Comment le cadre théorique redéfinit l’autogestion en 2023 ?

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🏫 Université Haute Bretagne
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Master - 2005-2006
🎓 Auteur·trice·s
Suzy Canivenc
Suzy Canivenc

Le cadre théorique de l’autogestion révèle une actualité surprenante dans les débats contemporains sur les formes organisationnelles. En redéfinissant ce concept, cette recherche propose une transformation essentielle, offrant des perspectives novatrices sur la participation et la démocratie dans un contexte en pleine mutation.


Corpus théorique et empirique :

      1. La définition de l’idéal type :

La définition de cet idéal type reposera sur un corpus théorique.

Le travail généalogique que nous effectuerons au préalable sera tout d’abord composé d’ouvrages historiques traitant de l’histoire des idées et courants politiques fondateurs et promoteurs de l’idée autogestionnaire. Ce travail sera complété et illustré au travers d’exemples de différentes expérimentations autogestionnaires (les cités témoins, les conseils ouvriers, la Yougoslavie de Tito, L’Algérie des années 60…)

L’idéal type que nous en dégagerons sera complété par des ouvrages généraux traitant de l’autogestion et plus particulièrement de l’autogestion en entreprise.

Il sera enfin pragmatiquement situé dans le contexte actuel grâce à l’étude de cas d’une entreprise se revendiquant de l’idée autogestionnaire.

      1. L’étude de cas :

Ce mémoire s’appuiera sur l’étude de cas d’une entreprise autogérée16, réalisée lors d’un stage d’observation effectué en juin et juillet 2005.

Ce stage visait plusieurs objectifs :

  • Détecter les modalités de fonctionnement, les principes organisationnels d’une entreprise autogérée
  • Repérer les modalités de coordination et de coopération dans ce type de structure sans hiérarchie
  • Mettre en avant l’importance des variables communicationnelles et informationnelles dans une organisation à fonctionnement collectif et démocratique
  • Repérer la culture d’entreprise mise en oeuvre
  • Détecter les compétences nécessaires pour participer à ce type d’organisation
  • Souligner la place de l’informel et des activités considérées dans d’autres entreprises comme non professionnelles dans ce type de structure

Pour atteindre ces objectifs, plusieurs méthodes ont été conjointement utilisées :

  • l’observation directe des situations de travail et plus particulièrement des situations de communication en interne, l’observation directe des réunions et rencontres entre structures autogérées auxquelles l’entreprise participe,
  • des questionnaires et des entretiens passés avec chacun des salariés

L’observation directe

Joël Guibert et Guy Jumel définissent l’observation comme « une méthode d’investigation empruntée aux sciences physiques et naturelles transposée aux SHS. Elle consiste à recueillir

16 « La Péniche », 144 rue de Bagnolet, 75 020 Paris, www.la-peniche.fr

des informations sur les agents sociaux en captant leurs comportements et leurs propos au moment où ils se manifestent »17.

L’observation consiste ainsi en un contact direct sans intermédiaire, avec une réalité sociale. L’objectif de l’observation directe d’une entreprise est de rendre compte des activités qui prennent place au sein de cette structure, des comportements de chacun de ses membres, des relations qui lient ces différents individus et des rites qui structurent la vie symbolique de ce groupe.

Cette méthode d’investigation repose ainsi d’abord sur une sélection de faits singuliers, de phénomènes restreints dans une perspective inductive et idiographique. Ensuite, et de manière progressive, tous les éléments de l’observation assemblés « en une sorte de puzzle » favorisent l’émergence de propositions générales et de modèles explicatifs sur la vie sociale de l’entreprise étudiée (dans une perspective nomothétique).

Traditionnellement, on distingue l’observation participante (qui consiste à étudier un groupe en participant à ses activités, à sa vie collective) de l’observation non participante (qui consiste à porter son regard de l’extérieur sans participer véritablement à la vie du groupe, à son insu ou avec son accord). L’une correspondrait à une méthodologie propre à l’Ethnologie et l’autre une méthodologie plus habituelle en Sociologie. En réalité « la plupart du temps, les praticiens en sciences sociales choisissent des solutions intermédiaires en participant momentanément et partiellement à la vie du groupe étudié »18.

