Comment le cadre théorique influence-t-il les achats aéronautiques ?

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🏫 Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Mémoire de fin d’études - 2010
🎓 Auteur·trice·s
Cécile Izumi ASAMA
Cécile Izumi ASAMA

Le cadre théorique des achats aéronautiques révèle une dynamique surprenante : sont-ils vraiment le fruit de choix stratégiques ou de contraintes géopolitiques ? Cette étude met en lumière les défis uniques de l’industrie, transformant notre compréhension des stratégies de sourcing et d’outsourcing.


c. Applicabilité dans l’industrie aéronautique, notamment européenne.

L’industrie européenne de l’aéronautique est née avec EADS, puisque avant la cotation en bourse du géant européen de l’aérospatial le 10 juillet 2000, il n’était question que de fournisseurs indépendants, et d’entreprises dont les Etats étaient actionnaires. Avec une répartition des parts de 30% pour l’Etat français, 30% pour Daimler Chrysler, 30% aux places de bourses de Madrid, Francfort et Paris, et 5,5% au holding espagnol SEPI, le groupe se donne les moyens de faire face à la concurrence, notamment américaine, mais se lance aussi,

dans un véritable casse-tête administratif et managérial. En effet, en jetant un œil sur l’organigramme, ressort alors la trame de la tentative de regroupement des différentes sociétés, sous forme thématique : les avions, les hélicoptères, les produits pour la défense et la sécurité, et enfin le pôle espace.

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Figure 5 Extrait de l’organigramme d’EADS, disponible sur internet.

Chaque pôle regroupe différentes entités nommées Business Units, qui sont en fait, d’anciennes sociétés à part entières, ainsi que certains de leur fournisseurs, maintenant intégrés à la Business Unit, par effet d’intégration verticale.

Or, un regroupement thématique est judicieux d’un point de vue marketing, mais n’est pas tout aussi pertinent d’un point de vue logistique. Par exemple, il est maintenant presque commun de différencier les catégories de produits par leur taux de rotation en stock, ou leur spécification de production, plutôt que par leur caractéristiques produit, notamment dans les industries touchées par les effets de saisonnalité. Ainsi, on aurait pu penser pour EADS, à une catégorisation par étape de production, plutôt que par pôle produit. Par exemple :

moteurs, carlingue/carrosserie, tableau de bord/électronique, …

Toutefois, cela n’est pas envisageable aujourd’hui du fait du regroupement des Business Units à posteriori. En effet, un conglomérat préadolescent qui vient de souffler ses dix bougies, n’est pas en mesure de transformer du jour au lendemain des années de culture d’entreprise propre à chaque unité, alors qu’il doit déjà faire face à une crise identitaire : perte d’identité causée par un regroupement et une centralisation, ainsi que la gestion culturelle des différentes nationalités du groupe. Le chantier essentiel porte surtout sur la transparence des besoins de chaque business unit, et de l’optimisation du processus d’achat, via la centralisation des commandes, auprès de fournisseurs/sous-traitants identifiés.

Ainsi, selon la division du groupe, le processus de centralisation des achats se doit de passer transversalement entre les business units. En effet, Boeing semble rencontrer les mêmes problèmes de globalisation des achats, comme l’exprime James F. Albaugh, responsable de l’initiative de globalisation du sourcing, communicant a contrario de ce qu’il se fait usuellement dans l’entreprise, c’est-à-dire, que chaque acheteur de chaque division passe lui-même ses commandes, ici pour les achats généraux, avec ses propres références : « Pourquoi ne pas acheter deux ou trois

sortes de lunettes de sécurité ? Pourquoi ne pas avoir des références standards capables d’être transférées dans l’entreprise ? […] Tout est question de faire de nous une seule et unique entreprise. Cela nous donnera un levier, et nous rendra dépendant de chacun pour le succès. »

17. L’enjeu est d’identifier la demande réelle existante chez chacune d’elles, et les points de consolidation de commandes, du point de vue de la centralisation des achats.

A EADS, cette initiative a pris le nom de Smart Buying.

Le modèles des centrales d’achats est clairement difficile à mettre en place, puisqu’il s’agirait alors d’importer les composants de semi-finis dans un entrepôt commun, pour ensuite les dispatcher vers chaque site de montage en Europe. Par conséquent, des coûts supplémentaires de transports sont à prévoir, sur de longues distances, et cela peut tout-à-fait empiéter sur la marge gagnée par l’externalisation.

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Figure 6 Simulation des flux de transport dans le cas d’un entrepôt central.

Le modèle de l’entrepôt central n’est intéressant que lorsqu’il y a un concentrisme des chaînes de montage ou de production, autour du site de stockage, sur de petites distances. De plus, s’ajoute à cela, des soucis de sécurité : vols, braquages, et concentration sur un même site des composants clés de l’industrie. En effet, ne serait-ce qu’un incendie dans l’entrepôt central, peut alors engendrer une perte fortement dommageable sur l’ensemble de la production du groupe, mais du fait de l’activité, aussi sur les capacités de défenses des Etats acheteurs.

