L’étude de cas sur l’éducation haïtienne révèle des inégalités de genre marquées dans les établissements scolaires de Port-au-Prince. En mettant en lumière le sexisme omniprésent, cette recherche critique les valeurs genrées qui influencent les rapports pédagogiques et désavantagent les filles, transformant ainsi notre compréhension de l’éducation en Haïti.
La binarité, un principe de différenciation sociale
1.3.1- Les catégories binaires et le principe de différenciation
Le sexe biologique tel que nous le concevons généralement en catégories d’hommes et de femmes se heurte, en effet à la « nature ». Car le cas des individus intersexes qui offrent une composante variée ne sauraient répondre à cette conception binaire, du moins plus ou moins « fidèlement ». Ilana Lowy et Hélène Houch dans l’introduction de leur texte au titre très annonciateur « La distinction entre les sexes », une histoire entre biologie et culture, pensent que « de tels individus remettent en
cause nos certitudes sur le caractère « double et sexué » de l’humanité et sur la stabilité des catégories « hommes » et « femmes ». (Lowy et Rouch, 2003 : 82). Faute de quoi, les réassignations de sexe ont lieu, corrigeant les autres possibles s’apparentant du fait à des « anomalies ».
Mais bien plus, l’intersexualité donne matière à repenser les rôles censés ceux du masculin et du féminin et s’oppose donc à la correspondance largement et habituellement acceptée entre sexe biologique et sexe social. Les auteures proposent une relativisation et un relâchement des nettes distinctions établies entre les notions de sexe et de genre.
Elles priorisent le rapport privilégié du développement de ces notions qui d’après elles sont tributaires de l’évolution de certaines sciences telles que la médecine et d’autres disciplines connexes comme la sexologie ou encore la psychiatrie. Pour
elles, la différence des sexes doit être appréhendée comme un « phénomène
« biosocial » ; elles font aussi une critique de la grande frontière établie entre ces notions confinant d’un côté l’une au naturel et l’autre au culturel.
En fait, l’appartenance à une catégorie sexuelle, comme on l’apprend dans les cours d’anatomie pose problème en tant que deux frontières distinctes, les mâles et les femelles. Car comme les études médicales ont pu le démontrer, notamment l’expérience Bruce/Brenda, la bicatégorisation sexuelle qui tient comme base la différence sexuelle n’est pas tant évidente car le cas des hermaphrodites représenterait un non-lieu, ne pouvant se réduire à aucune de ces deux catégories.
En effet, le sexe biologique (Homme /femmes), tel que nous le concevons généralement, n’est pas définissable en lui-même mais se trouve indubitablement en rapport avec d’autres paramètres. La sexuation des corps, c’est-à-dire tout l’appareillage anatomique (gonades, ovaires) ne suffit pas à définir le sexe. Mais, nous le concevons toujours par rapport aux attributions sensées du masculin et du féminin ; ceci renvoie à une finalité, à l’hétéronormativité, à l’hétérosexualité reproductive, conçue comme socialement correcte, défiant tout autre possible.
À ce sujet, Elsa Dorlin a écrit :
« La sexuation n’est donc pas le tout du « sexe ». Dans la définition commune du sexe biologique, l’anatomie n’est jamais seule. Autrement dit, il y a toujours déjà, dans ce que nous appréhendons communément comme le « sexe biologique » des individus, du genre et les traces d’une gestion sociale de la reproduction, c’est-à-dire une gestion sexuelle (de genre et de sexualité) imposée, assignée ». (Dorlin, 2008 :38).
De même que Elsa Dorlin, Gayle Rubin, conçoit la féminité et la masculinité comme des constructions sociales ; mais bien plus, elle met l’accent sur l’utilisation politique du genre qu’elle définit comme « une division des sexes socialement imposée, [et] un produit des relations sociales de sexualité ». (Lowy et Rouch, 2005 :129).
Elle avance que chaque société établit un système sexe-genre qui lui permet d’utiliser le sexe biologique comme base pour arriver à la sexualité reproductive, avec pour principe l’hétérosexualité obligatoire. En effet, cette appropriation du produit brut du sexe consacre l’oppression des femmes qui entretiennent des relations hiérarchiques avec les hommes ; cette relation hiérarchique doit être maintenue pour assurer la pérennité de ce système.