L’objectif de l’étude de cas sur laquelle repose ce mémoire était de mettre en évidence les principes organisationnels d’une entreprise autogérée, et notamment leur imbrication avec des pratiques communicationnelles spécifiques. Cette analyse a donc principalement porté sur l’étude de la communication « interne » et « externe » de l’entreprise, dans ses aspects autant formels qu’informels :

– Communication interne :

Formelle :

-réunions et comptes-rendus de réunions,

-discussions portant sur l’activité et l’organisation de l’entreprise,

-documents de gestion circulant entre les salariés, Informelle :

17 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987

18 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987

-discussions interpersonnelles,

-rituels prenant place au sein de l’entreprise,

– Communication externe :

Formelle :

-pochette de présentation et documents écrits à destination de l’extérieur,

-relations et réunions avec les autres structures autogérées, Informelle :

-relations et discussions avec les personnes extérieures invitées au sein de l’entreprise…

L’avantage de cette méthodologie particulière qu’est l’observation directe est de saisir les phénomènes sur le vif et de ne pas dépendre des réponses voir des interprétations des enquêtés, comme dans le cas de l’entretien ou du questionnaire.

Mais cette méthode présente cependant de multiples inconvénients qu’il est nécessaire de prendre en compte pour souligner les limites de cette étude :

-D’une part, s’agissant d’une interaction entre un observateur et des observés, « le risque d’influer sur les comportements de ces derniers n’est pas négligeable. On peut aller jusqu’à se demander si « des comportements ne sont pas artificiellement adoptés dans le but de satisfaire l’observateur »19. Ainsi, le statut d’observateur et le rapport aux observés peuvent avoir des effets sur les réalités observées.

  • D’autre part, « le recueil de données issues de l’observation dépend de nos propres cadres sociaux et culturels, ceux-ci conditionnant notre perception, notre réceptivité ». Ainsi, cette méthodologie ne paraît pas suffisante en elle-même et nécessite d’être complétée par d’autres approches et d’autres sources d’information telles que l’entretien et le questionnaire. De la confrontation entre ces différentes méthodes naîtra la validité des données recueillies. Dans ce cadre, on procède par tâtonnements, essais, rectifications progressives, comparaisons, associations d’idées, comme le préconisent Gaston Bachelard, Thomas Kuhn, Karl Popper, ou encore Paul Feyerabend.

Le questionnaire et l’entretien :

Ces méthodes se définissent comme « un recueil d’information dans une situation de face à face »20.

19 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987

20 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987

Habituellement, questionnaire et entretien sont deux méthodologies bien distinctes :

-Le questionnaire se définit par « une forte directivité, une standardisation des questions, une formulation préalablement fixée, un ordre de question à respecter ».

-L’entretien est une forme de face-à-face plus souple et informelle qui « consiste à faciliter l’expression de l’interviewé en l’orientant vers des thèmes jugés prioritaires pour l’étude tout en lui laissant une certaine autonomie ».

L’entretien à plus une fonction idiographique en laissant l’individu observé contribuer au cheminement de l’interview et en lui laissant une plus grande liberté d’expression.

Le questionnaire a, quant à lui, une fonction plus nomothétique. Il cherche à « révéler, au-delà des différences individuelles, des phénomènes sociaux à partir de la mise en évidence de régularités » au travers d’une trame de questions identiques pour tous les interviewés.

Nous emploierons ici une démarche au confluent de ces deux méthodologies en utilisant un questionnaire à la trame préétablie mais donnant lieu à des discussions très différentes (en contenu et en durée) d’un interviewé à l’autre, au gré de la relation nouée entre observateur et observé et de l’état d’esprit de l’interviewé au moment du face-à-face.

Cette méthodologie vise à répondre à trois principales catégories de questions :

-qui est l’interviewé ? Il s’agit alors de définir l’identité sociale de la personne (sexe, âge, origine sociale, professions, situation familiale, niveau scolaire, lieu de résidence…)

-que fait-il ? L’entretien met alors en évidence les pratiques de l’interviewé au sein de l’entreprise.

-que pense-t-il ? Il s’agit enfin de saisir ses rapports aux pratiques ou ses opinions ou représentations (degré de satisfaction, préférences, souhaits, critiques…) pour accéder à la perception que les acteurs ont de l’organisation.

Cependant, cette méthode souffre elle aussi de lacunes. En effet, toute communication comporte deux dimensions, comme l’a mis en évidence l’Ecole de Palo Alto au travers l’un de ces fameux axiomes qui distingue contenu et relation. La relation qui s’établit entre les partenaires conditionne la bonne réception de l’information. Cet aspect a d’ailleurs été évoqué précédemment lorsque nous avons fait remarqué que les écarts constatés entre les différents entretiens étaient certainement liées à la relation spécifique nouée entre observateur et observé lors des situations de face-à-face.

