Accueil / Histoire de la Photographie / LA PHOTOGRAPHIE DOCUMENTAIRE PENDANT L'OCCUPATION ETATS-UNIENNE D'HAITI (1915 - 1920) / Comment l’analyse des codes vestimentaires révèle l’identité en Haïti (1915-1920)

Comment l’analyse des codes vestimentaires révèle l’identité en Haïti (1915-1920)

Pour citer ce mémoire et accéder à toutes ses pages
🏫 Université d'Etat d'Haïti - Institut d'Etudes et de Recherches Africaines d'Haïti IERAH/ISERSS
📅 Mémoire de fin de cycle en vue de l'obtention du diplôme de Licence - 2015
🎓 Auteur·trice·s
Assédius BELIZAIRE
Assédius BELIZAIRE

L’analyse des codes vestimentaires révèle comment les photographies documentaires de l’occupation américaine d’Haïti (1915-1920) transcendent leur fonction initiale. En explorant les rôles de genre et l’identité, cette étude met en lumière des représentations sociopolitiques inattendues, essentielles pour comprendre cette période complexe.


Considérations relatives aux rôles des hommes et des femmes

Cette section est consacrée au code vestimentaire comme expression du rôle des hommes et des femmes bien que les hommes sont plus présents. Nous traiterons des thèmes suivants: le corps socialisé, l’identification sexuelle (homme – femme), et enfin, l’ambivalence identitaire et l’aliénation.

Le corps, dans son entièreté, est le fondement de l’identité et porteur du statut de la personne148. Le langage corporel et la silhouette influencent donc l’interprétation des codes vestimentaires arborés. Pour être accepté, l’individu tente de contrôler tout aspect non verbal de sa personne, comme la position du corps, les expressions faciales et le choix des vêtements; il présente aux autres un corps « socialisé ».

La maîtrise du corps, autant sa forme esthétique que ses gestes, est une exigence du groupe d’appartenance. Les critères imposés au corps varient selon l’époque, le milieu, le lieu, les circonstances ainsi que les autres personnes présentes. Pour un contexte donné, les règles varient selon le statut de chacun. La connotation de l’âge, de la race et, surtout, du sexe y sont pour beaucoup.

Ainsi, la façon d’être en public devient attestation supplémentaire de l’identité. Pour Erving Goffman, « En présence des autres, l’individu infuse typiquement ses activités de signes mettant en évidence certains faits confirmatifs qui autrement seraient demeurés inapparents ou obscurs149

Etant exposé à un ensemble de dangers, étant victime d’une sorte de discrimination, l’absence de la femme dans le camp des marines montre que l’existence des femmes se limitait parfois à leur

habileté sociale, dont l’attitude physique. Pendant ce temps, la présence de la femme était présente dans le camp des cacos et s’est fait sentir comme elle s’est apparue dans l’une des photographies. Autant que, dans les dires de Roger Gaillard, les femmes sont toujours présentes dans les camps cacos comme le plus souvent les généraux se sont accompagnés de ses compagnes ou concubines150. Ici, les hommes présentent des corps dont les gestes et la forme correspondent aux valeurs du groupe social, c’est-à-dire un corps qui reconduit le rôle de son sexe de manière

« appropriée ».

D’après Marc-Alain Descamps, par la silhouette idéale qu’elle impose, la société révèle le projet fondamental de son peuple151. Cet idéal, en plus des autres contraintes sociales imposées sur le corps, fait de lui un produit du contexte, plutôt qu’une entité personnelle152. Pour certaines personnes, la construction de ce « produit» peut donner lieu à un corps qui n’existe qu’en fonction de l’autre, autant dans sa forme que dans ses gestes.

Ainsi, les sensations physiques de l’individu (confort, douleur, plaisir, etc.) et son fonctionnement biologique spontané (respiration, sueur, etc.) sont relégués au domaine du privé. Historiquement, le langage corporel des hommes fut généralement ouvert dans les zones publiques. Mais en fonction des codes vestimentaires établis conventionnellement, la silhouette idéale et les gestes sont limités en fonction de l’espace géographique de résistances.

D’après Entwistle: « […] au travail et dans d’autres domaines publics, le corps masculin est pris pour acquis ou rendu invisible, par rapport à l’attention accordée au corps féminin153.» Dans le premier quart du XXème siècle, étant donné que le dénigrement du mouvement des cacos dans plusieurs régions du pays, l’expression sociale de l’homme, voire de la femme, n’a pas réduit à une apparence physique. Tandis que, pour les marines, militairement formés, l’apparence physique est mise en évidence. Les codes vestimentaires reconduisent les rôles et le statut transmis par la culture aux sexes respectifs, et leur esthétique trahit le comportement assigné aux hommes et aux femmes.

