (1979), suite aux études de Margareth Mead (1949) qui pensait légitime la hiérarchie et la division sexuelle suite à ses analyses sur les rôles sexuels dans plusieurs sociétés.

En fait, rien n’explique d’après elle, ce cantonnement des femmes dans des activités domestiques car les caractères binaires que Mead a considérés dans les sociétés varient d’une société à l’autre. Ce qui accentue les inaptitudes dans d’autres sphères d’activités et les différences genrées.

Robert du Lycée National de Carrefour Feuilles nous dit :

« Les filles et les garçons fonctionnent différemment. Moi, au lycée où je suis ; ils exécutent les mêmes taches. Il y a les mêmes toilettes pour tout le monde, la même salle de classe. Les professeurs nous traitent de la même façon. Mais tu sais que les filles se mettent toujours de côté. Elles veulent rester entre elles parce qu’elles ont quelque chose à préserver. Mais dans tout ce que nous faisons, les filles passent avant, elles ne peuvent ne pas être présentes. Les groupes de travail sont composés de filles et de garçons. Dans ma classe, filles et garçons vont essuyer le tableau » (Extrait d’entretien, enquête de terrain de l’étudiante).

Lors de la répartition différente des tâches entre les adolescent.e.s scolarisé.e.s, on peut toujours constater une tendance à interpréter cet agencement comme le produit de qualités intrinsèques et naturelles.

Or, si l’on regarde bien, ce sont des rôles qu’il/elles sont appelés à jouer en se basant sur une prétendue affinité des sexes en prenant comme base une répartition sexiste et sexuée. La division sexuelle du travail n’est pas naturelle, au contraire elle est culturelle, arbitraire, orchestrée par l’organisation sociale. Elle permet au patriarcat de s’assoir sur des bases solides, difficiles à chambarder.

L’introduction du concept « Le rôle des sexes » dans les études féministes dans les années 1930-1940 a permis de situer la portée sociale des places attribuées aux hommes et aux femmes dans la société et de dénaturaliser la division sexuelle du travail.

Ce premier pas franchi, il devenait alors possible d’entrevoir sa variabilité. Analysant le rapport du genre par rapport au sexe, Christine Delphy avait fait une remise en question des anciennes conceptualisations poussant à considérer le genre comme une dichotomie sociale qui se base sur une dichotomie naturelle, Or, cette approche, fait-elle savoir, sous-entend le seul fait d’admettre l’antériorité du sexe sur le genre, que le sexe cause le genre.

C’est une conception naturaliste qui suppose, par exemple, que les différences biologiques impliquent des travaux différents au niveau de la procréation mais qui échoue à l’expliquer dans d’autres domaines où la procréation est absente. Elle ne voit pas non plus le bien-fondé d’une plus grande considération du sexe par rapports aux autres traits physiques.

C’est pourquoi elle postule l’antériorité du genre sur le sexe en ce sens que le sexe n’est qu’un marqueur social permettant de « distinguer les dominés des dominants ». C’est pour dire que postuler que les filles sont différentes des garçons, c’est comme parler des différentiations sociales qui comme allant de soi, c’est faire fi de l’orchestration sociale qui fait que les femmes, de manière générale occupent des positions différentes des hommes et ces différences se produisent dans des sphères auxquelles on accorde une moindre valeur sociale.

« (…) Parler des rôles des femmes et des hommes, c’est franchir un grand pas vers la dénaturalisation des positions et des occupations respectives des sexes » (Delphy, 2006 :245).

Nous pouvons également considérer la différenciation des rôles qu’orchestre la société et que les adolescent.e.s reproduisent dans les rapports de genre comme une stratégie de pérenniser une société patriarcale où les hommes, même mineurs ont toujours droit de cité.

Car, s’il faut le rappeler, au XIXème siècle, quand les femmes et les enfants travaillaient, ce sont les hommes/maris qui touchaient l’intégralité de leurs salaires ; en 1907, quand elles seront autorisées à recevoir leurs salaires, les hommes/maris auront encore la mainmise sur leurs activités productives car ne disposant pas d’une possibilité personnelle de travailler ; car l’homme/le mari aura encore son mot à dire, son approbation à donner.

Les progressions sont lentes et accusent la difficulté pour les mentalités d’évoluer, mais entérinent surtout un antagonisme de genre qui soutient l’ordre patriarcal. Car, déléguer certaines tâches spécifiques aux femmes et aux filles, c’est s’assurer que les inégalités persistent en entérinant certains avantages qu’une société égalitaire éliminerait.

Ces avantages sont nombreux : la prise en charge des malades, l’obligation d’entretien des membres du groupe, qui permet aux hommes d’avoir la jouissance pleine de leur individualité qui bizarrement n’est possible que dans la perte de celle des femmes.

Car cette dernière est une condition sine qua non à une appropriation personnelle et collective de la matérialité des femmes. Colette Guillaumin décrit ce rapport ainsi :

« (…) Le rapport d’appropriation se manifeste dans le fait banal et quotidien que l’appropriée est attachée au service matériel du corps du dominant et des corps qui appartiennent ou dépendent de ce dominant ; la prise en tant que chose par le dominant se distingue par disponibilité physique consacrée au soin matériel d’autres individualités physiques. Et ceci dans une relation non-évaluée, ni temporellement, ni économiquement ». (Guillaumin, 1992 :18).


Questions Fréquemment Posées

Comment l’exclusion des filles se manifeste-t-elle dans les établissements scolaires en Haïti ?

L’exclusion des filles se manifeste par leur positionnement orchestré qui les amène à entériner leur propre exclusion, considérée comme normale, et à s’investir dans des activités de services plutôt que dans des rôles valorisants.

Quels sont les impacts du sexisme sur l’éducation des filles en Haïti ?

Le sexisme en milieu scolaire impacte les rapports pédagogiques et désavantage les filles par rapport aux garçons, renforçant ainsi des constructions sociales genrées.

Quelle est la perception des rôles de genre parmi les adolescents scolarisés en Haïti ?

Les adolescents scolarisés perçoivent les rôles de genre comme basés sur des qualités intrinsèques et naturelles, ce qui contribue à la division sexuelle du travail, considérée comme culturelle et arbitraire.

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