Ainsi, comme pour les situations d’observation directe, dans l’entretien, l’attitude de l’observateur intervient directement et peut engendrer des effets inducteurs qui risquent de biaiser la communication. Il semble que ce soit d’ailleurs une des principales difficultés à laquelle se heurtent les SHS. En effet, contrairement aux sciences dures, ce ne sont pas des objets que le sujet observe, mais d’autres sujets. Dans ce cadre, le chercheur en SHS ne peut faire la distinction tranchante entre sujet et objet qui caractérise l’activité scientifique selon Descartes (Durkheim tenta d’instaurer cette coupure en sociologie en traitant les phénomènes sociaux comme des « fais », comme des « choses »). Non seulement le chercheur développe une relation sociale avec les « objets » qu’il observe, mais plus encore, il faut partie de ces propres objets de recherche.

Résultats attendus :

Ce travail vise plusieurs objectifs complémentaires et interdépendants :

  • dépasser les discours simplistes du sens commun sur l’autogestion en soulignant son épaisseur historique et sa permanence dans l’histoire de l’humanité
  • Faire de l’autogestion un véritable concept organisationnel au travers de la définition d’un idéal type
  • Faire du concept organisationnel autogestionnaire ainsi défini un concept d’actualité en le rapprochant des nouvelles théories organisationnelles.

Ce travail visera ainsi à démontrer la pertinence du modèle autogestionnaire aujourd’hui, qui, loin d’être désuet, semble de plus en plus d’actualité du point de vue des nouvelles théories organisationnelles dans le contexte du renouvellement des formes organisationnelles.

En substance, cette étude visera à souligner une fois de plus la pertinence des approches informationnelles et communicationnelles dans les entreprises, approches notamment développées par les SIC au travers du champ de la Communication Organisationnelle. Les structures participatives sont en effet à même de démontrer l’importance des variables informationnelles et communicationnelles dans les processus organisationnels.

Ce travail visera également à participer au débat sur le renouvellement des formes organisationnelles en entreprise du point de vue des Sciences de l’Information et de la Communication et plus précisément du point de vue de la Communication Organisationnelle.

Cette participation à ce débat se fera au travers de la réhabilitation d’un modèle organisationnel qui est encore aujourd’hui implicitement prôné mais qui tait son nom : celui de l’autogestion.

Mais ce travail ne visera pas à définir un nouveau modèle organisationnel, une norme organisationnelle universelle à laquelle chaque entreprise devrait se plier. Au contraire, ce travail sera avant tout un appel à l’expérimentation organisationnelle, notamment au travers de la multiplication, (de la « libération »), des pratiques communicationnelles et relationnelles, expérimentation sociale à laquelle l’idée autogestionnaire nous convit. Il convient bien plus de s’inspirer, de se nourrir de l’ « esprit autogestionnaire » que d’appliquer purement et simplement des règles organisationnelles impossibles à définir d’une manière universelle et positiviste du fait du caractère expérimental, diversifié et informel des expérimentations autogestionnaires.

Ce travail se déroulera en trois temps :

Dans un premier temps, nous présenterons les principales caractéristiques (les principes organisationnels clés) d’une entreprise autogérée. Comme nous l’avons déjà évoqué, cet idéal type sera issu d’un travail généalogique portant sur l’idée autogestionnaire (travail retranscrit en annexes). Cette première partie est en effet essentielle à notre démonstration puisqu’elle permettra de passer des discours de sens commun actuellement tenus sur l’autogestion à la définition scientifique d’un véritable « concept organisationnel ».

Dans un deuxième temps, nous exposerons les points de similitudes qu’entretiennent les nouvelles théories organisationnelles avec cet idéal type.

Ce travail de comparaison sera enfin complété et illustré par l’étude de cas d’une entreprise autogérée.

________________________

16 « La Péniche », 144 rue de Bagnolet, 75 020 Paris, www.la-peniche.fr

17 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987

18 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987

19 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987

20 GUIBERT, Joël et JUMEL, Guy. Méthodologie des pratiques de terrain en SHS. Armand Collin, 1987


Questions Fréquemment Posées

Qu’est-ce que le cadre théorique de l’autogestion ?

Le cadre théorique de l’autogestion repose sur un corpus théorique composé d’ouvrages historiques traitant de l’histoire des idées et des courants politiques fondateurs de l’idée autogestionnaire.

Comment l’étude de cas contribue-t-elle à la compréhension de l’autogestion ?

L’étude de cas d’une entreprise autogérée permet de détecter les modalités de fonctionnement, les principes organisationnels, et l’importance des variables communicationnelles et informationnelles dans une structure sans hiérarchie.

Pourquoi l’autogestion est-elle pertinente dans le contexte actuel ?

Bien que le terme autogestion soit tombé en désuétude depuis les années 80, les principes qu’il porte, comme la participation, la responsabilisation et la démocratie participative, restent d’actualité dans les réflexions sur le renouvellement des formes d’organisation.

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