Spécifions d’abord la différence entre le mot sexe et le mot genre ou peut-être plus spécifiquement, gender, terme employé autant par les auteurs anglophones que francophones154. Le sexe correspond aux différences biologiques, alors que le gender réfère aux classifications sociales de ce qui est masculin et féminin. Il s’agit donc d’une compartimentation du comportement et de l’apparence appropriée pour hommes et femmes.

La définition sociale du gender délimite ainsi les vêtements appropriés pour chaque sexe et les sphères sociales dans lesquelles hommes et femmes peuvent évoluer sans répercussions négatives. Au cours de la période des années 1915 – 1920, statut social et sexe vont de pair dans la majorité des cas155. Par cette différenciation sociale, un vêtement adapté aux marines (chapeaux, chemise manche longue, pantalon longue, botte…) n’avait pas sa place vers la fin du XXème siècle.

Les cacos, eux, adoptaient un code vestimentaire différent que celui des marines et un peu différent à celui de la population haïtienne (pantalon longue, veste, porte-machette, chapeau…). Ce code vestimentaire symbolisait alors l’identité des cacos.

Cette différenciation semble si cruciale, qu’un vêtement adapté pour l’uniforme des marines (pantalon longue, botte, chapeau, chemise longue…) change vers la fin du XXème siècle. En ce qui a rapport au vêtement des cacos (pantalon longue, chapeau, machette, veste…), il symbolisait l’esprit du temps, le contexte géographique des mouvements de résistance. Ces vêtements symbolisaient alors une identité masculine et féminine des cacos. Ceux-ci sont utilisés pour communiquer l’identité des marines, des cacos, des dirigeants étatiques, des assassinats.

Puisque nous le constatons en analyse de cas, le vêtement témoigne de l’identité méprisée d’un premier moment et tout de suite valorisée, puis réhabilité jusqu’après près d’un siècle, pour les cacos à travers ses chefs suprêmes du mouvement à l’époque donnée. Bien qu’il soit difficile de distinguer les prescriptions sociales des choix individuels, la comparaison des individus au sein d’une photographie est susceptible de sensibiliser le récepteur à de telles notions.

A vrai dire, il n’y a pas une revue de littérature consacrée au vêtement et aux rôles des hommes et des femmes dans les photographies durant l’occupation états-unienne d’Haïti. Au cours de la présente étude, nous nous sommes questionnés sur l’impact des ambivalences identitaires sur le comportement vestimentaire. Parmi les ambivalences identitaires pouvant transparaître dans le choix du vêtement,156

Davis retient les questions religieuses, politiques, culturelles, ethniques, celles d’orientation sexuelle, autant que les ambivalences sur le statut et les rôles sociaux, dont les rôles sexuels font partie. Pour résorber le sentiment d’aliénation, tout individu doit trouver l’équilibre entre l’expression de soi et l’identification à la culture d’appartenance.

De plus, tel que le note Friedan, il doit se sentir évoluer dans le temps. À cet égard, le comportement vestimentaire peut être une arme à double tranchant: les esthétiques changeantes de la mode peuvent substituer ou catalyser une évolution réelle. Aussi, le message vestimentaire peut accentuer et/ou résorber les tensions sociales et le sentiment d’aliénation.

La culture d’appartenance peut y reconnaitre de nouvelles valeurs auxquelles elle veut adhérer, qui seront assimilées avec le temps par la société élargie. Nous avons à penser aux mouvements de résistances armées acharnés entre 1918 – 1920 où les codes vestimentaires exprimaient le désir d’une transformation radicale dans le mode de gestion de la politique du pays, en tenant compte des revendications claires des cacos.

Bien que marginal au départ par certains secteur de la vie nationale, ce désir de mener un mouvement révolutionnaire, depuis dans les codes vestimentaires pour aboutir aux différentes actions politiques, s’est finalement étendu à la classe paysanne de l’époque.

Ce qui va permettre aux marines d’identifier des cacos de part de leur habillement. Et ceci, on va le voir dans les cas d’analyse. Bien qu’étendu à la classe paysanne, cela n’empêche que la gendarmerie, en complicité avec des traitres, va « écraser » le mouvement socio politique des cacos. Gertrud Lehnert rappelle qu’une fois adoptée par la masse, la mode lancée par une minorité sociale perd sa signification idéologique initiale157.