C’est pourquoi, elle propose le lesbianisme comme alternative pour contrecarrer l’imposition du genre.
1.3.2- Différenciation sexuelle et déterminisme social
La notion « Valence différentielle des sexes » conceptualisée par Françoise Héritier, dans son ouvrage intitulé « Masculin/Féminin ; La pensée de la Différence » (Héritier, 1996) est au cœur de la pensée de la mixité. L’auteure la conçoit comme l’organisation sociale et symbolique de l’infériorisation et de l’objectivation des femmes, en se basant sur leurs différences biologiques.
Tenante de l’approche constructiviste des sexes, Héritier soutient pourtant que ces dernières sont la source de la hiérarchisation entre les sexes. Ketty Lorval (Lorval, 2018), analysant la pensée d’Héritier pense qu’il y a un paradoxe dans la pensée de l’auteure en ce sens que si l’auteure conçoit les rapports de pouvoir entre les sexes puisent leur origine de leurs différences, l’auteure ne peut en même temps soutenir que ces rapports inégalitaires ne puissent être justifiés par ces mêmes différences (Lorval, 2018 :46).
Christine Détrez (2015) de son côté s’interroge sur les « tempéraments » dits féminin ou masculin, dans plusieurs sociétés. S’appuyant sur les recherches menées par plusieurs anthropologues, elle réalise combien les normes sexuées dépendent des déterminismes sociaux. Les femmes et les hommes se comportent selon la culture. Par exemple, des études en anthropologie ont montré que des qualités censées caractériser le masculin comme la douceur et la sensibilité sont plutôt l’apanage des hommes. Le système de genre inégalitaire qui sévit dans d’autres cultures provient d’un ordre sexué qui structure les conduites individuelles et les pratiques collectives.
Si notre conception du sexe relève de la culture et n’a rien de naturel, il s’ensuit que les rôles sensés masculins ou féminins n’ont aucun fondement réel. La différence sexuelle serait donc davantage le fait d’une construction dans la pensée et un produit social répondant à une finalité, la sexualité reproductive.
C’est ici toute l’importance de l’ouvrage « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir qui y a fait une remise en question de la condition féminine telle que les religions, les civilisations, la tradition l’ont cautionnée à travers les âges. Elle y a soulevé prioritairement la construction de la femme en Autre de l’homme, s’appuyant sur leurs différences biologiques qui tendent à se transformer en différences sociales.
La formule bien connue « On ne nait pas femme, on le devient » souligne notamment l’influence de la socialisation dans la construction sociale du féminin et du masculin qui n’est nullement guidée par la nature. Laquelle construction est à la base de l’oppression de la
femme, subordonnée à l’homme, positionnée après ce dernier, en deuxième sexe. Cet ouvrage majeur, qui fonde ses analyses sur la philosophie, l’histoire et une critique de la psychanalyse, influença une génération de jeunes femmes dans le contexte d’après la deuxième guerre mondiale, qui ont trouvé une figure féministe en Simone de Beauvoir. Même si on lui reproche un respect inavoué de la morale bourgeoise et religieuse, il fonde le féminisme contemporain en ce sens qu’il interpelle les rôles genrés et différenciés que l’homme et la femme. Elle reconnait qu’ils constituent, notamment pour les femmes, des entraves à leur plein épanouissement.
Questions Fréquemment Posées
Comment l’éducation différentielle impacte-t-elle les rôles de genre en Haïti ?
L’étude démontre comment les constructions sociales du féminin et du masculin impactent les rapports pédagogiques et désavantagent les filles par rapport aux garçons.
Quelles sont les critiques sur la binarité des genres dans l’éducation haïtienne ?
Les auteures proposent une relativisation et un relâchement des nettes distinctions établies entre les notions de sexe et de genre, soulignant que la différence des sexes doit être appréhendée comme un phénomène biosocial.
Quel est le rôle de l’hétérosexualité dans l’éducation différentielle en Haïti ?
Chaque société établit un système sexe-genre qui lui permet d’utiliser le sexe biologique comme base pour arriver à la sexualité reproductive, avec pour principe l’hétérosexualité obligatoire.