L’analyse de cas en comptabilité révèle que le jugement professionnel des experts-comptables est influencé par des normes souvent sous-estimées. Cette étude met en lumière des facteurs environnementaux cruciaux, offrant des perspectives nouvelles sur l’amélioration des décisions financières.
Sous section 2 : La mise en situation du processus
Plus les facteurs liés à l’environnement touchent de près les gens qui posent les jugements dans une situation donnée, plus ces facteurs peuvent être perçus comme faisant partie de la situation elle-même. Selon GIBBINS et MASON, cette situation couvre trois grandes catégories de facteurs : les normes, les données et les personnes32.
§1. L’importance des normes professionnelles
Nous avons examiné dans le premier chapitre la relation entre le jugement et les normes professionnelles. Cette relation dialectique qui, située dans le cadre du processus que l’on met en place, prend toute sa dimension : les normes permettent de réduire les risques liés au caractère subjectif du jugement humain mais le jugement professionnel demeure essentiel pour appliquer, aux cas particuliers, les normes professionnelles.
Dans l’exercice de son jugement professionnel, l’expert-comptable doit prendre en compte l’existence ou l’absence de normes. En effet, lorsque la norme existe et que les circonstances de son application ne sont pas équivoques, l’ensemble des normes s’inscrit dans le contexte du processus décrit ci-dessus. En revanche, lorsque l’expert-comptable rencontre des circonstances dans lesquelles aucune norme ne s’applique directement, il doit considérer l’esprit des normes existantes et déterminer quel changement il convient d’effectuer afin de présenter les circonstances particulières conformément au principe de la norme ou de la règle comptable33.
Enfin, l’expert-comptable se trouve parfois confronté à des situations où la norme est contradictoire avec une autre. Tel est le cas, par exemple, de la présentation dans l’état de résultat selon le modèle autorisé, au niveau des produits d’exploitation, de la production immobilisée. La nomenclature des comptes précise que la production immobilisée enregistre le coût des travaux faits par l’entreprise pour elle-même et portant sur des immobilisations.
Elle ne concerne pas l’exploitation de l’entreprise. Par ailleurs, la norme comptable, relative aux éventualités et aux évènements postérieurs à la date de clôture (NC 14), prévoit parmi les évènements liés à des conditions existant à la date de clôture les fluctuations de change. Elle prévoit le même cas dans les évènements non liés à des conditions existant à la date de clôture.
§2. Les circonstances : les données factuelles du problème
L’examen attentif des données d’un problème nécessitant un jugement particulièrement pointu est le facteur le plus important à prendre en compte. Il est logique que les données factuelles, objectives par définition, jouent un rôle significatif dans la prise de décision. Cependant, il ne faut pas négliger, comme nous le verrons par la suite, les facteurs humains car un jugement professionnel ne saurait être remplacé par des déductions mécaniques à partir des seules données.
Ces données se présentent généralement de manière brute et doivent faire l’objet d’un traitement, d’une sélection et d’une analyse avant de pouvoir être exploitées. L’exercice du jugement intervient dans l’évaluation des données et la comparaison des différentes solutions lors du choix.
D’autre part, il faut tenir compte du biais psychologique qui modifie l’interprétation positive ou négative d’un fait en fonction de la manière dont il est perçu. D’ailleurs, il est souhaitable que le professionnel analyse les faits sous plusieurs perspectives afin de corriger ce biais34.
§3. Les facteurs humains
Les facteurs humains comportent la perception, la mémoire et les aptitudes intellectuelles et émotionnelles35.
1) La perception
L’étude de la psychologie montre que toute personne a des préjugés. L’expert-comptable envisagera la situation dans laquelle il exercera son jugement, en prenant en considération ses idées préconçues et ses croyances. Comme tout être humain, il est incapable de déceler ce biais du caractère inconscient d’une partie importante du jugement. La perception est à la base de tous les autres comportements : percevoir va permettre à l’expert-comptable de prendre connaissance de son environnement professionnel et d’agir sur lui via les jugements induits par sa perception.
La perception est le point de départ de toute activité humaine, y compris l’exercice d’un jugement professionnel par un expert indépendant. D’ailleurs, l’évaluation de l’incertitude et du risque dépend en partie de la façon dont l’expert-comptable perçoit l’environnement36.
2) La mémoire
Un autre facteur entrant en ligne de compte dans la mise en situation du processus est la mémoire dont fait preuve l’expert-comptable. Selon RENNIE et GIBBINS, la mémoire est organisée, elle fait appel à des structures qui permettent de rappeler des informations et de les appliquer à la situation en cause37.
Ces structures sont généralement appelées « structures des connaissances », « schéma » ou « modèle »38. Les recherches, en matière de psychologie cognitive, indiquent que les experts-comptables développent des structures pour les divers types de connaissances dont ils ont besoin pour exercer. Elles s’appuient à la fois sur la formation et l’expérience de l’expert-comptable.