Concernant l’objectif de rehaussement de la part du sourcing dans les achats d’EADS, l’applicabilité se confronte alors à la possibilité de trouver des fournisseurs capables, en termes de qualité et de quantité, mais aussi de préserver le savoir-faire du groupe. Il s’agit ici de trouver des sous-traitants en mesure de restituer la qualité des composants commandés, sur un marché d’implantation intéressant, à des coûts suffisamment faibles pour préserver une marge qui sera amputée par du transport longue distance. Néanmoins, externaliser une partie de la production dans les pays clients, permet simultanément de réduire les coûts logistiques, et d’obtenir les faveurs des gouvernements pour les appels d’offre, compte-tenu de la participation à l’activité et à la croissance du pays.

L’activité critique que représente l’aéronautique, implique que le défi essentiel du sourcing sera la sélection du/des fournisseur(s), capables en qualité et en quantité, mais aussi remportant l’adhésion des acheteurs de chaque business unit. Cela revêt plus du choix stratégique, que pécunier. En effet, le sourcing est forcément applicable, puisqu’en partie nécessaire et inévitable dans le modèle économique capitalistique actuel.

Il s’agit d’opérer à un arbitrage entre décision stratégique d’implantation sur un nouveau marché, et utilisation des ressources d’un pays avec la pérennisation du savoir-faire, et de la propriété intellectuelle. Ainsi la démarche consiste à identifier des marchés porteurs, futurs acquisiteurs de produits EADS, dont les ressources de production sont susceptibles de se révéler apte à satisfaire la demande.

A cela, s’ajoute la pression des concurrents tels que Boeing. En effet, si par vulgarisation du sourcing dans l’industrie aéronautique, le phénomène de pôles de compétitivité/développement, ou encore d’excellence, appelés aussi « clusters » se développent, on peut alors penser à une nouvelle répartition géographique des

spécialisations par zone dans le monde, selon les intuitions de Riccardo. Ainsi, alors que Boeing s’est lancé dans de l’outsourcing, au sens anglais du terme, i.e. sous-traitance, quasi intégral (presque toute la fabrication de l’avion est sous-traitée à hauteur de 65/70%)

18, le concurrent d’Airbus, qui par ce levier avait réussi à réduire son délai de fabrication de semaines, en jours, a aussi fait la mauvaise expérience du bullwhip effect pour son 787, mais aussi pour le dreamliner.

En effet, en sous-traitant au Tier 1 (= fournisseur de premier rang), et en exigeant des délais très courts, ces derniers ont adoptés la même stratégie, et ont eux-mêmes sous-traité à des Tier 2. La mécanique est bien rodée, sauf lorsqu’il y a un incident ou un ralentissement, c’est une accumulation de retards qui se propage, et n’est plus égale à la simple somme des retards pris à chaque étape, mais aboutit à un retard cumulé plus important que prévu.

Ainsi, on identifie un risque majeur de l’outsourcing qu’est le retard sur livraison de la commande. Car, étant donné les montants des contrats, une entreprise de l’industrie aéronautique ne peut se permettre de produire dans un système de flux poussés, mais se doit de satisfaire des délais raisonnables pour honorer une commande.

Ainsi, on ne parle pas non plus de flux tirés, puisque la fabrication, et la préparation des composants sont amorcées à l’avance, mais dans ce contexte, un Built- To-Order n’est pas non plus envisageable. De même que l’intégration des Tiers de rang 1, 2, et plus si affinités, ne permet en aucun cas d’aboutir à un modèle de production du type constructeur automobile.

En effet, l’assemblage étant un niveau plus complexe, il requiert un minimum du savoir-faire de l’entreprise pour faire les pièces s’emboîter,

18 “A Look at Boeing’s OUTSOURCING STRATEGY”, Manufacturing Engineering, Mar 2004 by Destefani, Jim. Disponible sur http://findarticles.com/p/articles/mi_qa3618/is_200403/ai_n9375403/?tag=content;col1 , dernière connexion 31.03.2010.

mais elles doivent aussi être disponibles en stock en cas de rebus, puisqu’elles sont technologiquement plus complexes que des pièces de voitures. Ainsi, l’autre défi majeur de l’outsourcing, est d’en évaluer la part qu’il prendra dans la fabrication des produits, afin de réduire les délais de production, les risques, et les coûts, mais aussi de se parer du bullwhip effect, en évitant une trop grande dépendance auprès des fournisseurs, d’autant plus lorsqu’ils sont étrangers.

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Figure 7 Illustration de la part de l’offshoring dans un Boeing 787.

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17 http://www.businessweek.com/magazine/content/06_11/b3975088.htm

18 “A Look at Boeing’s OUTSOURCING STRATEGY”, Manufacturing Engineering, Mar 2004 by Destefani, Jim. Disponible sur http://findarticles.com/p/articles/mi_qa3618/is_200403/ai_n9375403/?tag=content;col1 , dernière connexion 31.03.2010.


Questions Fréquemment Posées

Comment EADS gère-t-il la centralisation des achats ?

A EADS, l’initiative de centralisation des achats a pris le nom de Smart Buying, visant à optimiser le processus d’achat via la centralisation des commandes auprès de fournisseurs identifiés.

Quels défis EADS rencontre-t-il dans la gestion de ses Business Units ?

EADS fait face à une crise identitaire due à la perte d’identité causée par le regroupement et la centralisation, ainsi qu’à la gestion culturelle des différentes nationalités du groupe.

Pourquoi la centralisation des achats est-elle complexe dans l’industrie aéronautique ?

Le modèle des centrales d’achats est difficile à mettre en place car il nécessiterait d’importer des composants semi-finis dans un entrepôt commun, entraînant des coûts supplémentaires de transport sur de longues distances.

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