L’approche méthodologique de certification révèle des lacunes surprenantes dans la diligence des commissaires aux comptes tunisiens. En comparant les normes internationales, cette étude critique met en lumière des risques souvent négligés, offrant des solutions essentielles pour renforcer la fiabilité des prospectus d’information financière.
Section 2 : Diagnostic préliminaire de la situation du futur émetteur
Cette étape cruciale de la mission présente deux objectifs.
Le premier consiste à s’assurer de l’aptitude de l’émetteur à honorer ses engagements issus du nouveau statut de société faisant APE, notamment l’engagement de communication au public.
Le deuxième porte sur l’évaluation préliminaire des risques de la mission qu’encourt le commissaire aux comptes.
Procédures à mettre en œuvre
Le diagnostic peut être réalisé sur la base d’un entretien préliminaire avec les dirigeants et le directeur financier et par la collecte d’informations externes.
Il doit porter principalement sur :
- l’organisation comptable et financière de l’émetteur : la structure existante, les ressources humaines et matérielles disponibles, les délais habituels de reporting comptable et financier, etc.
- le « business » de l’émetteur : son métier et ses « process », la situation du marché dans lequel il agit (taux de croissance, parts de marché, concurrence, avantages compétitifs de l’émetteur, etc.), ses atouts et ses menaces ainsi que ses forces et ses faiblesses, etc.
- la situation financière de l’émetteur avant et après l’opération et son incidence éventuelle sur la qualité de l’information à publier;
- les objectifs effectifs recherchés par l’opération financière visée;
Par ailleurs, le commissaire aux comptes doit prendre connaissance de la nature et de l’importance des informations que l’émetteur compte publier.
En effet, le volume de travail et le budget correspondant ainsi que les délais de réalisation de la mission peuvent varier de façon significative selon le volume de l’information notamment comptable et financière contenue dans le prospectus.
Il est donc recommandé de procéder, dès que possible, à l’identification de ces informations.
Documentation des travaux
La capitalisation des résultats du diagnostic à travers une documentation adéquate s’avère nécessaire pour réussir une analyse fine et prudente des risques de la mission et de son contexte particulier.
Une démarche systématique d’obtention rapide d’un volume important d’informations relatives à l’opération envisagée et sur la situation économique, juridique et financière de la société permet également une bonne couverture des aspects importants du diagnostic et une définition claire et précise des termes de la mission du commissaire aux comptes (étendue des travaux, timing, budget des honoraires, etc.).
Ainsi, le commissaire aux comptes prend souvent le risque de s’engager sur des délais assez courts qui seront difficiles à respecter, pouvant parfois générer des retards dans la réalisation de l’opération.
En conséquence, l’utilisation d’un guide d’entretien préliminaire permettrait sans doute de réduire sensiblement les risques d’oubli et de dépassement des délais et de définir valablement le cadre de la mission du commissaire aux comptes.
Section 3 : Analyse des risques de la mission
Cette analyse est particulièrement importante dans la mesure où elle marque l’une des étapes d’une approche d’audit globale déjà orientée vers les risques.
Elle permet notamment de mener une première estimation de la charge de travail du commissaire aux comptes, compte tenu des diligences complémentaires à mettre en œuvre face aux zones de risques identifiées, permettant ainsi une planification mesurée de la mission spéciale.
L’analyse des risques spécifiques à la mission s’articule autour de trois axes:
Les critères inhérents à la nature de la mission
Ces critères tiennent à l’opération envisagée par la société, à l’organisation de cette opération et aux informations publiées auprès du public à cet effet.
Il s’agit principalement des aspects suivants:
- La production et la diffusion dans le public d’informations plus importantes, selon un nouveau format, pouvant révéler une certaine réticence interne surtout lors du passage d’une société à « capital fermé » à une société à « capital ouvert »;
- La qualité et l’expérience des différents intervenants dans le processus, notamment l’intermédiaire chargé du montage de l’opération;
- La qualité de la personne en charge de la rédaction du prospectus, son degré de connaissance des affaires de l’entreprise et des règles en vigueur en matière d’appel public à l’épargne;
- La volonté de l’émetteur d’attirer le maximum d’investisseurs potentiels à travers la communication d’une image « séduisante » et « flatteuse » de la société et des titres offerts. Cela peut, par exemple, se traduire par :
- la communication d’informations prévisionnelles issues d’hypothèses très optimistes voire irréalistes;
- la présentation trompeuse de données incorrectes telles que la comparaison de deux informations non homogènes faisant apparaître une évolution favorable de l’activité;
- la présentation d’informations incomplètes ou diffuses particulièrement au niveau des notes détaillant les postes des états financiers historiques, des commentaires sur les modifications apportées aux comptes pro-forma et des hypothèses sous-jacent l’élaboration des informations prévisionnelles.