Le vécu professionnel de l’expert-comptable, par l’intermédiaire de son expérience et de ses connaissances, lui confère une mémoire plus ou moins importante.
Cette mémoire jour un rôle important dans la formation de son jugement :
- La mémoire est l’outil principal dont il dispose pour faire preuve de compétence en matière de jugement. Elle va lui permettre de mettre en place des points de repères afin de structurer sa pensée.
- La mémoire de l’expert-comptable va lui permettre de donner une cohérence à l’ensemble des jugements professionnels qu’il devra exercer au cours de sa carrière. De la capacité à stocker une quantité importante d’informations, va dépendre sa capacité à choisir, dans un délai très court, la réponse la plus adéquate, à une situation donnée, en fonction d’une expérience passée.
Les problèmes de jugement peuvent être résolus grâce aux modèles mémorisés, acquis grâce à l’expérience : La mémoire constitue le centre nerveux de l’analyse car, c’est à l’aide de sa mémoire que l’expert-comptable va pouvoir structurer les informations éparses qu’il recueille.
3) Les aptitudes intellectuelles et émotionnelles
Selon GIBBINS et MASON, « il semble évident que certaines personnes sont mieux équipées que d’autres pour exercer leur jugement professionnel, que ce soit naturellement ou grâce à leur formation ou leur expérience »39. L’expérience est examinée dans la sous section suivante. Les aptitudes intellectuelles regroupent les aptitudes innées et la formation. Elles découlent essentiellement de la culture, du niveau d’enseignement et des efforts d’auto-apprentissage de l’expert-comptable et de ses capacités mentales.
Selon BELKAOUI, les aptitudes émotionnelles entrent en ligne de compte dans la mise en situation du processus du jugement professionnel. En effet, le comportement de l’expert-comptable dépend des types de relations qu’il mène avec les autres. Son comportement social est conditionné par son environnement culturel. Cet environnement est composé de la religion, des valeurs et attitudes, des lois, de l’éducation et de l’organisation sociale40.
Le fait de concevoir la mémoire sous forme de « structures mnémoniques »41 qui se développent par la formation et l’expérience, laisse présumer que les professionnels expérimentés disposent d’aptitudes intellectuelles et émotionnelles plus importantes et pertinentes que les nouveaux professionnels. Selon RENNIE et GIBBINS, l’exigence professionnelle que les nouveaux professionnels accomplissent un stage d’une période déterminée constitue peut être une bonne façon de s’assurer qu’ils développent des structures mnémoniques dont est censé être doté l’expert-comptable. La qualité de ces structures est fonction de l’expérience sur laquelle elles se fondent42. Les aptitudes au jugement professionnel sont donc évolutives.
Sous section 3 : Le déroulement du processus
Le jugement professionnel est un processus continu et dynamique par l’acquisition de l’expérience.
§1. Le processus de développement des aptitudes au jugement professionnel est un processus continu
Les connaissances alliées à l’expérience sont des facteurs déterminants pour la résolution de problèmes. Le processus du jugement doit être analysé comme un processus continu : un jugement professionnel relatif à une situation donnée permettra à l’expert-comptable d’emmagasiner de l’expérience et aura une incidence sur les choix qu’il devra exercer ultérieurement43.
Le processus continu du jugement est un facteur de sa complexité : il est difficile lorsqu’on procède rétroactivement à l’analyse d’un jugement de déceler quel en a été le phénomène déclencheur, comment il s’est progressivement formé puis concrétisé.
§2. L’acquisition de l’expérience base de la dynamique du processus
Il appartient à l’expert-comptable de savoir tirer profit de ses connaissances et de son expérience afin d’affiner ses jugements tout au long de sa carrière professionnelle. Le professionnel ne doit pas avoir une attitude passive sur le sort de ses jugements mais jouer un rôle actif de capitalisation des apprentissages à partir des jugements exercés. Chaque fois qu’il émet un jugement, l’expert-comptable doit donc développer des dispositifs de fonctionnement pouvant emmagasiner de l’expérience et des connaissances, autrement dit, des structures cognitives lui permettant d’être une véritable machine à apprendre pour porter un jugement44.
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32 Définition donnée par l’article 62 de la loi sur les nouvelles régulations économiques (NRE) du 15 mai 2001. ↑
33 Auchan Les 4 Temps, La Défense. ↑
Questions Fréquemment Posées
Comment les normes professionnelles influencent-elles le jugement des experts-comptables ?
Les normes permettent de réduire les risques liés au caractère subjectif du jugement humain, mais le jugement professionnel demeure essentiel pour appliquer les normes aux cas particuliers.
Quels sont les facteurs humains qui affectent le jugement professionnel en comptabilité ?
Les facteurs humains comprennent la perception, la mémoire et les aptitudes intellectuelles et émotionnelles de l’expert-comptable.
Pourquoi est-il important d’analyser les données factuelles dans le jugement comptable ?
L’examen attentif des données d’un problème est le facteur le plus important à prendre en compte, car les données factuelles jouent un rôle significatif dans la prise de décision.