De sorte que l’actualisation perpétuelle dans l’esthétique vestimentaire se veut un dialogue continu entre l’individu et la culture élargie. La définition et la communication de l’identité sont à la base même d’une cohérence sociale. C’est pourquoi l’actualisation fondamentale de la définition de l’identité des marines, des vigilants, des dirigeants politiques, des cacos a ébranlé les bases de la société haïtienne le premier quart du XXème siècle.

En effet, accorder un pouvoir politique aux cacos a moins dérangé que leur nouvelle position socio politique qui modifiait autant la définition de leur identité et leur rôle social que ceux des hommes. C’est à Charlemagne que Danache dédiera son livre : « … le premier devoir des haïtiens, après notre départ, sera d’élever un monument magnifique à Charlemagne Péralte.

C’est

Péralte et ses cacos qui nous ont portés à avoir de la considération pour vos compatriotes… »158. Dans cet esprit, les images des forces armées (Marines, Gendarmes, les vigilants), des évènements politiques (le mouvement des cacos à travers leurs chefs suprêmes) et des assassinats, véhiculées par chacune des photographies analysées donnera un aperçu de la perception changeante de l’occupation états-unienne d’Haïti (1915 – 1920) et des mouvements de résistance selon l’époque et les crises socio politique.

Bien entendu, ces analyses permettront aussi de se pencher sur la manière dont les marines (à travers la politique d’occupation militaire, sociale, politique et économique des Etats-Unis), des évènements politiques de l’époque (soit à travers les « résistances » du ministre Louis Borno, soit à travers le mouvement des cacos) et des assassinats aveugles (Assassinat de Charlemagne Péralte) ont symbolisé leur place sociale à travers leur comportement vestimentaire.

Ceci dit, on peut aborder une fonction hautement symbolique des photographies. Dans Régis Debray, vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident, Robert Paul avance que La naissance de l’image a partie liée à la mort. Par les premières « idoles » et les premières représentations artistiques, les hommes opposèrent à la disparition et à l’absence de ceux qui furent des doubles qui en perpétuent le souvenir et maintiennent la permanence.

« Nous opposons à la décomposition par la mort la recomposition par l’image ». Mais « si la mort est au commencement », l’image n’aura jamais de fin, car nous ne vaincrons jamais notre finitude, notre condition d’être périssables, poursuit Paul Robert. Dans les trois âges de l’art de Debray, « Regarder n’est pas recevoir, mais ordonner le visible, organiser l’expérience » et que l’image a changé comme a changé le regard jeté sur elle-même :«l’image tire son sens du regard, comme l’écrit de la

lecture, et ce sens n’est pas spéculatif mais pratique ». En outre, deux positions sont ici à dépasser, celle d’un art hors de l’histoire et celle d’une histoire de l’art progressant selon l’axe unifié de la ligne du temps. L’intemporalité fut proclamée par ceux qui se refusaient à faire de l’histoire le tribunal de l’art, qui disent, comme Bonnard: « L’art, c’est le temps arrêté159… »

________________________

148 (Ibid, p 46)

149 (Ibid., p 47)

150 (Gaillard Roger 1981, p 220)

151 (ANNE-MARIE HAMEL, n.d., même page)

152 (Ibid, même page)

153 (Cité par ANNE-MARIE HAMEL, n.d., p 48)

154 (ANNE-MARIE HAMEL, n.d., même page)

155 (Ibid, n.d., p 49)

156 (ANNE-MARIE HAMEL, n.d., p 54)

157 (Ibid, p 56)

158 (Gaillard Roger 1981, p 329 – 330)

159 http://artsrtlettres.ning.com/profiles/blogs/regis-debray-vie-et-mort-de-l


Questions Fréquemment Posées

Comment les codes vestimentaires influencent-ils l’identité en Haïti pendant l’occupation américaine?

Les codes vestimentaires influencent l’identité en Haïti en étant une expression du rôle des hommes et des femmes, où le corps socialisé et le langage corporel jouent un rôle crucial dans l’interprétation des vêtements.

Pourquoi la présence des femmes est-elle limitée dans le camp des marines selon l’article?

La présence des femmes est limitée dans le camp des marines, car leur existence se réduit parfois à leur habileté sociale et à leur attitude physique, tandis qu’elles sont plus présentes dans le camp des cacos.

Quel est le rôle du corps dans l’identité sociale selon l’article?

Le corps est le fondement de l’identité et porteur du statut de la personne, où la maîtrise de la forme esthétique et des gestes est une exigence du groupe d’appartenance.

Rechercher
Télécharger ce mémoire en ligne PDF (gratuit)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Scroll to Top