- La tendance du marché à la date d’admission ou d’émission des titres : une évolution défavorable du marché peut amener la société à décaler l’opération de placement de quelques jours ou de quelques mois. Ces décalages peuvent impliquer des obligations additionnelles29 et donc des diligences complémentaires de la part du commissaire aux comptes;
- Le calendrier de réalisation de l’opération de placement qui peut être serré, impliquant ainsi des délais de déroulement de la mission d’audit du prospectus aussi très courts et une mise en œuvre des diligences dans l’urgence.
Les critères inhérents à l’émetteur
Ces critères tiennent essentiellement à l’activité de la société émettrice des titres, à son organisation comptable et financière, à ses résultats financiers, à ses opérations récentes et à ses relations avec les parties liées.
- L’activité de l’émetteur : les sociétés agissant dans des secteurs de haute technologie ou opérant sur des marchés imprévisibles, telles que les sociétés jeunes de la nouvelle économie, présentent un risque particulièrement important pour le commissaire aux comptes qui est appelé à auditer des informations prévisionnelles fournies dans le prospectus.
- L’organisation comptable et financière de l’émetteur : l’insuffisance des moyens humains (compétences) et matériels et l’inadéquation des procédures de travail de la société face aux
29 Par exemple, l’obligation de présenter des comptes intermédiaires pour tout placement qui intervient à plus de 7 mois de la dernière clôture annuelle (cf. 1ère Partie/ Chapitre 3/ § 4.4.1) ↑
exigences pressantes en informations comptables et financières, peuvent impliquer pour le commissaire aux comptes un risque accru, qui est d’autant plus important si l’entreprise ne dispose pas d’un processus d’élaboration des comptes prévisionnels en général et de préparation du prospectus en particulier.
- Les résultats financiers : une entreprise qui envisage de faire appel public à l’épargne doit subir inévitablement une pression sur ses résultats historiques et futurs. Cette pression se traduit pour l’auditeur du prospectus par un risque plus élevé de majoration ou de lissage des résultats. Ainsi, une attention particulière doit être accordée par le commissaire aux comptes notamment aux amortissements et provisions, aux charges à payer et aux changements de méthodes comptables.30
- Les opérations récentes : les émissions de valeurs mobilières impliquent souvent la réalisation d’opérations favorisant les anciens actionnaires ou les dirigeants, et qui pourraient avoir un impact sur la régularité des comptes. Une situation, sans doute, critique pour l’auditeur.
Ces opérations, sont parfois susceptibles de générer des surévaluations d’actifs, telles que les opérations de restructuration (fusion ou apports) et de réévaluation, ou la dilution du capital de la société à travers l’émission de valeurs mobilières quelques mois avant l’opération envisagée au profit des dirigeants ou des anciens actionnaires.31
- Les relations avec les parties liées : l’existence de conventions ou de pactes soit entre actionnaires, soit entre l’émetteur et les autres sociétés du même groupe pourrait être désavantageuse pour la société. La présentation d’informations suffisante et fiable sur ce type d’opérations pourrait mettre la responsabilité du commissaire aux comptes en jeu.
Les critères inhérents à l’équipe de collaborateurs
D’autres facteurs sont à prendre en considération dans l’évaluation du risque de la mission, concernent également l’équipe intervenante et portent principalement sur :
- Les connaissances ou expériences antérieures dans le même type de mission
- La maîtrise des collaborateurs du cabinet du processus d’émission ou d’introduction des valeurs mobilières et des spécificités des sociétés faisant appel public à l’épargne
- La mobilisation rapide des ressources pour tenir compte des contraintes de délais
- La multiplicité des situations rencontrées et la nécessité d’adapter rapidement les diligences à mettre en œuvre.
- La communication fluide entre les membres de l’équipe et le partage des connaissances « knowledge sharing » sur le client, nécessaires pour une validation facile des hypothèses retenues et des données présentées dans le prospectus.
Questions Fréquemment Posées
Quels sont les objectifs du diagnostic préliminaire pour la certification des prospectus ?
Le premier objectif est de s’assurer de l’aptitude de l’émetteur à honorer ses engagements, et le deuxième porte sur l’évaluation préliminaire des risques de la mission qu’encourt le commissaire aux comptes.
Comment le commissaire aux comptes évalue-t-il les risques liés à la mission de certification ?
L’analyse des risques spécifiques à la mission s’articule autour de trois axes, incluant les critères inhérents à la nature de la mission, l’organisation de l’opération et les informations publiées auprès du public.
Pourquoi est-il important de documenter les travaux du diagnostic préliminaire ?
La capitalisation des résultats du diagnostic à travers une documentation adéquate est nécessaire pour réussir une analyse fine et prudente des risques de la mission et de son contexte particulier.